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«Je me sentais comme le seul noir gay au monde»
Canadien d’origine rwandaise, Alexis Musanganya milite pour les droits des homosexuels. Avec son association Arc-en-ciel d’Afrique, il lutte aussi au Québec contre l’homophobie au sein de la communauté des migrants africains.
Le siège de l’association Arc-en-ciel se situe à deux pas du Village, le quartier gay de Montréal. Dans un immeuble sans prétention, Alexis Musanganya reçoit ceux et celles qui viennent chercher des informations, des conseils ou bien seulement une oreille attentive:
«Je voulais qu’on ne soit pas loin du Village, mais pas nécessairement dedans. Il y a des personnes en questionnement qui ne veulent pas y aller, mais qui peuvent venir nous voir. Certains sont déjà sortis du placard, d’autres non. Certains veulent en sortir, mais d’autres pas.»
Installé dans son bureau aux murs blancs seulement décoré de quelques statuettes africaines, le président de l’association ne compte pas ses heures. Il organise des défilés pour la cause homosexuelle, des projections de films, des conférences ou encore des soirées de levée de fonds. Jour après jour, il offre l’aide qu’il aurait tant aimé recevoir plus jeune.
«Un garçon qui aime un garçon»
Né à Kigali, au Rwanda, Alexis avoue avoir eu une enfance heureuse avec ses deux parents journalistes et ses quatre frères et sœurs, même s’il a très vite compris qu’il était différent:
«J’étais moins agressif, plutôt quelqu’un de très tranquille, à la limite féminin. Mais je ne sentais pas d’animosité envers moi à cause de cela, au contraire, beaucoup de protection», raconte le jeune homme,
Avec ses cheveux coiffés en crête, son pull blanc tendance et sa boucle d’oreille, il ne fait pas ses 37 ans. À l’adolescence, le jeune Rwandais se questionne sur son attirance envers ses camarades masculins. Après avoir entendu à la radio les paroles de Michel Sardou «Est-ce une maladie ordinaire, un garçon qui aime un garçon?», il interroge finalement sa mère:
«Elle m’a dit de ne pas m’en occuper, que c’était une maladie de blanc qui n’existait pas ici. Dans ma tête de petit jeune de 13 ans, j’ai commencé à croire que j’étais malade. Je me sentais comme le seul noir gay au monde.»
Tétanisé par la honte, Alexis n’ose pas en parler ouvertement à ses parents. Il n’aborde le sujet qu’avec un prêtre:
«Il m’a répondu que c’étaient des démons et qu’il fallait prier pour les faire partir. Il m’a dit de citer 150 fois "Je vous salue Marie". J’ai dû en dire 1.500, mais ce n’est jamais parti», explique-t-il calmement, sans rancœur dans la voix. Très croyant, le jeune homme a même intégré le petit séminaire:
«Je voyais la prêtrise comme le seul moyen de ne pas me marier avec une femme et d'être respecté dans la société. Mais quand j’ai approché de la fin, je me suis dit que je ne pouvais pas tromper Dieu. J’avais une vocation, mais au fond, il y avait un secret que je traînais avec moi et ce n’était pas honnête.»
Le soulagement au Canada
Toujours préoccupé par son orientation sexuelle, Alexis entre finalement à l’université. Mais en1994, ses études sont interrompues par le conflit entre Hutu et Tutsi qui ravage son pays:
«Il y a des camps qui se sont créés. Je ne voulais pas me ranger d’un côté ou de l’autre. Il y avait des tueries partout. J’ai risqué ma vie à plusieurs reprises. Des membres de ma famille sont morts. Je me suis retrouvé au Congo où il y a aussi eu la guerre, puis en Zambie.»
Quatre ans plus tard, il n’a plus qu’une obsession: partir loin du continent pour enfin s’épanouir. Grâce à l’une de ses sœurs déjà installée au Canada, son rêve est exaucé.
