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Une partie de football à Dakar au Sénégal en 2007 by Serigne Diagne via Flickr
Une partie de football à Dakar au Sénégal en 2007 by Serigne Diagne via Flickr

Le football africain fait rêver le Qatar

La remarquable école de football du Qatar, Aspire, est-elle un projet humanitaire ou un moyen d'acquérir les meilleurs joueurs d'Afrique?

Aspire, une académie du sport qatari, a envoyé en 2007 des milliers d'observateurs en Afrique pour y dénicher les espoirs les plus prometteurs du football.

Les meilleurs de ces joueurs, tous nés en 1994, ont constitué la première promotion d'un projet appelé «Football Dreams». En juillet 2011, ce même groupe a participé à la Milk Cup irlandaise, qui compte parmi les plus prestigieux tournois pour jeunes footballeurs.

Un tournoi qui a servi de terrain d'essai à nombre de prodiges en herbe (David Beckham, Wayne Rooney et Ryan Giggs peuvent en attester). L'équipe d'Aspire a vaincu les jeunes joueurs de Manchester United en finale, cinq buts à zéro.

Difficile de comprendre comment une équipe sans affiliation professionnelle, en provenance d'un lointain désert, a pu écraser les jeunes stars de la principale pépinière de talents du football mondial au point de les faire passer pour des pour des petits garçons. Un cas de figure sans précédent. Inimaginable.

Et pourtant, la chose est arrivée. Et ce n'est pas la première fois: Aspire avait déjà vaincu Manchester United lors de la Milk Cup de l'an dernier (la catégorie d'âge étant certes inférieure).

Aspire va droit au but

L'incroyable succès d'Aspire semble indiquer que les Qataris ont percé les secrets de l'entraînement des joueurs d'élite. Le projet doit son succès à l'argent, au partage des connaissances et au nombre incalculable d'observateurs envoyés sur le terrain. Mais pourquoi le Qatar est-il si déterminé à bâtir un empire du football junior?

Aspire a été créé en 2004 par Hamad bin Jassim bin Jaber Al Thani, Premier ministre de l’émirat du Moyen-Orient. Il voulait en faire un centre de développement pour athlètes et universitaires. Le centre compte aujourd'hui environ 200 étudiants, de la cinquième à la terminale.

Ces derniers suivent une formation sportive toute l'année. Le campus fait partie de l'Aspire Zone de Doha, un immense complexe, qui comprend des zones commerciales, des hôtels, un hôpital spécialisé en orthopédie et en médecine du sport, ainsi que l'Aspire Dome, le plus grand stade couvert au monde.

Officiellement, Football Dreams est un projet humanitaire géré par Aspire Academy. Il a pour objectif de permettre aux petits génies africains parmi les plus démunis de faire carrière dans le football professionnel.

La plupart des joueurs sélectionnés par Football Dreams ne passent que peu temps au Qatar; ils sont redirigés vers une version un peu moins chic du complexe qatari, en Afrique de l'Ouest: Aspire Senegal.

Mais le fait de décrocher une bourse d'études Aspire demeure une chance des plus rares. Un joueur doit surmonter bien des obstacles pour être retenu par le processus de sélection particulièrement exigeant de l'école. L'académie déclare avoir évalué 600.000 candidats (originaires de 15 pays) en 2010; le programme de sélection le plus important de l'histoire du football.

Comment le Qatar les prend au berceau?

Aspire se distingue des clubs européens par sa capacité à attirer des joueurs relativement jeunes (la plupart des recrues sont âgés de quatorze ans). En Europe, le recrutement des joueurs étrangers est plus réglementé. C'est tout particulièrement vrai en Angleterre, où les ressortissants de pays n'appartenant pas à l'Union européenne doivent avoir au moins dix-huit ans et disposer d'un permis de travail pour rejoindre une équipe.

A l'inverse, les Qataris peuvent recruter n'importe quel joueur africain. Leur seule limite demeure la taille de leur compte en banque. Et elle semble, pour l'heure, ne pas avoir de limite.

Une chose est sûre: les techniques de recrutement d'Aspire dépassent de très loin celles qui sont généralement employées sur le continent. Comme le rapportait Der Spiegel l'année dernière, en Europe, un quart des joueurs étrangers de haut niveau sont des Africains.

Dénicher un joueur africain de talent rapporte gros, et ces recrutements font l'objet d'un florissant marché noir. Les prodiges —qui peuvent être très jeunes: sept ans dans certains cas, selon un article du Guardian— sont contactés par des observateurs, des agents ou des écoles délabrées, qui ne sont parfois que des lopins de terre sur le bord d'une route, sans terrain convenable, voire sans buts.

Leurs contrats sont vendus et rachetés au cours de leur formation, et leurs entraîneurs empochent la majeure partie des bénéfices. Un système pour le moins douteux, proche de celui du monde du baseball junior en République dominicaine, où les buscones revendiquent la propriété des joueurs prometteurs —et où les jeunes espoirs ne sont souvent payés qu'en promesses.

