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Wayne Simmonds et Jonathan Ericsson, le 9 mars 2011. Claus Andersen/Getty Images/AFP
Wayne Simmonds et Jonathan Ericsson, le 9 mars 2011. Claus Andersen/Getty Images/AFP

Être noir et pratiquer un sport de blanc

Le hockey a la réputation d’être un sport réservé aux blancs. Dans la Ligue nord-américaine, les joueurs noirs ne sont pourtant plus des exceptions. Mais récemment, un geste a ravivé le débat sur le racisme dans ce sport.

À quelques jours de la reprise de la saison, les clubs de la National Hockey League (NHL) s’affrontent lors de matchs préparatoires. Le 22 septembre, les Red Wings de Détroit et les Flyers de Philadelphie s’opposaient dans la patinoire d’une ville canadienne de l’Ontario, London, située près de la frontière américaine. En fin de rencontre, les deux équipes sont toujours à égalité. La victoire se joue au cours d’une séance de tirs au but.

Wayne Simmonds s’avance avec confiance sur la glace. C’est lui qui vient de marquer le but égalisateur pour Philadelphie, avec moins d’une minute à jouer. Vêtu de son maillot orange et blanc, le numéro 17, qui fait partie de la vingtaine de joueurs noirs de la NHL (sur 690 membres), s’apprête à fusiller le but adverse. 

Il enclenche son tir lorsqu’une banane, lancée depuis les tribunes, atterrit à côté de lui. Sans se laisser déconcentrer, l’attaquant envoie son palet au fond des filets. L’histoire ne retiendra pas que les Flyers ont finalement perdu 4-3, mais que la soirée a été gâchée par un acte raciste. 

«Un geste stupide» 

Même s’il avoue avoir été choqué par le geste de ce spectateur, un homme de 26 ans qui a depuis été inculpé par la police de l’Ontario, le joueur canadien a pris l’incident avec philosophie:

«Lorsque tu es noir et que tu pratiques un sport où la majorité des joueurs sont blancs, il faut s'attendre à des choses comme celles-là. Au cours des 23 dernières années de ma vie, je me suis attendu à des choses comme ça. Mais je suis plus vieux et plus mûr maintenant. Alors cela ne m'atteint pas. J'essaie simplement de ne pas y penser», a déclaré Simmonds à la sortie des vestiaires.

L’attaquant ne s’est pas laissé envahir par la colère, mais les dirigeants de la NHL ont rapidement dénoncé ce comportement.

«Des millions de supporters montrent un immense respect envers nos joueurs et notre sport. Le geste, qui est évidemment stupide, d’un seul individu n'est pas du tout représentatif de nos supporters ou des habitants de London, en Ontario», a expliqué Gary Bettman, le commissaire de la NHL, dans un communiqué publié sur le site officiel.

De rares précédents

Il est vrai que de tels actes ne sont pas fréquents dans le monde du hockey. Alors qu’en Europe, les journaux sportifs rapportent régulièrement des chants ou des injures racistes dans des stades russes ou encore italiens, il faut remonter une dizaine d’années en arrière pour trouver trace d’incidents similaires en Amérique du Nord.

En 1997, Chris Simon, des Capitals (Washington) avait été suspendu trois matchs après avoir traité de «nègre» Mike Grier, des Oilers d’Edmonton. Deux ans plus tard, Bryan Marchment des Sharks de San José avait lui aussi été sanctionné pour avoir traité de «gros singe» Donald Brashear des Canucks de Vancouver.

Lors d’une rencontre des séries éliminatoires opposant les Canadiens de Montréal aux Hurricanes de la Caroline en 2001, le gardien noir Kevin Weekes avait aussi reçu une pelure de banane en retournant aux vestiaires.

En apprenant ce nouvel incident, l’ancien joueur, aujourd’hui âgé de 36 ans, n’a pas caché son dégoût:

«Il y a des gens qui ont encore la tête dans le sable, des gens qui ne veulent pas nécessairement évoluer et ne sont pas à l'aise avec le fait que le hockey évolue».

Kevin Weekes n’a jamais oublié cet épisode douloureux de sa carrière et milite toujours pour la promotion du hockey auprès de la communauté noire. Un travail qu’il mène d’ailleurs aux côtés de Willie O'Ree, le premier noir à avoir enfilé un maillot de la NHL en 1958.

Interrogé régulièrement sur ses débuts dans ce sport «de blanc», la légende vivante n’a jamais caché qu’il avait lui aussi subi des attaques. Dans un article sur les noirs dans le hockey, Willie O’Ree raconte:

«Les remarques racistes étaient pires dans les villes des États-Unis qu’à Toronto ou à Montréal. Les supporters me criaient "retourne dans le Sud" ou "comment ça se fait que tu ne ramasses pas du coton?". Cela ne me touchait pas. Tout ce que je voulais, c’est être un joueur de hockey. S’ils refusaient de l’accepter, c’était leur problème, pas le mien».

P.K. Subban superstar

Les mentalités ont heureusement changé. Même si les joueurs noirs ne sont pas légion dans la Ligue nationale, Willie O’Ree a ouvert la voie à de brillantes carrières. Le gardien Grant Fuhr a remporté à cinq reprises la Coupe Stanley avec les Oilers d’Edmonton dans les années 80. Il a également été intronisé au Temple de la renommée du hockey. Aujourd’hui, des hockeyeurs noirs ont des positions de premier plan: Jarome Iginla est le capitaine de l’équipe des Flames de Calgary. Il a décroché la médaille d’or avec le Canada en 2002 aux Jeux olympiques de Salt Lake City.

La vedette de l’actuelle formation des Canadiens de Montréal se nomme P.K. Subban et il est noir. Les supporters de la formation québécoise s’arrachent les maillots de ce jeune défenseur de 22 ans né à Toronto, d'un père jamaïcain et d'une mère antillaise. Après seulement deux saisons au sein de la NHL, le Canadien a même signé un contrat avec le prestigieux équipementier Nike.

Seul noir de l’équipe de Montréal, P.K. Subban a bien entendu été interrogé par la presse après le récent incident de la banane. Loin d’attiser la polémique, le numéro 76 a voulu calmer le jeu:

«Il s'agit d’un événement malheureux, mais on ne devrait pas y accorder autant d’importance. Ce n'est pas le reflet de ce qu'est le hockey d'aujourd'hui».

Pas question pour le joueur de crier au racisme, mais plutôt de se concentrer sur le jeu:

«En attirant l'attention sur ce qu'il a fait, on donne à cette personne ce qu'elle cherchait. On devrait plutôt se concentrer sur le hockey».

Stéphanie Trouillard

 

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Stéphanie Trouillard. Journaliste française spécialiste du Maghreb et du Canada.

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