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Une vue d'une raffinerie de pétrole liquéfié dans la région de Arzew, en Algérie, juillet 2007. REUTERS/Zohra Bensemra
Une vue d'une raffinerie de pétrole liquéfié dans la région de Arzew, en Algérie, juillet 2007. REUTERS/Zohra Bensemra

L'Algérie entasse ses pétrodollars

Les réserves de change du pays sont au beau fixe. Mais à cause d'une politique financière trop «prudente», l'Algérie perd chaque jour les fruits de son épargne.

C’est une première depuis l’indépendance. Avec près de 170 milliards de dollars (environ 124 milliards d’euros) de réserves de change —162 milliards de dollars fin 2010—, l’Algérie n’a jamais eu les caisses aussi pleines.

Une belle cagnotte constituée par les ventes à l’étranger de pétrole et de gaz naturel qui atteignent en moyenne 55 milliards de dollars par an, représentant 98% des exportations.

Cette aisance, apparue depuis le milieu des années 2000, a permis aux dirigeants algériens de suivre d’un œil plutôt distrait la crise financière qui affecte l’Europe et les Etats-Unis. En effet, nombre de responsables ne se sont pas gênés pour rappeler que ces réserves de change correspondent à trois années d’importations de biens et de services ce qui, traduit pour l’opinion publique, visait à signifier que l’Algérie pouvait, et peut encore, se payer le luxe de tourner au ralenti sans rien exporter durant trente-six mois.

Mais les déboires financiers et budgétaires des Etats-Unis et de l’Europe ont poussé nombre d’Algériens à s’interroger sur la vulnérabilité de ces réserves de change placées à 95% à l’étranger.

Des réserves investies en obligations d’Etat

«Les Algériens se demandent à juste titre où sont placés ces 170 milliards de dollars et comment ils sont investis? Dans une conjoncture internationale où l’on parle de dégradation de la note des Etats-Unis, de faillite possible de la Grèce ou d’une menace d’explosion de la zone euro sans oublier l’extrême fragilité des banques occidentales ainsi que la dégringolade annoncée du dollar, il est normal que l’on s’inquiète pour "l’épargne" du pays», commente un banquier algérois qui aimerait en savoir plus sur la politique suivie par la Banque centrale d’Algérie en matière de placements internationaux.

Du coup, l’institution monétaire a réagi à la fin du mois d’août en donnant quelques indications. Ainsi, les réserves de change algériennes sont-elles investies à 98% dans des obligations souveraines, c’est-à-dire émises par des Etats, et seules 2% sont déposées dans des banques (contre 20% il y a quelques années).

Si ces précisions ont été saluées par la presse algérienne, elles n’ont pas fait taire les critiques. En premier lieu, plusieurs experts déplorent le manque de transparence autour de la répartition des placements entre obligations américaines et européennes.

«On aimerait savoir si l’Algérie a acheté de la dette grecque. Quelle est la part des obligations espagnoles et portugaises dans nos avoirs? Même question concernant les bons du Trésor américain?» relève un ancien haut fonctionnaire qui craint que ces «réserves de change ne fondent comme neige au soleil du fait de la crise financière».

Une rentabilité pratiquement nulle

La seconde critique concerne la rentabilité de ces placements. Selon la Banque d’Algérie, ils ont rapporté 4,6 milliards de dollars en 2010 (soit l’équivalent d’une année faste pour les transferts de travailleurs marocains résident à l’étranger) contre 4,7 et 5,13 milliards de dollars en 2009 et 2008.

«L’Algérie perd de l’argent car ces revenus correspondent à un rendement de 3% soit un taux réel pratiquement nul si on prend en compte l’inflation et les divers frais d’investissements», estime un économiste algérois qui souhaite garder l’anonymat.

Une autre critique a trait à la politique d’investissement. Si aucun expert ne remet en cause la nécessité d’acheter des obligations d’Etat plutôt que de s’aventurer dans la jungle des produits dérivés —type subprimes et autres— nombreux sont ceux qui s’étonnent que l’Algérie n’ait pas augmenté son stock d’or. Constitué dans les années 1970, ce dernier atteignait 173 tonnes en 2009.

«L’Algérie a acheté des obligations d’Etat entre 2004 et 2007 quand les taux étaient élevés et donc attractifs. Mais elle aurait pu acheter aussi de l’or dont les prix ne cessent de grimper», poursuit l’économiste.

Le débat sur un fond souverain relancé

De façon plus générale, de nombreux Algériens regrettent que le pouvoir algérien refuse d’engager un débat national sur la nécessité ou non de créer un fonds souverain qui aurait pour mission de faire fructifier une partie des réserves de change.

«L’Algérie a raté des occasions majeures. Au lieu d’acheter de la dette souveraine qui risque de perdre de sa valeur, elle aurait pu prendre des participations dans des entreprises occidentales privées, acheter de l’immobilier en Europe ou aux Etats-Unis à l’image des stratégies suivies par les fonds souverains du Koweït ou d’Abou Dhabi», déplore l’économiste.

Une critique très répandue qui pose la question de la gestion des ressources financières dans la perspective de l’après-pétrole. En privé, de nombreux officiels reconnaissent que la gestion des réserves de change est «peut-être trop prudente» mais ils rappellent aussi que la Libyan Investment Authority (LIA), un fonds souverain libyen, a vu ses 4 milliards de dollars confiés à Goldman Sachs, et investis en produits financiers, s’envoler en fumée.

«Les Libyens n’avaient pas les compétences voulues pour s’aventurer dans les investissements financiers sophistiqués. Cela vaut pour les Algériens aussi», relève-t-on auprès de la Banque centrale algérienne.

Un argument qui n’est acceptable qu’à moitié puisque l’on peut penser qu’une Algérie indépendante depuis près de cinquante ans a tout de même les compétences qu’il faut pour évaluer et décider des investissements dans des actifs concrets comme l’immobilier ou le capital d’entreprises phares.

«Il y a une différence entre acheter des subprimes et prendre 5% du capital de Renault ou de GDF Suez ou encore acheter des terres arables en Afrique pour garantir sa sécurité alimentaire», insiste l’économiste.

Reste enfin un autre raison qui plaide en faveur de la création d’un fonds souverain algérien. Ce dernier pourrait investir en Algérie et contribuer à la diversification d’une économie totalement dépendante des exportations d’hydrocarbures.

Dans un pays où le crédit bancaire pour les entrepreneurs privés relève souvent de l’usure —quand il est octroyé— et où les dirigeants eux-mêmes se plaignent de l’insuffisance de l’investissement direct étranger, un tel fond souverain pourrait jouer le rôle de locomotive de l’économie locale. A condition que le pouvoir algérien accepte de relâcher un peu le contrôle absolu qu’il exerce sur l’emploi des excédents financiers…

Akram Belkaïd

 

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Akram Belkaïd

Akram Belkaïd, journaliste indépendant, travaille avec Le Quotidien d'Oran, Afrique Magazine, Géo et Le Monde Diplomatique. Prépare un ouvrage sur le pétrole de l'Alberta (Carnets Nord). Dernier livre paru, Etre arabe aujourd'hui (Ed Carnets Nord), 2011.

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