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Le Westgate Mall de Nairobi, après l'attentat des Shebab du 21 septembre 2013 / Reuters
Le Westgate Mall de Nairobi, après l'attentat des Shebab du 21 septembre 2013 / Reuters

Les Shebabs sont affaiblis, mais pas faibles

Malgré des dissensions internes, l'organisation terroriste garde une forte capacité de nuisance.

Dimanche 13 octobre 2013. Un match de football oppose l’équipe nigériane des Super Eagles à la sélection nationale éthiopienne, à Addis Abeba. La rencontre compte pour le 3e tour des qualifications pour la coupe du monde au Brésil, l’année prochaine. Ce même jour, non loin du stade où se déroule le match, deux kamikazes se font tuer par leur bombe. Ces deux hommes, identifiés comme des Somaliens, étaient selon toute vraisemblance des membres du groupe shebab, une organisation islamiste et terroriste, à l’origine de l’attentat meurtrier du Westgate Mall, à Nairobi, au Kenya, le 21 septembre 2013. L’opération kamikaze du week-end dernier et l’attentat du Westgate montrent que la capacité de nuisance des Shebabs reste intacte. Ceci, malgré leur affaiblissement du fait de dissensions internes et de la perte de contrôle d’une partie de la Somalie. Dans l’article ci-dessous, Sonia Le Gouriellec, doctorante à l’université Paris-Descartes, nous permet de comprendre l’évolution du mouvement shebab, «un mouvement jeune à l’internationalisation récente».

 

Al-Shabaab signifie «jeune/jeunesse» en arabe. Ce groupe l’est pour deux raisons: son émergence récente et sa composition. En effet, l’utilisation du terme «shebab» est, au départ, une appellation générique reflétant la jeunesse de ses membres. La déliquescence de l’Etat somalien, après la chute de Syaad Barre (troisième président) en 1991, et la succession de conflits qui suivirent, générèrent un contexte idéal à la «mooryanisation» et au recrutement de jeunes par des mouvements combattants comme les shebabs. Un recrutement souvent plus opportuniste qu’idéologique.

Emergence d’un groupe local

Les informations concernant la genèse du mouvement sont rares et discordantes. Mais on peut retenir que le groupe aurait été fondé en 2002 ou 2003 par d’anciens combattants djihadistes revenus d’Afghanistan.

Entre 2004 et 2006, ce groupe, qui s’apparente alors à une milice, se rapproche de l’Union des Tribunaux islamiques (UTI). Après l’intervention éthiopienne, la défaite de l’UTI, en décembre 2006 et le ralliement de Cheick Sharif Cheick Ahmed, un ancien chef de l’Union des Tribunaux islamiques, au gouvernement fédéral de transition, les Shebabs deviennent un véritable groupe à l’idéologie et l’organisation propre, et le premier groupe insurrectionnel du pays. Son objectif est alors d’amener les troupes étrangères à se retirer de Somalie, de renverser le Gouvernement fédéral de transition (GFT), et d’imposer un régime islamiste régit par la charia. L’objectif du mouvement reste d’instaurer un émirat islamique sur l’ensemble du territoire somalien, comme préalable à la réalisation de l’Umma.

Les objectifs du mouvement ont évolué, jusqu’à projeter d’étendre son action au-delà du territoire national somalien dans une vision pansomalienne. Dès 2009, le groupe révélait clairement ses ambitions transnationales, bien qu’on puisse penser que dans le contexte de l’époque cela relevait plus de la propagande, afin d’attirer des combattants et des financements étrangers.

Mouvement combattant transnational

Les liens avec la nébuleuse globale al-Qaida sont de plus en plus forts. Dès 2006, le mouvement se rapproche d’al-Qaida . En réponse, Ben Laden relaie les accusations de trahison portées par les Shebabs à l’encontre du nouveau président somalien, Cheick Sharif Cheick Ahmed, qu’ils comparent au président afghan Hamid Karzaï et appellent au djihad contre son régime. Les Shebabs prêtent ensuite formellement allégeance à al-Qaida et al-Zawahiri reconnaît le ralliement du groupe à la nébuleuse en février 2011.

