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Malabo Oct 2001, by Podknox via Flickr CC
Malabo Oct 2001, by Podknox via Flickr CC

Nous n'irons pas à Malabo

Le 17e sommet de l'Union africaine s'est ouvert le 23 juin 2011 en Guinée équatoriale. Un pays où Reporters sans frontières voulait se rendre en mission, mais où l'ONG n'est pas la bienvenue…

Cinquante-deux chefs d'Etat et de gouvernement se réunissent à Sipopo, un site volontiers décrit comme paradisiaque, à quelques kilomètres de Malabo, la capitale équato-guinéenne, pour le sommet de l'Union africaine qui s'est ouvert le 23 juin et s'achèvera le 1er juillet prochain. Le président de la République de Guinée équatoriale, Teodoro Obiang Nguema, hôte de l'événement en qualité de président de l'Union africaine en exercice, a fait construire pour l'occasion ce complexe ultraluxueux. Coût total de l'entreprise: plus de 830 millions de dollars, soit 587 millions d’euros.

Qu'importe si les trois quarts de la population du pays vivent en dessous du seuil de pauvreté, malgré les revenus exorbitants tirés du pétrole (le pays est l'un des premiers producteurs d'or noir du monde). Le chef de l'Etat ne lésine pas sur les moyens. La Guinée équatoriale doit apparaître sous son meilleur jour pour gagner en notoriété et attirer les investisseurs étrangers. La société civile ne participera pas au sommet. Les journalistes qui se voudraient critiques non plus. Ils seront étroitement surveillés ou tenus à l'écart.

Violations des droits de l'homme et absence de liberté de la presse

Pays déjà hostile au respect des droits de l'homme, la Guinée équatoriale a récemment «fait le ménage», suscitant quelques réactions d'ONG ou de la communauté internationale. Inquiet des révolutions dans les pays arabes et soucieux de ne pas être fragilisé avant d'accueillir le sommet de l'UA, le régime de Malabo a depuis quelques mois donné un nouveau tour de vis.

Amnesty International dénonçait, le 21 juin une «hausse des arrestations arbitraires», faisant état de descentes de police dans les quartiers où vivent des étrangers ou des immigrés en situation irrégulière, et de l'arrestation, fin mai, d'une centaine d'étudiants, «sans qu'aucune raison n'ait été donnée». Human Rights Watch s'est également inquiétée de la dégradation de la situation des droits de l'homme à la veille du sommet. Des experts des Nations unies ont, quant à eux, dénoncé un usage systématique de la torture.

Pendant ce temps, la radio-télévision d'Etat RTVGE diffuse des spots publicitaires à la gloire du président Obiang et du «développement» du pays.

En Guinée équatoriale, la presse privée n’existe pratiquement pas. Elle est limitée à quelques titres. Les journalistes des médias d’Etat sont obligés de relayer la propagande officielle. Ayant le statut de fonctionnaires, ils peuvent être licenciés du jour au lendemain, sans préavis ni explication. Le pays ne compte ni syndicat ni association de défense des journalistes. Le ministère de l’Information, constitué de personnalités toutes membres du Parti démocratique de Guinée équatoriale (PDGE, au pouvoir), fait office d’organe de régulation des médias.

En 2010, la Guinée équatoriale se trouvait à la 167e position (sur 178 pays) du classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF). Elle était ainsi le quatrième pays africain le moins bien classé derrière l'Erythrée, le Soudan et le Rwanda, et juste devant la Somalie.

Une équipe de télévision allemande expulsée

Parmi les derniers incidents en date, trois journalistes de la chaîne de télévision allemande ZDF ont été reconduits à l'aéroport de Malabo et expulsés du pays le 11 juin dernier, après avoir été retenus pendant plusieurs heures. Jorg Brase, journaliste, Michael Berger, cameraman, Stanley Oriaro, cameraman-assistant, et leur fixeur équato-guinéen avaient été arrêtés par des agents de la sécurité d'Etat en civil, visiblement sur ordre du directeur de la télévision nationale Teobaldo Nchaso Matomba, alors qu'ils filmaient un concert au Centre culturel français de Malabo.

