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Bénin, S.O.S démocratie
La proposition du président Boni Yayi de réviser la Constitution a du mal à convaincre. Certains craignent pour la démocratie béninoise, car plusieurs chefs d'Etat africains s'en sont servi pour prolonger leur mandat.
Lors de son discours d’investiture à Porto-Novo le 6 avril 2011, le président du Bénin Boni Yayi a réaffirmé son engagement à réviser la Constitution du 11 décembre 1990.
Bien avant sa réélection controversée à la dernière présidentielle (13 mars 2011), il avait clairement affiché cette volonté. Un comité d’experts —présidé par l’éminent constitutionnaliste Maurice Ahanhanzo Glèlè— commis à cet effet avait même déjà déposé les résultats de ses travaux. Rien d’étonnant donc, à ce que le débat revienne au-devant de la scène sociopolitique quelques mois après son investiture.
«Cette proposition n’engage que ceux qui y croient»
La Constitution a elle-même prévu les mécanismes de sa révision —là n’est donc pas le problème. Mais si elle mérite objectivement par certains points une relecture, on est cependant en droit de se poser beaucoup de questions sur les tenants et aboutissants de cette volonté manifeste.
Selon les partisans du chef de l’État, comme ses conseillers politiques Amos Elègbè, Alexandre Hountondji et Joseph Tamegnon —qui se défendent d’une révision opportuniste—, plusieurs raisons motivent une telle démarche. Ils citent ainsi entre autres avancées désormais, la tenue du second tour de la présidentielle deux semaines après la proclamation des résultats du premier tour et non après le premier tour; l’institutionnalisation de la Cour des comptes, de la Commission électorale nationale autonome, du médiateur de la République.
L’avocat Jacques Migan pense que «cette proposition des thuriféraires du régime n’engage que ceux qui y croient». La priorité, estime-t-il, devrait être de réviser d’abord la liste électorale permanente informatisée (Lepi):
«Au lendemain des élections de mars-avril 2011 qui ont détruit le dialogue politique et affaibli l’autorité du chef de l’État, la priorité des priorités devrait être d’amender la Lepi. Aucune consultation, aucune expression sincère et véritable de la volonté de ce peuple n’est possible avec cet instrument dans sa conception actuelle. Et toute révision de la Constitution sans la révision de la Lepi sera un coup sérieux et grave porté à la paix, à l’unité nationale, à la démocratie et au développement».
Pour le leader du Parti du renouveau démocratique (PRD) et leader de l’opposition béninoise maître Adrien Houngbédji, il s’agit d’une révision opportuniste. Le secrétaire général du parti, Wabi Fagbémi, ne s’est pas fait prier lors de l’université de vacances du parti pour lancer:
«La vraie menace contre nos institutions est dans le projet de refondation qui porte en germe la destruction de notre régime».
Bien avant lui, Célestine Zannou, la présidente de Dynamique du changement pour un Bénin debout (DCBD) n’était pas passée par quatre chemins: «Nous sommes passés du héros au zéro», avait-elle déclaré en parlant de la démocratie béninoise devant un parterre de diplomates en visite au Bénin. Et d’ajouter:
«Tout le monde va à la mouvance même si on n’est pas convaincu. Conséquence: il n’y a plus d’opposition».
Le laboratoire de la démocratie en Afrique s’effrite
En effet, la société civile reste le dernier rempart de la démocratie béninoise, dans un paysage politique où l’argent est devenu la seule boussole du jeu pour beaucoup. C’est d’ailleurs pour cette raison que dans la bataille pour la révision constitutionnelle, les Béninois s’attendent à ce que la société civile fasse preuve de discernement et agisse dans l’intérêt supérieur du peuple. Au-delà des querelles de clochers.
Le président Boni Yayi a maintes fois répété qu’il n’allait plus se présenter à la présidentielle, mais il ne semble convaincre que ses partisans avec la révision constitutionnelle en perspective. Et même si certaines réformes sont pertinentes, cette équivoque risque d’être le point d’orgue qui pourrait faire échouer ladite révision.
D’autant plus que la question de changement de République se pose, avec tout ce qu’il comporte d’insidieux au plan politique. A moins d’inscrire dans le fameux projet de nouvelle Constitution en circulation un article qui précise que tout président en exercice lors de toute révision constitutionnelle ne saurait se présenter à la prochaine élection s’il est à la fin des deux mandats constitutionnellement reconnus.
