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Mahmoud Djibril, président du CNT, à l'Assemblée générale des Nations unies, le 24 septembre 2011. REUTERS/Chip East
Mahmoud Djibril, président du CNT, à l'Assemblée générale des Nations unies, le 24 septembre 2011. REUTERS/Chip East

Quels partis pour la Libye d’après Kadhafi?

Les élections approchent à grands pas. La Libye va-t-elle savoir rester unie, ou risque-t-elle la division?

Moustafa Abdel Jalil, président du Conseil national de transition libyen (CNT), a fort à faire en ce moment. Après avoir reçu les dirigeants turc, français et britannique à Tripoli la semaine dernière, il a rencontré le président américain Barack Obama lors de l’Assemblée générale des Nations unies à New York, le mardi 20 septembre.

Peu d’informations ont filtré autour de cette rencontre, mais la transition libyenne vers la démocratie —perspective intimidante pour un gouvernement temporaire qui a réussi à obtenir la reconnaissance internationale, mais doit à présent organiser des élections dans un pays qui n’a jamais vraiment connu de partis politiques— a sans doute figuré parmi les principaux sujets de conversations. 

 «Nous savons tous ce qui est nécessaire», a déclaré Obama. «Une transition dans les temps. De nouvelles lois et une Constitution qui fasse respecter l’État de droit. Des partis politiques et une société civile solide. Et, pour la première fois dans l’histoire de la Libye, des élections libres et justes.»

Abdel Jalil avait déclaré en mars que les membres du CNT n’auraient pas le droit de se présenter à de quelconques élections futures, ce qui signifie que les dirigeants actuels de la Libye ne joueront théoriquement aucun rôle officiel une fois le nouveau gouvernement élu mis en place. Voilà qui va permettre en effet à l’arène politique de s’ouvrir à la participation populaire, pour la première fois de toute l’histoire si mouvementée du pays.

Le non-héritage politique de Kadhafi

Certains Libyens se souviennent peut-être à peine de leurs plus récentes élections multipartites, en 1952, peu après l’unification des trois provinces du pays, menée par l’ONU. Ce vote, dont beaucoup estiment qu’il fut manipulé par le gouvernement monarchique basé à Benghazi, déclencha des troubles qui menèrent à la dissolution de la principale force d’opposition de la région occidentale de Tripolitaine et à l’interdiction de tous les partis politiques.

La répression anéantit les espoirs qu’une démocratie capable de fonctionner puisse prendre racine et laissa aux influences tribales, régionales et financières la plus haute main sur la manière dont la Libye allait être gérée.

La transition actuelle est obscurcie par l’ombre du système incohérent et paradoxal du Jamahiriya de Mouammar Kadhafi, qui se prétendait un gouvernement direct par les masses, mais qui en réalité impliquait de maîtriser les allégeances tribales et régionales par la force et l’argent, tout en empêchant l’émergence de bases parallèles de pouvoir politique ou religieux.

Le régime de Kadhafi écrasait les mouvements islamistes locaux, comme le Groupe islamique combattant en Libye, et, lors des premières décennies de son règne, assassinait fréquemment des leaders d’opposition en exil en Europe et plus loin.

Au fil des ans, Kadhafi effectua des volte-face idéologiques aussi incomplètes qu’imprévisibles, non pas en réaction à la pression populaire ou à une opposition politique organisée, mais plutôt pour s’assurer la survie de son régime en évoluant avec son époque. Il a survécu et renoncé à la fois au nationalisme panarabe qui lui avait inspiré la prise du pouvoir en 1969, et à l’idéologie quasi socialiste qui perdit la plus grande partie de sa raison d’être après la chute de l’Union soviétique.

En termes économiques, le penchant ultrasocialiste du Kadhafi des années 1970 et 1980 céda la place à la libéralisation au début des années 2000, assez significative pour déclencher un conflit interne entre réformateurs économiques, menés par son fils Saif al-Islam, et la vieille garde dirigée par le Premier Ministre Baghdadi Ali al-Mahmoudi, qui avait de grands intérêts à protéger.

A peu près à la même époque, une volte-face plus radicale encore fit passer Tripoli du statut de paria insolent à celui d’allié apparent de l’Occident, étreignant ses anciens ennemis à Washington et à Londres.

En bref, Kadhafi n’a laissé derrière lui aucun héritage idéologique significatif. Il sera fascinant de voir quels genres de partis politiques —et il ne peut y avoir de transition démocratique sans eux— émergeront dans son sillage. Mais il faut que le CNT commence à les autoriser au plus vite, s’il a l’intention d’atteindre son ambitieux objectif de tenir des élections l’année prochaine.

Le risque du factionnalisme régional

Les mouvements de jeunes qui ont joué un rôle central dans l’organisation des manifestations vont probablement former des partis, même s’il leur manquera sans doute le ciment idéologique pour en assurer la cohésion dans l’ère post-Kadhafi. Les exilés libyens de retour essaieront peut-être aussi d’en former, bien que n’étant pas connus en Libye, ils auront sans doute du mal à se gagner des soutiens.