Le 11 juillet 2010, le groupe montre qu’il a les capacités et l’ambition d’étendre son champ d’action à des cibles au-delà des frontières somaliennes. Il mène sa première grande opération en dehors de Somalie, des attentats-suicides à Kampala, pendant la retransmission de la coupe du monde de football. L’Ouganda est visé en représailles à son engagement au sein de la mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) et à la présence de milliers de soldats ougandais en Somalie. Le groupe est de plus en plus actif dans la région. Dès 2010, il mène également de nombreuses incursions dans le nord du Kenya contre les forces kenyanes.

Suite à l’intervention kenyane de 2011 et au recul des Shebabs sur le terrain, l’idéologie globale a pris le pas sur une idéologie initialement nationale qui visait à défendre le pays contre la présence éthiopienne, assimilée, de façon caricaturale, à une invasion chrétienne, bien que les forces étrangères présentes en Somalie (Ethiopie, Kenya, Ouganda, Burundi, etc.), et leurs soutiens, restent des ennemis à combattre.

Basculement vers la guérilla et le terrorisme

Les premières cibles des Shebabs sont les représentants du Gouvernement fédéral de transition, les forces de sécurité somaliennes, les personnels de l’AMISOM et leurs alliés en Somalie. L’attaque de Kampala en 2010 marque donc un premier tournant dans la stratégie du groupe. De même, si les premiers raids en territoire kenyans sont limités, des attaques en 2010 et 2011 contre des postes de sécurité kenyans proches de la frontière, marquent une nouvelle étape.

En général, les Shebabs évitent de s’engager directement face à une armée conventionnelle. Après le départ des troupes éthiopiennes en 2009, les insurgés Shebabs sont parvenus rapidement à prendre le contrôle de villes de province sans beaucoup combattre.

En effet, les forces gouvernementales et les milices locales étaient soient absentes, soient incapables de faire face à ce type d’insurrection. De fait les Shebabs rencontrèrent peu de résistance. Néanmoins, si des alliances locales leur permettent d’intervenir sur des zones étendues, le contrôle social n’y est pas direct. Le morcellement du territoire somalien ne doit pas être appréhendé comme une logique de blocs. Les membres d’Al-Shabaab sont présents sur tout le territoire, mais ils n’en contrôlent que certaines parties. En réalité, le contrôle effectif du territoire par le groupe est assez faible.

Lorsqu’ils ont commencé à reculer, et à perdre leurs fiefs notamment le port de Kismayo qui était un vecteur de ressources important, les Shebabs ont adopté des tactiques de la guérilla. Ce fut notamment le cas à Mogadiscio lors de leur retrait en août 2011. Le porte-parole des Shebabs le qualifiera de «retrait tactique» et le groupe est alors passé d’une guerre de position, afin de conserver le contrôle de la capitale, à de la guérilla urbaine. Une tactique privilégiée au fur et à mesure que les Shebabs perdent le contrôle de nombreuses villes majeures du Sud du pays.

Les influences extérieures se reflètent dans l’utilisation de moyens longtemps ignorée en Somalie comme les engins explosifs improvisés et surtout les attentats-suicides auxquels ils ont recourt dès 2006. Le groupe utilise de plus en plus les assassinats politiques. En juin 2011, il utilise pour la première fois une femme kamikaze, afin de tuer le ministre de l’Intérieur du GFT. Certains rapports évoquent également le développement de capacités maritimes.

Sonia Le Gouriellec, doctorante en science politique à l’université Paris-Descartes

Cet article, préparé pour le CDEF (Centre de doctrine et de l’emploi des forces), a d’abord été publié sur le blog Good Morning Afrika.

Sonia Le Gouriellec

Sonia Le Gouriellec est docteur en science politique, spécialiste de la Corne de l'Afrique. Elle tient aussi le blog Good Morning Afrika, sur les enjeux géopolitiques et stratégiques en Afrique.

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