Bien loin de Cotonou et Porto-Novo, les deux centres névralgiques de la vie politique nationale, le débat sur la révision constitutionnelle passionne même dans le Bénin profond. Au Nord-Ouest, des organisations de la société civile se mobilisent pour non seulement expliquer aux citoyens le nouveau projet à réviser, mais aussi donner des consignes de vote. Pour le Collectif du 9 février, de Natitingou:
«Si le nouveau projet de Constitution ne nous spécifie pas clairement que l’entrée dans une nouvelle République ne donne pas une virginité au président de la République en exercice pour se représenter éventuellement, nous appellerons à voter contre, même si nous approuvons les amendements.
Quoi qu’il en soit, il faut un débat national. On ne peut pas se contenter du travail d’une commission d’experts, aussi éminents soient-ils, sans tenir compte de l’avis du peuple pour réviser notre Constitution. Ce serait se moquer encore une fois de lui, comme on l’a toujours fait depuis l’indépendance de notre pays».
Avant le référendum qui doit consacrer la refondation promise par le président Boni Yayi, tous les protagonistes de la vie nationale fourbissent leurs armes selon qu’ils sont pour ou contre. Au plan politique, il faut s’attendre ainsi à une sorte de second tour de la présidentielle —qui n’a pas eu lieu— entre partisans et adversaires de Boni Yayi et Adrien Houngbédji, puisque les deux camps sont diamétralement opposés sur la question.
Le Bénin n’est pas le seul pays à connaître une révision constitutionnelle en Afrique, loin s’en faut. De nombreux autres sont déjà passés par cette étape pour diverses raisons. Il y a quelque temps, Robert Dossou, actuellement président de la Cour constitutionnelle et membre de la commission ayant rédigé le nouveau projet de Constitution du Bénin, avait d’ailleurs déclaré à ce propos:
«Une action peut être dans la ligne de la légalité la plus pure et se révéler parfaitement illégitime. La légitimité, c’est la conformité à la conscience du moment».
Certains chefs d’État comme Paul Biya (Cameroun), Idriss Déby Itno (Tchad), Abdoulaye Wade (Sénégal) ou Abdelaziz Bouteflika (Algérie) ont déjà réussi à passer le cap de la révision constitutionnelle. D’autres, en revanche, ont peiné à le faire avec des fortunes diverses.
Réviser pour mieux régner
L’ex-président Olusegun Obasanjo (Nigeria), qui a tenté en vain, a fini par y renoncer lui-même en faisait élire son protégé, feu Umaru Yar’Adua à sa succession. Quant à Mamadou Tandja (Niger), qui avait réussi le passage en force en se mettant à dos l’opposition et la société civile, il a été débarqué par le coup d’État des colonels dirigé alors par Salou Djibo. La suite, on la connaît désormais. La transition démocratique consécutive à ce putsch a conduit à l’avènement du nouveau président Mahamadou Issoufou à la suite d’élections libres et transparentes.
Peu avant les multiples mutineries qui ont ébranlé le Burkina Faso, des militants du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, au pouvoir) envisageaient de procéder à une relecture de la Constitution du pays. Et cela dans l’intention de permettre au président Blaise Compaoré de se représenter à la fin de son mandat en 2015. Du reste, le Conseil consultatif sur les réformes politiques (CCRP), mis en place au lendemain de ces événements, n’a toujours pas tranché sur l’article 37 de la Constitution limitant à deux les mandats présidentiels, faute d’accord.
Le sursaut de la société civile en Afrique, doublé des pressions des partenaires occidentaux pourrait freiner les révisions constitutionnelles visant à prolonger la longévité au pouvoir des chefs d’État.
Mais pour contourner cette nouvelle donne, il est à craindre que certains usent de subterfuges politiques. En s’abritant derrière des points qui méritent vraiment révision, cela permet de remettre les compteurs à zéro pour s’éterniser au pouvoir en briguant de nouveaux mandats. Et c’est à ce sujet qu’il faut un balisage juridique pour réfréner les ardeurs des uns et des autres.
Marcus Boni Teiga
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