mis à jour le

Gbagbo et Compaoré, ennemis intimes
Le président sortant de Côte d’Ivoire et le dirigeant du Burkina Faso se vouent une haine tenace. Les internautes des deux pays la relaient sur Facebook.
Le Burkina Faso a enfin connu sa «mobilisation Facebook». Mais, contrairement à celles d’Afrique du Nord, celle-ci n’avait pas pour objectif de déstabiliser un chef d’Etat. Bien au contraire.
Début février, sur le réseau social, le mouvement J’aime mon pays invitait «tous les Burkinabè et tous ceux qui vivent au Burkina à une marche pour le respect du peuple du Burkina Faso et de son président le 11 février 2011 à partir de 13h».
En cause: des «injures» proférées à l’encontre de Blaise Compaoré, membre du panel des cinq chefs d’Etat désignés par l’Union Africaine en vue d’une résolution pacifique de la crise post-électorale en Côte d’Ivoire;
Mais pour comprendre le contexte de cette manifestation, il faut revenir une dizaine d’années en arrière...
Je t'aime, moi non plus
En 2002, des officiers ivoiriens en rupture de ban préparent, depuis le Burkina Faso, une rébellion armée. Le 19 septembre, ils traversent la frontière et fondent sur Abidjan (capitale économique de la Côte d’Ivoire).
Incapables de prendre le pouvoir dans la capitale économique, ils se limiteront finalement au contrôle de la zone nord du pays. C’est encore à Ouagadougou (capitale du Bukina Faso), que le «Major IB» Ibrahim Coulibaly attendra longtemps son heure de gloire.
À mots à peine couverts, invitant l’ex-puissance coloniale —la France— à «suivre son regard», le président Laurent Gbagbo exige alors l’application des accords de Défense franco-ivoiriens prévus pour se mettre en branle à la première agression étrangère. Il oublie que lorsqu’il était un opposant maltraité —par le régime de Félix Houphouët-Boigny, au pouvoir de 1960 à 1993— quelques années plus tôt, il se réfugiait fréquemment chez Compaoré.
L’Ivoirien promet «le feu du ciel à ses voisins». Le Burkinabè prédit la Cour pénale internationale au locataire du palais présidentiel d’Abidjan.
Gbagbo et Compaoré interprètent alors le tango du «je t’aime, moi non plus», entre brouille et rabibochage. La Côte d’Ivoire est durablement coupée en deux, le nord se retrouvant sous le contrôle de la rébellion. Après des médiations avortées, c’est Compaoré que la communauté internationale bombarde «facilitateur du dialogue inter-ivoirien».
Quelques années plus tard, en 2008, Laurent effectue une visite d’Etat historique chez son «ami» Blaise, prononçant même un discours devant l’Assemblée nationale de ses anciens «assaillants».
En décembre 2010, après le deuxième tour de la présidentielle ivoirienne, Gbagbo récuse la certification de l’Organisation des Nations unies pour la Côte d’Ivoire (Onuci), certification pourtant requise par l’Accord politique de Ouagadougou signé sous l’égide du président du Faso.
Le président sortant —qui refuse de sortir— débride Charles Blé Goudé, le leader des Jeunes patriotes devenu ministre de la Jeunesse. Début février, dans les discours de Blé Goudé, Blaise Compaoré cesse d’être «la solution» pour redevenir «le problème». Il est présenté comme un «belligérant», un «sosie de Sarkozy» affidé à la puissance française néo-colonialiste…
Là, un certain Bagnomboé Bakyono, citoyen burkinabè, se sent insulté. Il initie la mobilisation pour la marche du 11 février. De l’autre côté de la frontière, son compatriote Mamadi Bila, président de Réveil club de la diaspora burkinabè en Côte d’Ivoire, tient le même discours.
Mais pour comprendre le contexte de cette brouille intermittente, il faut revenir une cinquantaine d’années en arrière…
Le tissage social et culturel est serré
Le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire partagent une histoire commune. En 1933, les deux territoires sont organisés en Basse Côte d’Ivoire (aujourd'hui Burkina Faso) et Haute Côte d’Ivoire (aujourd'hui Côte d'Ivoire). Souffrant de l’enclavement géographique et du manque de ressources naturelles, la population du nord émigre massivement vers les plantations du voisin du Sud.
Trois millions de burkinabè s’installeront sur le sol ivoirien. Nombreux sont les Burkinabè qui naissent en Côte d’Ivoire. Innombrables sont les «Burkinabè du Burkina» qui ont un lien familial avec ceux qu’on appelle les «diaspos».
À Ouaga, on goûte ivoirien, on écoute ivoirien, on parle ivoirien. On mange de l’attiéké (semoule de manioc typiquement ivoirienne), on se déhanche sur le coupé-décalé (musique dansante née à Abidjan), on prononce des bribes de «nouchi» (argot de la lagune Ebrié). Même dans le domaine audiovisuel, les castings mêlent comédiens ivoiriens et burkinabè. Il en est ainsi des séries Quand les éléphants se battent ou Super flics.
Le président du Burkina Faso est annoncé en Côte d’Ivoire le 22 février prochain. Après la manifestation du 11, le mouvement J’aime ma patrie entend organiser deux autres «marches-meetings»: une pour accompagner Blaise Compaoré le jour de son départ, et une pour l’accueillir à son retour de mission.
Avec un millier de marcheurs, la première mobilisation n’a pourtant pas été impressionnante. Il ne faudrait pas en conclure que les Burkinabè ne savent pas investir les rues. Chaque 3 janvier, on commémore le soulèvement populaire qui, en 1966, sonna le glas du premier président de la République de Haute-Volta (actuel Burkina Faso), Maurice Yaméogo.
Mais, pour une mobilisation Facebook, il faudra un peu plus que les 178.100 burkinabè connectés à Internet (soit 1% de la population) que comptait en 2009 le CIA World Fact Book. Comble du dérisoire, le réseau électrique burkinabè est interconnecté à la Côte d'Ivoire depuis 2009. En cas de mobilisation Web 2.0 massive, Laurent Gbagbo pourra toujours couper l’électricité…
Damien Glez