Dans la province de Québec, enfin libre de chercher des réponses à ses questions, il contacte très vite un centre d’aide pour les homosexuels. Alexis franchit aussi pour la première fois la porte d’un bar gay:
«J’ai vu une quinzaine de noirs et certains qui venaient d’Afrique. Je me sentais soulagé. Finalement, je n’étais pas le seul!»
Passée cette agréable surprise, le nouvel arrivant se rend toutefois compte que la bataille est loin d’être gagnée:
«J’ai vu qu’il y avait des homophobes, alors que je pensais qu’ici les gens l’acceptaient. Cela m’a déçu. Je me suis rendu compte que tous ces noirs véhiculaient une peur. Ils devaient tout faire discrètement. Ils ne pouvaient pas construire une relation stable et présenter leur copain à leur famille.»
Pour preuve, lorsqu’Alexis décide d’avouer son homosexualité à sa sœur, cette dernière se fâche et cesse de lui rendre visite.
Le premier site gay francophone africain
En 2002, après des études d’informatique, le Rwandais devenu Canadien décide de s’engager concrètement. Il met à profit sa formation pour créer le premier site homosexuel africain francophone, Gay Afrique:
«L’objectif était de pouvoir montrer aux gens là-bas qu’ils pouvaient rencontrer des gens dans leur ville. Si j’avais appris qu’il y avait d’autres gays à Kigali, cela m’aurait enlevé le fardeau de croire que j’étais le seul homosexuel noir au monde.»
Alexis retourne à plusieurs reprises en Afrique pour faire un état des lieux de la communauté gay:
«Il y a un terreau commun, le silence et la stigmatisation, mais il y a des nuances selon les pays et les classes sociales. Au Sénégal, un pays musulman, cela ne va pas se régler de la même façon qu’au Cameroun, un pays chrétien.»
De retour au Québec, le militant se rend aussi compte que les besoins sont immenses à Montréal:
«Il y avait des associations gays, sauf pour les noirs. Cela renforçait l’idée que nous sommes homophobes et toujours dans le placard.»
L’association Arc-en-ciel d’Afrique est alors fondée en 2004. Alexis rassemble des centaines de courriels, lance des soirées de discussion, s’implique dans les Outgames mondiaux, sensibilise sur le sida et s’invite même dans des familles. Des actions qui ne sont pas toujours vues d’un très bon œil par la communauté africaine:
«On m’a dit que j’étais la honte de l’Afrique et que j’étais mieux mort que vivant. J’ai subi des agressions physiques. Certains de mes amis m’ont même demandé pourquoi je ne pouvais pas vivre dans mon coin et ne pas déranger les autres. Mais il y a aussi des gens qui m’écrivent pour me remercier d’exister», raconte-t-il avec fierté.
«En bien ou en mal, il faut en parler»
L’association compte désormais près de 400 membres fidèles. Sans subventions des autorités canadiennes, Arc-en-ciel d’Afrique survit tant bien que mal pour poursuivre son combat: «On nous dit souvent que l’homosexualité n’est pas la priorité dans la communauté noire. Comme on n’est nulle part, il n’y a pas d’enveloppe pour nous. On ne veut pas nous définir.»
Malgré ces difficultés locales, Alexis se félicite des avancées qu’il perçoit en Afrique:
«Les activistes sont sur des actions très concrètes. Du silence, on est passé à une forme d’homophobie claire. C’est la première étape avant qu’on arrive à une acceptation. En bien ou en mal, il faut en parler.»
Même si lui a choisi de partir à l’étranger, le Québécois d’adoption n’incite pas les Africains gays à quitter le continent: «L’idée, c’est de pouvoir vivre ce qu’ils sont, là où ils sont». Dans le futur, il n’exclut d’ailleurs pas de retourner y travailler. Militant acharné, cette cause est devenue toute sa vie:
«J’aimerais être dans les sphères décisionnelles, pourquoi pas pour les Nations unies ou pour Immigration Canada. Je souhaite apporter des éléments et améliorer des politiques qui peuvent avoir de l’impact sur la vie des gens.»
Stéphanie Trouillard
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