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Issam, 17 ans, vient demander conseil à maître Maktouf © Célia Lebur, tous droits réservés
Issam, 17 ans, vient demander conseil à maître Maktouf © Célia Lebur, tous droits réservés

Que sont devenus les migrants tunisiens?

Depuis que la Ville de Paris a mis fin à l'aide d'urgence, les migrants tunisiens se débrouillent difficilement. Privés de travail, trop pauvres pour rentrer chez eux, ils se sentent «pris au piège».

Issam et Norddine ont l’air un peu perdus. Installés dans les larges et confortables fauteuils en cuir du cabinet d'avocats Maktouf, sur les Champs-Elysées, les deux jeunes Tunisiens ne cadrent pas vraiment avec le décor. Arrivés à Paris il y a six mois via Lampedusa, en Sicile, ils ont fui leur pays durant la révolution tunisienne.

Après une longue traversée de la Méditerranée, ils ont rejoint la France grâce à l'autorisation de séjour délivrée par les autorités italiennes, qui leur permet de circuler librement dans l'espace Schengen. Comme une centaine de leur compatriotes, ils sont encore à Paris.

Appeler un médecin, remplir des papiers français… En cas de problème, c'est Samia Maktouf qu'ils appellent sur son portable. Ils n'ont pas d'autre interlocuteur:

«Le problème, c'est que je suis avocate, et je fais le boulot d'une association!», explique-t-elle.

Maître Maktouf a eu à gérer quelques 150 dossiers de migrants tunisiens depuis le mois d'avril, entre gardes à vue et mesures d'expulsions.

«Il n'y a pas de solution collective, chacun joue sa partie»

Depuis que l’aide de la Ville de Paris a pris fin le 31 août, les conditions de vie des Tunisiens sont encore plus précaires. Face à l'absence de soutien de l'État, la mairie avait permis d'éviter le pire, en débloquant un million et demi d’euros depuis le mois de mai. Aujourd'hui, les associations ne peuvent plus compter que sur leurs propres deniers, et rares sont celles encore actives sur le terrain:

«Nous continuons à leur servir des repas place Stalingrad, aux Tunisiens comme à tous les démunis. Mais l’aide nous a vraiment soulagés, ça nous a permis de financer une partie des dépenses alimentaires, des sacs de couchage et des vêtements. On ne peut plus compter là-dessus aujourd'hui», explique Chafia Azouni, directrice administrative de l’association Une chorba pour tous.

Les associations France terre d’asile et Aurore, qui ont reçu une grande partie de l'aide, étaient mandatées par la mairie pour fournir un hébergement d'urgence au plus grand nombre. Environ 500 personnes sur les 800 Tunisiens de Paris ont pu bénéficier d'un logement temporaire.

Comme Issam, ils sont nombreux à dormir à nouveau dehors, dans les rues de la capitale. Avec un petit groupe de copains, l'adolescent de 17 ans se cache près de la porte de la Villette chaque soir, en quête d'un nouvel endroit où passer la nuit.  

«Il n’y a pas de solution collective, chacun joue sa partie, essaie de se débrouiller», résume Pierre Henry, le président de France terre d’asile.

Le drame qui s'est déroulé à Pantin, jeudi 29 septembre, a été particulièrement violent. Six personnes ont péri dans l'incendie qui a ravagé un immeuble squatté par une vingtaine de migrants, depuis plusieurs semaines. Les six seraient des Tunisiens.

#Botzaris36, quand les citoyens s'activent

Depuis le début du mois de septembre, les foyers ont fermé leurs portes. Mais les observateurs sont nombreux à douter de leur utilité. Issam, hébergé un temps par l’association Aurore, est amer. Il affirme que son foyer l’a exclu avec l’aide des forces de l’ordre pour avoir organisé une grève de la faim pendant six jours. «Va faire ta révolution chez toi!», lui auraient dit des responsables associatifs, refusant de faire venir un médecin pour les grévistes. Il a finalement écopé de 48 heures de garde à vue.

Du côté du parc des Buttes Chaumont, où trente Tunisiens avaient élu «domicile» après leur expulsion du 36, rue Botzaris, c’est un collectif citoyen qui a pris les choses en main. Eux n'ont jamais eu droit aux foyers des grandes associations caritatives. #Botzaris36, qui s'est développé grâce au réseau social Twitter au lendemain de la mini-vague d’immigration, accompagne les Tunisiens du parc depuis le début.

Petit bout de femme de 27 ans, Teshi a passé de nombreuses nuits à leurs côtés, notamment pour éviter les abus policiers.

«Tentes lacérées au cutter, sacs de nourriture piétinés, médicaments écrasés; les flics n’ont rien épargné pour les forcer à partir».

C'est chez Olivier David, patron du restaurant Aux petits joueurs dans le 19e arrondissement, que se réunit la bande #Botzaris36, qui regroupe une dizaine de membres actifs. Une base arrière pratique pour préparer les repas et stocker les couvertures.