Il serait également bien surprenant qu’un groupe similaire au parti de la Renaissance islamique modéré tunisien ou au parti de la Liberté et de la justice égyptien, formé en avril par les Frères musulmans, ne se mette pas en place. La société libyenne est généralement conservatrice, et les partis qui ont l’islam pour porte-étendard devraient rallier un important soutien.

Les partis politiques et leurs bases de soutien seront probablement surtout influencés par le régionalisme. Cette force n’est plus aussi puissante que dans les années 1950, à l’époque où le commissaire des Nations unies Adrian Pelt invita sept représentants de chacune des trois provinces libyennes (Tripolitaine, Cyrénaïque et Fezzan) pour discuter de la formation d’une nouvelle assemblée nationale. Mais si les forces pro-CNT ont pu être unies dans l’objectif de battre Kadhafi et semblent bénéficier encore d’une certaine cohésion, les divisions régionales vont probablement laisser une empreinte profonde sur tout nouveau gouvernement.

Le factionnalisme régional est également source d’inquiétude, car le soulèvement de cette année s’est déroulé par étapes, avec dès le départ certaines villes à la tête de la révolte, d’autres qui l’ont rejointe plus tard et d’autres encore qui continuent de résister.

À Benghazi, on s’inquiète à l’idée que les institutions balbutiantes du CNT soient déplacées à Tripoli après avoir été basées dans la deuxième plus grande ville de Libye pendant plus de six mois. Certains Misratis attendent une récompense politique pour le rôle que leurs brigades ont joué dans les combats et pour le sacrifice des vies consenti par leur ville. Depuis sa base dans les montagnes occidentales, la communauté berbère, délibérément marginalisée sous Kadhafi mais essentielle, d’un point de vue militaire, à sa chute, recherche une bien plus grande représentation culturelle et politique dans la Libye future.

Le pouvoir par les armes?

Un parti pourrait également émerger pour représenter des villes comme Syrte, Sebha ou Bani Walid, où il existe au moins une opposition populaire authentique au CNT. Ceux qui veulent continuer à lutter pour la cause de Kadhafi finiront tôt ou tard par être vaincus par les armes, mais le discours qu’il continue à promouvoir —selon lequel la Libye a été «envahie» par des puissances néo-impérialistes— pourrait trouver un écho parmi ceux qui n’entendent pas être supervisés par une autorité transitionnelle qui doit son existence à une intervention militaire dirigée par l’Occident.

À l’instar du gouvernement provisoire tunisien, qui a mis à l’index de nombreux hauts responsables du régime de Zine el-Abidine Ben Ali, le CNT devra aussi décider qui sera autorisé à former des partis politiques. Ce qui pourrait semer la discorde lorsqu’il sera question de personnages comme Abdel-Salam Jalloud, camarade de classe de Kadhafi et l’un de ses plus proches alliés jusqu’à une prise de bec publique entre les deux hommes au milieu des années 1990. Jalloud a déjà annoncé qu’il recrutait des membres pour un nouveau «parti de la Justice et de la liberté de la patrie» qui se présentera aux élections.

Mais avant tout, le CNT devra résoudre le dilemme posé par la répression des dernières poches de résistance sans s’aliéner de grands nombres de Libyens, dont la participation à la transition démocratique est essentielle à sa réussite.

La ville méridionale de Sebha, porte d’entrée vitale vers les richesses de Wadi al-Hayaat où vivent plus de 250.000 personnes, fait encore l’objet de combats. Aucune réconciliation nationale vraiment complète ne pourra commencer tant qu’elle ne sera pas stabilisée, mais des retards dans un calendrier électoral déjà ambitieux pourraient s’avérer impopulaires, comme cela a été le cas en Égypte. Cela fait six mois déjà qu’une partie du nord-est du pays est libérée de Kadhafi, et la patience des habitants va être mise à l’épreuve.

Un plus grand danger menace: celui que les différentes milices sous la férule du CNT se transforment en bras armés des nouveaux partis politiques, perspective qui augmente de façon significative le risque de conflit civil ou même, associée aux fortes filiations régionales, celui de la création d’États à l’intérieur de l’État. La Libye pourrait se prêter à un système décentralisé, mais cela comporte des problèmes spécifiques comme l’ont montré les chamailleries permanentes autour des ressources pétrolières de l’Irak.

Aucun des ces problèmes n’est insurmontable, mais il ne faudra pas tarder à s’en occuper si les Libyens doivent mettre leurs bulletins dans l’urne l’année prochaine. Dans la Tunisie voisine, qui au moins a une certaine expérience dans l’organisation des élections —aussi truquées qu’elles aient pu être— le gouvernement provisoire a commencé à autoriser les nouveaux partis politiques à peine six semaines après la fuite de Ben Ali. Plus de cent ont été créés dans la perspective du vote pour l’assemblée constituante du 23 octobre. Si la transition tunisienne n’est pas parfaite, plus sanglant encore est le chemin qui attend la Libye, où l’électorat brandira des fusils autant que des bulletins de vote.

Alex Warren

Traduit par Bérengère Viennot

 

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