Dans l'univers du sport professionnel, la jeunesse est une marchandise, et les dénicheurs de talents d'Afrique et de République dominicaine ont souvent tendance à modifier à la baisse l'âge de leurs recrues —en faisant passer un joueur moyen âgé de vingt ans pour un joueur d'élite qui en aurait dix-sept, ils font grimper d'autant leurs marges de bénéfice.

En visionnant les moments marquants de la Milk Cup 2011, il est difficile de ne pas douter de l'âge annoncé des joueurs d'Aspire. On les voit distancer les meilleurs joueurs de Manchester United avec un peu trop d'aisance; la finesse de leur jeu et leur vivacité d'esprit semblent bien précoces. Sans parler d'Ibrahima Drame, l'avant sénégalais, qui a marqué trois buts dans la première mi-temps. Drame serait né en 1994; on peut en douter.

Des Africains tombés dans les filets de l'équipe qatarie

Si le seul but d'Aspire était de gagner quelques matchs et de tirer des enfants prodiges de la pauvreté, l'âge de ses joueurs ne nous intéresse guère. Mais si l'objectif réel du projet Football Dreams est de recruter les meilleurs joueurs possibles dans l'équipe nationale du Qatar, la chose devient un peu plus problématique.

Le Qatar accueillera la Coupe du monde de football de 2022, et en vertu du règlement de la FIFA, l'équipe du pays organisateur est automatiquement qualifiée. L'équipe du Qatar, qui pointe actuellement à la 88e place du classement de la FIFA, n'est jusqu'ici jamais parvenue à participer à la Coupe. En recrutant des joueurs dans l'ensemble de l'Afrique, l'émirat pourrait bientôt offrir de meilleures perspectives d'avenir à son équipe. Football Dreams est peut-être avant tout destiné à lui épargner l’humiliation d’une cuisante défaite.

Le Qatar nie vouloir intégrer les joueurs de Football Dreams à son équipe de la Coupe du Monde, et rappelle qu’il collabore étroitement avec les fédérations des pays dont sont originaires les jeunes footballeurs. Plus de 30 athlètes de Football Dreams ont joué pour leur équipe nationale, et pour l’heure, aucun joueur n’a représenté le Qatar. Mais l’émirat a déjà payé des athlètes (d'autres disciplines sportives) pour les inciter à abandonner leur pays d'origine. Il n’a jusqu'ici jamais fait l'acquisition de footballeurs, mais la taille et l’envergure de l’Aspire Academy laisse penser que les premiers acomptes ont déjà été versés.

Un objectif flou

Le Qatar compte générer de la croissance et gagner une reconnaissance internationale grâce au sport; et Football Dreams est dans la droite ligne de cette volonté politique. Les victoires de l’équipe d’Aspire et l’histoire de Football Dreams l’ont certes déjà rendu célèbre dans le monde entier, mais l’émirat pourrait élaborer un projet humanitaire plus efficace sur le plan financier.

Et si son seul but était de promouvoir le football africain, mieux vaudrait investir pour offrir des terrains, des programmes d’entraînement et de l’équipement sportif aux équipes du continent plutôt que d’envoyer une poignée de joueurs dans une école spécialisée.

Pour l’heure, le Qatar réserve ses ressources à un petit groupe de privilégiés. Les recrues affrontent des équipes d’élite tous les week-ends pendant l’année scolaire, et participent chaque été à des tournois internationaux pour jeunes footballeurs.

L’équipe de Manchester United savaient sans doute ce qui l’attendait lors de la Milk Cup; elle affronte les jeunes joueurs du Qatar assez régulièrement. Il arrive même que l’équipe première d’United fasse le déplacement; dans de telles occasions, les superstars mancuniennes participent à la formation des protégés d’Aspire.

Des moyens illimités

L’école n’étant liée à aucune équipe professionnelle, les meilleurs centres de formation du monde sont disposés à leur enseigner leurs techniques d’entraînement et à leur dispenser des conseils tactiques. Par ailleurs, Aspire dispose d’assez de fonds pour s’offrir les services grands théoriciens du ballon rond. Outre Manchester, les équipes du FC Barcelone et du Milan AC se sont déjà rendues à Doha.

Les premiers élèves du projet Football Dreams n’ont pas encore achevé leur scolarité, mais les joueurs d’Aspire s’intègrent peu à peu à la scène du football international. Ibrahima Drame a récemment défendu les couleurs du Sénégal dans l’équipe des moins de dix-sept ans, mais il ne rejoindra pas les Lions avant d’avoir fait ses preuves dans l’équipe première d’un club.

La qualification du Qatar à la Coupe du Monde 2014 est loin d’être assurée; si l’émirat proposait à Drame de devenir citoyen qatari, il renforcerait sans doute le jeu de la ligne avant de sa nouvelle équipe. Décidera-t-il de rester au Sénégal, ou de tout faire pour intégrer l’équipe du Qatar? Lorsque son choix sera fait, nous saurons quel est le but réel du projet d’entraînement sportif le plus ambitieux de la planète.

Brian K. Blickenstaff

Traduit par Jean-Clément Nau

 

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