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Capture d'écran du blog "A Tunisian Girl", le 24 Janvier 2011
Capture d'écran du blog "A Tunisian Girl", le 24 Janvier 2011

Lina, blogueuse rebelle de la Révolution du jasmin

Lina Ben Mhenni, tunisienne de 27 ans, est devenue célèbre dans son pays grâce à son blog A Tunisian Girl. Depuis 2007, elle y dénonce la censure des médias et les dérives du régime de Ben Ali.

Quels risques avez-vous pris en ouvrant un blog militant en Tunisie?

Au début aucun, puisque c'était un blog ordinaire. Puis, en devenant activiste, je suis sortie de l'anonymat. Quand je me suis rendue à Sidi Bouzid [lieu où Mohamed Bouazizi s’est immolé par le feu le 17 décembre, ndlr], des familles m'invitaient parce que leurs enfants leur avaient parlé de mon blog. Ils m'encourageaient. Je n'ai pas de chiffres exacts, mais je sais que mon blog draine de mille à six mille clics par jour.

J’ai aussi commencé à être harcelée par la police. Ils me suivaient partout et essayaient de me provoquer. Ils sont même entrés par effraction chez mes parents et ont volé tout ce qu'ils trouvaient: mes ordinateurs, mes appareils photo, mes caméras vidéo, un disque dur externe et des DVD contenant des documents et des photos. Ils se sont aussi offerts le luxe de voler quelques bijoux.

Votre vie avant ces évènements, c'était quoi?

J’ai grandi en Tunisie. J'avais quatre ans quand Ben Ali est arrivé au pouvoir, en 1987. Le seul moment où j'ai quitté le pays c'est quand je suis partie aux Etats-Unis, à Boston, pour enseigner l’arabe dans le cadre du programme FLTA.Fulbright (Foreign Language Teaching Assistant Program). Sinon, j'ai fait des études de linguistique anglaise à la Faculté des Sciences humaines et sociales de Tunis, puis un master à la Faculté de la Mannouba, et je suis professeure d'anglais depuis 2010 à Tunis.

Cette activité de blogueuse vous est venue comment?

Mes horaires au travail sont flexibles, ils me permettent de blogger. Depuis que je suis enfant, j'écris de petits textes, sur des bouts de papier. Un jour, j'ai découvert le concept du blogging dans un article publié sur un magazine de variétés, et j'ai lancé le mien. Au début, c’était un blog ou je partageais mes pensées, mes poèmes, des résumés de mes lectures. Puis j'ai été touchée par la censure, et j'ai commencé à la dénoncer. Avant la Révolution du jasmin, j'ai fait campagne en faveur de la libération des étudiants emprisonnés pour leur activité syndicale.

Est-ce que la libéralisation des médias annoncée début janvier par les autorités tunisiennes est réelle?

Aujourd'hui, quand je marche dans la rue, je me sens plus libre parce que ce que j'écris sur mon blog ne me met plus en danger. La libéralisation des médias est réelle. Les journaux d'opposition ne sont plus censurés et ceux qui travaillaient pour le régime ont changé de discours: ils saluent la révolution. Nous avons désormais accès aux journaux internationaux comme Le Monde, Libération ou Le Canard Enchaîné. La télévision nationale organise des débats avec les opposants.

Malgré la libéralisation des médias, des observateurs pensent que cela va prendre du temps pour les Tunisiens d’apprendre à s'exprimer librement.

Oui, les journalistes exercent encore l'auto-censure. Ils ont été habitués à répéter ce qu'on leur disait de dire. Du coup, les débats sont mal conduits. Mais ça va venir, il faut le temps. Les citoyens en revanche ne ratent aucune occasion de s’exprimer.

Que pensez-vous de l'idée d'«e-révolution»?

En l'absence de couverture médiatique officielle, internet a été un outil très efficace. Mais il ne faut pas oublier ceux qui ont manifesté sur le terrain. C'est simplement que sans Facebook et Twitter, ces rassemblements auraient sûrement échoué.

Quelle est la suite de cette révolution aujourd'hui? Quelles sont les priorités pour les Tunisiens?

La priorité, c’est de stabiliser la situation et de travailler ensemble pour améliorer le pays. Aujourd’hui, les gens manifestent encore contre la présence majoritaire du RCD [Rassemblement constitutionnel démocratique, le parti de l'ex-président Ben Ali] et l’exclusion de certains partis dans le gouvernement transitoire.

Il faut que dans celui-ci, tous les partis soient représentés. Il faut répondre positivement aux demandes du peuple qui a fait cette révolution. Il faut aussi retourner au boulot et aux études pour faire avancer le pays. Mes interventions dans les médias sont temporaires, mais je vais continuer mon blog. Je veux continuer à défendre les principes de liberté.

Propos recueillis par Pierre Cherruau et Agnès Ratsimiala

Agnès Ratsimiala

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