Leur force, malgré leur manque de moyens financiers? Avoir médiatisé l’affaire en relayant le quotidien des jeunes Tunisiens sur le réseau social. Les militants ont ainsi pu recueillir des dons et établir un réseau d'entraide. Sur quatre mineurs, #Botzaris36 a réussi à en placer trois en foyer ou en famille d’accueil. Pour le reste, ils ont trouvé des squats moins précaires que dans le parc, et même du travail.

Neuf mille Tunisiens devraient pouvoir travailler chaque année

« Ils trouveraient très facilement du travail dans la restauration ou le BTP, deux secteurs dans lesquels on a besoin de main-d’œuvre», raconte Olivier David.

D'autant que pour faciliter l'accès à l'emploi de ces Tunisiens, l'État dispose d'un cadre juridique adapté. L'accord franco-tunisien de 2008 (PDF), qui organise les flux migratoires entre les deux pays, prévoit un quota de 9.000 entrées par an. Quelque 2.500 titres de séjour peuvent ainsi être délivrés à des travailleurs saisonniers, 3.500 à des salariés ou encore 1.500 à des jeunes professionnels.

Tous ceux qui sont arrivés en France avec le «permiso» italien auraient donc pu en bénéficier.


Le fameux permiso délivré en Italie © Célia Lebur, tous droits réservés

Au lieu de cela, dès le 7 avril, le ministre de l'Intérieur Claude Guéant a publié une circulaire qui met de facto de nombreux migrants tunisiens en situation d'illégalité. Depuis, tout étranger qui souhaite franchir la frontière française doit disposer d’un document de séjour en cours de validité, et justifier de ressources suffisantes, c'est à dire 31 euros par jour si la personne dispose d'un logement, 62 euros sinon. Sachant que 62 euros nets par jour revient à un salaire mensuel d’environ 1.343 euros, soit à peu de choses près le montant en France du salaire minimum brut, comme le rappelait un précédent article de SlateAfrique.

Sans quoi, déclarait Claude Guéant mi-avril, «nous reconduisons ces personnes en Italie, qui est le pays de premier séjour». Obligation de quitter le territoire et mesures de reconduites à la frontière se sont donc multipliées ces derniers mois:

«L'État mène une politique de gesticulation: affréter de petits avions pour les emmener à la frontière italienne est très coûteux, sans compter la mobilisation des forces de police et les placements en garde à vue. La réponse de l'État est uniquement policière», estime Pierre Henry.

«Pris au piège»

Dans ces conditions d'accueil peu favorables, des centaines de Tunisiens ont opté pour le départ volontaire. Selon le président de France terre d'asile, environ 250 candidats au départ sont déjà retournés en Tunisie:

«La plupart d'entre nous voulaient rentrer. Vous savez, nous ne sommes pas stupides, on a très vite compris que notre place n’était pas ici. La France, c’était un rêve. Et ben on a vu… Même entre eux les Français ne sont pas accueillants. Je vis dans le 93 et j'ai vu la réalité des quartiers, comment les gens vivent dans les banlieues, jamais je n'aurais imaginé ça», confie Norddine, qui déclare vouloir repartir dès qu'il aura réglé ses problèmes de santé.

La question était alors d'organiser ce retour au pays. Ces hommes, souvent jeunes, viennent du sud de la Tunisie, d’une région frontalière avec la Libye, où les événements politiques dans les deux pays ont rendu les échanges commerciaux plus difficiles.

Avec la chute de Ben Ali et l'ouverture des frontières, ils ont vu «les portes du paradis s'ouvrir». Soutenus par leurs familles, ils se sont donc endettés pour partir en Europe. La petite boutique, le petit lopin de terre qu’ils possédaient là-bas? «Vendus. C’est pourquoi le retour est aussi difficile», raconte Norddine.

Conformément à l'accord bilatéral de gestion des flux migratoires, la France s’était engagée en 2008 à verser 2.000 euros aux migrants tunisiens sans papiers qui souhaitaient repartir dans leur pays. Avant de se rétracter en juin 2011.

Depuis lors, les volontaires au départ n'ont droit qu'à 300 euros pour faire leurs valises. «On est pris au piège: on ne peut pas rester travailler en France, ni rentrer en Tunisie car on n'a plus rien là-bas», ajoute Issam.

«C’est simple, il n’y a pas eu d’appel d’air, alors que l'État aurait pu les prendre en charge, explique l'avocate Samia Maktouf. En simplifiant leurs démarches administratives, en créant une dynamique collective de retour, ils auraient pu repartir dignement».

Selon Norddine, sur la centaine de Tunisiens qui parcourent encore les rues de Paris, beaucoup espèrent dénicher un emploi –clandestin– pour pouvoir repartir dans des conditions moins précaires qu'aujourd'hui. 

«C’est sûr, conclut Pierre Henry, l’hiver sera difficile pour ceux qui sont restés»

Célia Lebur

 

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Célia Lebur

Journaliste à SlateAfrique.

Ses derniers articles: A Bordeaux, les Africaines prennent le pouvoir  Ali Bongo s'éloigne de la France  Que sont devenus les migrants tunisiens? 

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