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Des immigrants clandestins d'Afrique du Nord arrivent sur l'île de Lampedusa, le 13 février 2011. REUTERS/Antonio Parrinello
Des immigrants clandestins d'Afrique du Nord arrivent sur l'île de Lampedusa, le 13 février 2011. REUTERS/Antonio Parrinello

L'Europe doit se concerter

Fruit du vent de révolte qui souffle au Maghreb, l'arrivée de milliers de migrants tunisiens à Lampedusa n'est peut-être que «l'avant-garde d’un exode qui s'annonce biblique».

Prenez garde à Lampedusa, la petite île sicilienne, distante d’à peine 70 kilomètres des côtes de la Tunisie, et donc de l’Afrique. En trois jours, 4.500 Tunisiens y ont débarqué, jeunes (âgés de 18 à 30 ans) et clandestins. Ils demandent l’asile politique ou simplement un visa d’entrée, sésame pour l’Europe et pour le monde. La majorité d’entre eux déclare ne pas vouloir rester en Italie: ils veulent gagner la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne.

Une immigration massive, conséquence de la révolte tunisienne

Prenez garde, car l’Italie et Lampedusa sont à la proue; premier lieu d’abordage et porte d’entrée du monde. Et ces 4.500 migrants ne sont peut-être que l’avant-garde d’un exode qui s’annonce «biblique».

C’est le premier effet du vent de révolte qui souffle au Maghreb, où une population jeune, désoeuvrée, souvent instruite, ne voit aucun avenir en sa propre patrie. Le régime de Ben Ali [le président tunisien qui a pris la fuite le 14 janvier 2011] a nourri et élevé cette génération qui vient de le renverser. En Egypte, les choses se sont déroulées différemment sur le plan politique, mais le résultat est le même. En Algérie, la société est en ébullition. Et même le colonel Kadhafi, jusqu’ici tellement sûr de sa mainmise sur son pays, commence à montrer des signes d’inquiétude.

Au Maghreb s’est produit quelque chose que nous ne sommes pas encore capables de mesurer mais qui, par analogie, peut être comparé à la chute du mur de Berlin: des Etats et des sociétés qui semblaient immobiles se sont décongelés, et à présent des hordes de jeunes gens harassés de règles antiques et de pauvreté sans fin se mettent en mouvement.

L'Italie débordée

L’Italie a, comme toujours, été cueillie à froid par les événements. Sur la petite île de Lampedusa, une garnison ridicule de 30 carabiniers doit faire face aux 4.500 arrivants. 2.000 d’entre eux errent librement dans les centres habités de la petite île, et l’on craint que ne surgissent des problèmes d’ordre public et des accrochages avec la population locale.

Après des années de débarquements intempestifs, le phénomène avait finalement été jugulé il y a quelques mois à peine, grâce à des accords intergouvernementaux (surtout avec la Libye) et à une politique ferme de renvoi en mer des embarcations clandestines —certes polémique, mais très efficace. A Lampedusa, entre 1998 et 2009, ce sont plus de 200.000 clandestins qui ont débarqué.

Mais depuis lundi 14 février, une féroce polémique s’est fait jour entre le gouvernement italien (représenté par son ministre de l’Intérieur Roberto Maroni) et la commissaire européenne chargée des Affaires intérieures Cécilia Malmström, qui a révélé que l’Europe avait proposé son aide à l’Italie dès samedi 12 février —une aide que les Transalpins auraient refusée. Maroni a nié et relancé la polémique en affirmant que comme d’habitude, «l’Italie avait été laissée seule».

La nécessité d'une politique européenne d'immigration

Au-delà de savoir qui a tort ou raison dans cette polémique de bas étage, il y a une réalité: depuis vingt ans déjà, l’Italie affronte pour des raisons géographiques un phénomène qui concerne l’Europe entière.

Dans le cadre européen existe l’agence Frontex, qui devrait coordonner des missions conjointes entre Etats nationaux pour le contrôle des frontières externes de l’Union. Mais les mécanismes décisionnels européens sont lents. Et ce que nous appelons une politique commune n’est en réalité qu’un ensemble de principes généraux, dont les Etats nationaux sont censés s’inspirer. Mais c’est un fait: il n’y a pas de véritable politique européenne en matière d’immigration.

Chaque pays continue de choisir combien et quels émigrants admettre, comment et quand leur attribuer la citoyenneté et comment contrôler les flux d’immigration irrégulière, tout en respectant un minimum de règles communes en matière d’expulsions —pourtant parfois contestées par le gouvernement italien et même d’ailleurs par le gouvernement français.

En Italie grandit la conviction que faire appel à l’Europe en tant que telle ne sert donc pas à grand chose. Tout comme reporter sur Bruxelles une responsabilité dont elle ne peut s’acquitter sans l’accord des Etats nationaux. Ce serait plus utile de demander directement à l’Allemagne et à la France (en y adjoignant aussi dans ce cas l’Espagne et la Grande-Bretagne) de définir avec l’Italie une position commune sur la stabilisation du Maghreb —gestion des flux migratoires incluse. D’autant que, comme lors des crises précédentes, la vague qui arrive de Tunisie touchera en partie d’autres pays européens après avoir frappé l’Italie.

A Lampedusa, une cohabitation difficile

A cette nouvelle crise institutionnelle et gouvernementale pour l’Europe il faut ajouter l’incertitude sur ce que produira une arrivée aussi massive de clandestins dans les centres siciliens, et plus largement dans le sud de l’Italie. Les débarqués de Lampedusa sont répartis dans les différents centres d’accueil de l’île. La cohabitation avec les habitants locaux est difficile, et il est toujours possible que des situations se créent comme celle qui, il y a un an à Rosarno en Calabre, avait conduit à la révolte des étrangers exploités dans des travaux agricoles.

Plus encore que l’Italie, c’est aux habitants de ces zones de devoir faire face aux effets d’une crise si emblématique de notre époque. Eviter que ne fermentent les conditions d’une nouvelle révolte et de nouveaux abus est vraiment dans l’intérêt de toute l’Europe; pas seulement dans celui de l’Italie.

Cesare Martinetti

Traduit par Florence Boulin

Cesare Martinetti

Cesare Martinetti est directeur adjoint de La Stampa.

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