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Une famille de Bossangoa devant sa maison incendiée, 3 janvier 2014. REUTERS/Andreea Campeanu
Une famille de Bossangoa devant sa maison incendiée, 3 janvier 2014. REUTERS/Andreea Campeanu

Centrafrique: les limites de l'interventionnisme

On sait que l'Etat, en RCA, n'est plus qu'une coquille vide. La solution est peut-être d'imaginer autre chose.

L’année 2013 a marqué le retour de l’interventionnisme français, dans le cadre d’opérations militaires en Afrique (Mali, RCA). L’objectif affiché est de participer à la reconstruction d’Etat dit «failli», terme discuté et discutable que nous n’aborderons pas ici, ou de créer les conditions le permettant.

Le state-building est ainsi la principale réponse à la défaillance de l’État. Ce terme désigne l’idée de «la nécessité de reconstituer, sous une forme ou une autre, des unités politiques au sein desquelles, suite notamment à une guerre civile, la structure, l’autorité, la loi et l’ordre politiques se sont précarisés» (Dictionnaire des relations internationales). Cette stratégie concerne le développement de mécanismes internationaux de régulation censés restaurer la souveraineté d’États en faillite ou en déliquescence.

La construction de l’État est un phénomène historique long (on lira Charles Tilly), la stratégie choisie par la communauté internationale est donc de parvenir à un modèle d’État wébérien dans un temps plus restreint, et en évitant la longue étape de conflictualité qui accompagne généralement le processus de développement.

L'utopie de la reconstruction

Cette stratégie a été relancée au début des années 1990 par l’ONU lorsque l’organisation instaura l’Autorité provisoire des Nations unies au Cambodge (APRONUC). Elle se donne alors pour objectif de reconstruire un État, voire une nation. L’accent est mis sur la reconstruction d’un ordre politique démocratique, à l’intérieur des frontières de l’État, respectueux des droits et des libertés fondamentales de ses citoyens.

Les critiques autour de cette notion de state-building ne manquent pas et nous vous proposons d’en noter quelques-unes ici qui pourront alimenter votre réflexion. Ainsi, David Chandler y voit un retour de la mission civilisatrice de l’Occident, une position revendiquée également par Francis Fukuyama, doctrinaire du state-building, comme nouvelle forme de gouvernance. Mais pour David Chandler, le state-building a participé plus à la destruction des capacités étatiques institutionnelles qu’à leur reconstruction. Pire, le state-building aurait créé une culture de la dépendance, plutôt que des institutions locales autonomes. L’efficience de cette stratégie est questionnée aussi par Marina Ottaway qui relève:

«La communauté internationale a élaboré une liste de prescriptions pour la reconstruction d’État qui est tellement exhaustive qu’elle est impossible à appliquer sur le terrain.»

L’autre problème posé par cette approche est qu’elle disqualifie des acteurs qui ne correspondent pas à la vision normative de l’État, ou même de la politique. Ils sont alors écartés du processus de construction ou de reconstruction de l’État, ce qui remet en cause la régulation de la conflictualité. Le rôle même que pourrait jouer une organisation internationale est discuté.

Les limites de l’interventionnisme

En effet, Edward Luttwak a montré qu’un conflit mineur doit se poursuivre sans une intervention extérieure, qui y mettrait un terme prématurément. Au contraire, une intervention extérieure tend à prolonger le conflit. Une analyse partagée par Jeffrey Herbst, pour qui les organisations internationales s’entêtent à vouloir reconstruire des États effondrés, dans les conditions qui existaient auparavant, de telle sorte qu’elles ne font que prolonger un état d’effondrement au lieu d’accepter l’existence du nouvel ordre politique ainsi créé.

En allant plus loin, on peut considérer que ces organisations participent au processus de destruction de l’État. Ainsi, l’ONU refuse de considérer que certains États puissent être trop dysfonctionnels à la base,  pour être  reconstruits. Ce n’est que très récemment que les chercheurs ont cherché à comprendre l'ordre politique des États dits faillis, sans insister sur l’absence d’État mais en tenant compte de ce qui existe réellement.

Dès lors, une question se pose: est-ce que ce sont les États qui sont en échec ou bien l’État, en tant que mode d’organisation des sociétés? Cette réflexion nous permet de penser, avec Emmanuel Terray, que:

«Ce qui est en crise, c’est peut être avant tout l’arsenal des concepts et des systèmes à travers lesquels nous essayons de saisir cette réalité mouvante et protéiforme qu’est l’État contemporain en Afrique.»

Sonia Le Gouriellec

Cet article a d’abord été publié dans le blog Good Morning Afrika

Sonia Le Gouriellec

Sonia Le Gouriellec est docteur en science politique, spécialiste de la Corne de l'Afrique. Elle tient aussi le blog Good Morning Afrika, sur les enjeux géopolitiques et stratégiques en Afrique.

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