L'équipe avait auparavant tourné quelques images dans un quartier pauvre d'où est originaire une joueuse de football équato-guinéenne (la Coupe du monde de football féminin s’est ouverte le 26 juin en Allemagne, et la Guinée équatoriale y participe). Elle avait aussi réalisé des interviews avec le leader de l'opposition Placido Mico Abogo et des avocats défenseurs des droits de l'homme.

Leurs images ont été effacées et leurs cartes mémoire confisquées.

Un véritable incident diplomatique. Quelques jours plus tard, le ministère allemand des Affaires étrangères convoquait l'ambassadeur de la Guinée équatoriale en Allemagne. De son côté, le quotidien allemand Der Spiegel publiaient deux articles très critiques à l'égard du pays, s'offusquant du traitement réservé à ses confrères de la ZDF. Comme un échange de bons procédés, c'était au tour du Premier ministre équato-guinéen, Ignacio Milam Tang, de s'entretenir avec un diplomate allemand, à Malabo, pour lui faire part de sa désapprobation.

«Mentions désobligeantes»

Depuis plusieurs années, Teodoro Obiang Nguema figure sur la liste des prédateurs de la liberté de la presse dénoncés par RSF. En septembre 2009, le secrétaire général de l'organisation avait été reçu par l'ambassadeur de la Guinée équatoriale à Paris, Federico Edjo Ovono, pour évoquer le cas du correspondant de l'Agence France-Presse (AFP) et de Radio France Internationale (RFI), Rodrigo Angue Nguema, détenu à l'époque à la prison de Black Beach. Lors de l'entretien, le diplomate africain, flanqué des avocats français du président Teodoro Obiang Nguema et de l'Etat équato-guinéen, avait taxé RSF de «méconnaissance» de la réalité du pays et invité l'organisation à «reconsidérer le statut de prédateur dont vous avez affublé notre président».

Bien décidée à se rendre sur place début avril 2011 pour faire un état des lieux des médias et de la liberté de la presse dans le pays, RSF a écrit à l'ambassadeur de Guinée équatoriale à Paris pour l'informer de son intention de déposer une demande de visa. Dans une lettre en date du 11 mars, le diplomate a fait savoir à l’ONG qu'elle n'était pas la bienvenue à Malabo:

«[…] vous comprendrez qu'actuellement, il ne nous est pas possible de donner une suite favorable à votre demande de réception par S.E le Président de la République, ni par le porte-parole du Gouvernement, et encore moins de vous faire une invitation privée, tant que les mentions désobligeantes portées à l'encontre de notre Président subsisteront sur votre site.»

Jolie tentative de maîtrise d'une partie de l'espace éditorial de RSF. L'ambassadeur poursuit:

«En effet à notre sens, vous ne pouvez utiliser les qualificatifs que vous mentionnez pour parler du Président de la République de Guinée équatoriale, et encore moins pour parler du Président de l'Union africaine qui a été élu et reconnu par ses pairs.»

Que Monsieur le prédateur de la liberté de la presse se rassure. Il peut recevoir ses pairs en toute quiétude. Son régime, qui rend déjà Malabo inaccessible aux journalistes qui pourraient le critiquer ou voudraient simplement décrire la réalité de ce pays, devrait avoir cette semaine un œil plus qu'attentif sur les médias présents au sommet.

Ambroise Pierre

Bureau Afrique - Reporters sans frontières

 

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"Sans une presse libre, aucun combat ne peut être entendu" Dans certains pays, un journaliste peut passer plusieurs années en prison pour un mot ou une photo. Parce que emprisonner ou tuer un journaliste, c’est éliminer un témoin essentiel et menacer le droit de chacun à l’information, Reporters sans frontières, fondée en 1985, œuvre au quotidien pour la liberté de la presse.

Ses derniers articles: Niger: La liberté de la presse a des limites  Les médias guinéens sous pression  Nous n'irons pas à Malabo 

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