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Sénégal: les raisons du retour d'Abdoulaye Wade au bercail
Il vient soutenir son fils empêtré dans un scandale politico-financier. Mais pas seulement.
L'ancien président sénégalais, Abdoulaye Wade, après deux ans d’absence, a annoncé son retour au pays pour ce mercredi 23 avril 2014. Pour un événement, c’en est un. En effet, le chantre du «Sopi» (changement), qui a régné sur le Sénégal de 2000 à 2012, motive son retour par son souci de défendre son fils qui attend d’être jugé pour biens mal acquis.
L’autre motivation de ce retour est liée à sa volonté de relancer le PDS (Parti démocratique sénégalais), qui est aujourd’hui la principale formation de l’opposition politique sénégalaise. Les raisons pour lesquelles Abdoulaye Wade envisage de rentrer au bercail peuvent être analysées de la façon suivante.
Compassion pour un fils en difficulté
Abdoulaye Wade est dans son bon droit de vouloir défendre son fils qui, à ses yeux, est incarcéré pour des raisons politiques. Humainement parlant, l’on peut comprendre qu’un père ait de la compassion pour un fils en difficulté, et qu’il manifeste de ce fait à son endroit un devoir d’assistance et de solidarité.
Mais en professionnel du droit, Abdoulaye Wade ne devrait pas s’en offusquer outre mesure. En effet, les faits reprochés à Karim Wade sont d’une telle gravité que seul un procès public, respectueux des droits de l’accusé, peut permettre aux Sénégalais de démêler l’écheveau de l’un des plus grands scandales politico-financiers de l’Afrique, au cœur duquel se trouve l’ancien ministre «du ciel et de la terre».
De ce point de vue, les jérémiades du père Wade selon lesquelles Macky Sall, l’actuel président, a mis son fils en prison pour neutraliser le seul vrai rival capable de l’affronter, ne peuvent pas tenir la route avant que le droit ne soit dit dans cette affaire. Abdoulaye Wade gagnerait plutôt à se joindre au Conseil d’avocats qui défendent son fils, puisque lui-même est avocat, pour démontrer, preuves à l’appui, que Karim est blanc comme neige dans les charges retenues contre lui. Toute autre démarche pourrait être perçue comme une tentative de faire dans l’émotion pour divertir les Sénégalais.
D’ailleurs, l’on pourrait trouver à redire sur la posture de défenseur des droits humains dans laquelle l’ancien président se présente. En effet, l’on peut être étonné de voir Abdoulaye Wade dont le pouvoir a été marqué par la traque de journalistes et par sa volonté de mettre sous le boisseau l’affaire du boucher de Ndjamena, Hissène Habré, se muer aujourd’hui subitement en Zorro des droits humains.
La vérité est que Abdoulaye Wade est disqualifié pour remonter les bretelles à Macky Sall en matière de violation des droits de l’Homme. Karim Wade a beau être fils d’ancien président, il n’est pas au-dessus des lois du Sénégal. Le Sénégal et, dans une certaine mesure, l’Afrique doivent mettre à profit ce procès pour justement brocarder la propension maladive de certains présidents à impliquer leur fratrie et leur progéniture dans la gestion des affaires de l’Etat. Et le mérite pourrait revenir à Macky Sall qui a mis le doigt sur une des plaies saignantes de la politique en Afrique.
Cris d'orfraie d'un père
Et si les faits reprochés à Karim Wade se confirmaient, son père devrait d’abord s’en prendre à lui-même. En effet, c’est lui qui aura créé les conditions qui ont permis à son fils d’avoir des opportunités de faire main basse sur les deniers publics du Sénégal, et de se tisser un réseau obscur avec des ramifications à l’étranger.
Karim Wade n’aurait peut-être pas eu les ennuis judiciaires qui sont les siens aujourd’hui, si son père n’avait pas voulu édifier un empire financier en sa faveur à la hauteur de l’ambition politique qu’il nourrissait pour lui. Les cris d’orfraie que Wade père pousse aujourd’hui ne peuvent donc pas occulter sa responsabilité dans la descente aux enfers de son fils.
L’autre raison par laquelle Abdoulaye Wade explique son retour au pays, est relative à sa volonté de relancer le PDS. Là aussi, Gorgui n’est pas étranger à la déculottée que son parti a connue lors des élections de 2012.
En effet, à force de vouloir imposer son fils contre vents et marées, il a fini par exaspérer certains de ses proches qui ont décidé d’aller voir ailleurs pour protester contre les velléités de Wade de «patrimonialiser» le pouvoir d’Etat et le PDS.
Cela dit, Abdoulaye Wade ne devrait pas craindre un procès de son fils au Sénégal qui est un pays de droit. Il doit donc avoir confiance en la justice de son pays. La posture d’auto-victimisation dans laquelle il s’est installé aujourd’hui pourrait ne pas convaincre les Sénégalais qui n’ont certainement pas oublié les dérives de ses 12 ans de règne en termes de corruption, de dépenses de prestige, de passe-droits et d’atteinte à la démocratie par le tripatouillage de la Constitution pour s’accrocher au pouvoir.
Et puis, Karim Wade n’est pas né de la dernière pluie. Il pourrait de ce fait ne pas avoir besoin des jérémiades de son père pour faire face à la justice de son pays. Donc, Gorgui, un peu de retenue, car Karim est majeur. Sans son père qui a la chance d’être un octogénaire bon pied, bon œil, il peut se défendre.
Pousdem Pickou
Cet a d'abord été publié par LePays.bf