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Le président gambien Yahya Jammeh pose avec un Coran à Banjul, Gambie, le 22 septembre 2006. REUTERS/Finbarr O'Reilly
Le président gambien Yahya Jammeh pose avec un Coran à Banjul, Gambie, le 22 septembre 2006. REUTERS/Finbarr O'Reilly

L'étrange Ubu de Banjul

La Gambie, ancienne colonie britannique nichée au cœur du Sénégal est sous la botte d’un autocrate mégalomane qui règne sans partage. Yahya Jammeh, qui avait suscité un immense espoir à ses débuts, a sombré dans une dérive ubuesque. Itinéraire d’un président fantasque.

Mise à jour du 26 novembre 2011: Le président Yahya Jammeh a remporté officiellement l'élection présidentielle du 25 novembre en Gambie dont les conditions de déroulement ont été critiquées par la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cedeao). Selon Alhagie Mustapha Carayol, président de la commission électorale, il a obtenu 470.550 voix, soit 72% de suffrages exprimés.

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Son nom est déjà tout un programme: Yahya Abdul Aziz Jamus Junkun Jammeh. Les titres dont il se pare le sont tout autant: «docteur», «son Excellence, ou «colonel à la retraite», lâchés d’une seule rafale, sont une litanie servie quotidiennement par les journalistes des médias d’Etat à la botte de l’homme qui dirige la Gambie depuis 17 ans.

L'espoir déçu des Gambiens

L’autocrate mégalomane harnaché comme un lutteur de foire n’a plus grand-chose à voir avec le jeune lieutenant efflanqué qui avait pris le pouvoir en 1994 en renversant Daouada Kairaba Jawara, satrape débonnaire qui avait régné dans cette ancienne colonie britannique depuis son indépendance.

Pourtant, à ses débuts, les Gambiens avaient placé beaucoup d’espoir en Jammeh. Il avait promis de combattre la corruption endémique qui minait le pays, et de mettre la Gambie sur les rails de la démocratie.

Assez rapidement même, le lieutenant putschiste avait gagné en popularité en se drapant dans les habits d’un réformateur. Et dans un pays qui manquait presque de tout, il s’était immédiatement mis à la tâche pour le doter d’un minimum d’infrastructures. Mais hélas, très rapidement, comme beaucoup d’autres présidents du continent, Jammeh a pris goût au pouvoir.

La dérive autoritariste made in Africa

Et grand classique en Afrique aussi, il a commencé à éliminer impitoyablement ses frères d’armes putschistes en sombrant dans une dérive autoritaire. Voyant des complots partout, Jammeh, en truffant sa garde présidentielle de ses parents Diolas (une ethnie minoritaire en Gambie) verrouille le jeu politique.

Sa redoutable police, la Nia, traque impitoyablement les opposants ou les contraint à l’exil. Pis, du jour au lendemain beaucoup de Gambiens disparaissent dans les geôles de la sinistre prison de Miles 2, ou passent carrément de vie à trépas, comme ce fut le cas du journaliste Deyda Hydara, très critique contre le pouvoir, qu’on retrouvera assassiné.

Jammeh, l'homophobe qui soignerait le sida

Comme si cela ne suffisait pas, Yahya Jammeh a été la risée du monde entier en prétendant détenir le remède miracle pour soigner... le sida. Une nouvelle qui, bien entendu, a braqué les caméras du monde entier chez l’«Ubu de Banjul», qui n’a pas hésité à se donner en spectacle dans les grandes chaînes occidentales ravies de l’aubaine que leur offrait un si bon client. La télévision d’Etat l’a montré ainsi soigner prétendument des séropositifs qui se confondaient en remerciements.

Se mêlant décidément de tout, Jammeh s’est aussi lancé dans une croisade contre l’homosexualité, une «déviance» qui à l’en croire a été introduite en Afrique par les blancs. Dans un discours à Banjul, il a donné 48 heures aux homosexuels pour quitter la Gambie, sous peine «de se faire couper la tête».

Mais les pantalonnades de Jammeh ne font pas toujours rire les Gambiens, qui manifestent de plus en plus de signes d’agacement face à ses méthodes autocratiques.

Ubu veut être roi

Longtemps bâillonnée, désormais l’opposition gambienne s’organise et donne de la voix pour réclamer le départ de Jammeh. Mais à en juger par ses dernières initiatives, celui-ci semble loin de vouloir céder le fauteuil présidentiel. Ainsi, depuis quelques temps, le quotidien dakarois Kotch révélait que Jammeh, sans avoir l’air d’y toucher, avait actionné ses affidés pour mener une formidable campagne de communication.

Objectif de la manœuvre: se faire couronner roi. Une opération loin d’être gagnée, d’autant plus que Jammeh doit faire face à un adversaire inattendu: sa première femme, qui proteste contre la décision de son présidentiel époux de prendre une seconde compagne. Elle s’est enfuie aux Etats-Unis en demandant l’exil politique.

Pis, de tous les chefs d’Etat ouest-africains, l’inénarrable satrape a été le seul à apporter ouvertement son soutien à un autre de ses collègues dictateurs, le président ivoirien Laurent Gbagbo, mis au ban de la communauté internationale après son refus de reconnaître la victoire de son rival Alassane Ouattara lors de la présidentielle du 28 novembre 2010.

Est-ce bien étonnant?

Aïssata Diop

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Aissata Diop

Journaliste Sénégalaise.

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