mis à jour le

Sao Tomé rêve encore de pétrole
Depuis la découverte de gisements en 1996, Sao Tomé-et-Principe, pays pauvre de 180.000 habitants, espère que son salut viendra du pétrole. Mais l'enthousiasme s'essoufle alors que l'archipel n'a pas encore produit un seul baril d'or noir.
«Les îles du milieu du monde». Sao Tomé-et-Principe porte bien son surnom. Ce petit pays perdu au large des côtes gabonaises, dans le golfe de Guinée, reste encore largement méconnu.
Indépendante depuis 1975, l’ancienne colonie portugaise aux finances précaires est longtemps restée en marge des affaires du monde. Jusqu’à ce que le pays découvre qu'il était assis sur d'immenses réserves de pétrole. Les recherches effectuées au tournant des années 2000 ont révélé l’existence d’environ deux milliards de barils enfouis sous les eaux.
La découverte a suscité autant d’espoirs que de convoitises sur l’archipel, alors que 54% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et que le pays n’a pas les moyens d’exploiter seul ses ressources. Car Sao Tomé-et-Principe est l’un des rares pays du golfe de Guinée à ne pas encore produire de pétrole.
Des explorations décevantes
Le Nigeria et l’Angola, premiers producteurs de pétrole sur le continent africain, ont commencé à s’intéresser de près à leur voisin insulaire. Selon le Mail & Guardian, les entreprises et l'Etat nigérian se sont régulièrement arrangés pour tirer profit des contrats passés, au détriment de Sao Tomé.
Après de nombreux désaccords sur la délimitation des eaux territoriales santoméennes, revendiquées par le Nigeria, les deux pays ont signé un accord d’exploitation conjointe en février 2001. Il concerne le secteur le plus prometteur, au nord de Principe, la plus petite des îles jumelles, qui ressemble à un confetti sur la carte, avec ses 140 km2 de superficie. Les Santoméens ne devraient toucher que 40% des recettes du pétrole, contre 60% pour le Nigeria:
«Si nous découvrons un puits de pétrole de 1,5 milliard de barils de réserves récupérables même après le partage des dividendes avec le Nigeria, nous percevrons près de 9 milliards de dollars par an [6,6 milliards d'euros, ndlr], pendant 25 à 30 ans», déclarait en 2006 Afonso Varela, directeur des Affaires juridiques de l'Agence nationale du pétrole (ANP).
Des perspectives de revenus astronomiques pour les quelques 180.000 habitants de l’archipel, dont le tiers vit à Sao Tomé, la capitale. Mais le doute s’installe depuis le désistement des deux premières compagnies pétrolières américaines comme Exxon Mobil ou Chevron, pourtant enthousiastes lorsque les gisements ont été découverts.
«Les entreprises y ont regardé de plus près et ont décidé que ça ne valait pas la peine; le fait qu'ils se retirent est très révélateur», déclarait John Ghazvinian, auteur d'Untapped: The Scramble for Africa's Oil (Inexploité: la ruée vers le pétrole africain), en février 2011.
Les appels d’offre pour l’exploration offshore ont finalement attiré des compagnies de moindre importance, en majorité africaines. Afex Global et Force Petroleum (Australie), Grupo Gema (Angola), O.G. Engineering (Sao Tome and Principe) et Oranto Petroleum and Overt Energy (Nigeria) se sont notamment manifestées.
Il faut dire que les premiers forages, réalisés en 2003 et 2007 dans la zone économique conjointe avec le Nigeria, n'ont pas été très concluants. Du pétrole a été trouvé, mais en quantités insuffisantes pour l'exploiter commercialement.
"Il y a eu beaucoup de battage médiatique pour dire qu’avec les richesses pétrolières, cette petite nation insulaire faiblement peuplée pourrait devenir le prochain grand exportateur, mais la géologie ne s'est pas avérée très prometteuse», ajoutait Ghazvinian.
Alors que Sao Tomé espérait produire son premier baril de brut en 2011, il n’y a toujours pas l’ombre d’une goutte de pétrole. Selon des sources économiques et diplomatiques, il faudra plutôt tabler sur 2014. Et encore, les perspectives restent incertaines.
Relancer la production
En attendant, la situation économique et sociale du pays a empiré sous l’effet de la crise internationale. Les rares visiteurs qui se rendent à Sao Tomé sont frappés par l’état de délabrement de l’île. Entre les ponts écroulés et les nids de poule, la route qui borde la côte est devenue impratiquable par endroits. Les Santoméens, pêcheurs pour la plupart, vivent à 80% de l’aide internationale. Grâce à une petite agriculture de subsistance, chacun cultive ses bananes plantain ou son manioc.
L’époque où l’archipel caracolait en tête de la production mondiale de cacao, au tournant du XXe siècle, semble bien loin. Avec le départ des Portugais et la concurrence des pays émergents, l’industrie cacaotière s’est effondrée. Sao Tomé «n'en retire plus que quatre maigres millions de dollars d'exportations par an [moins de 3 millions d'euros]. Mais cela reste la principale source de devises du pays devant le tourisme», rappelle Ricardo Soares de Oliveira, chercheur à l'université de Cambridge.
Sur l'île de Sao Tomé, qui compte une douzaine de gros villages, la plupart des «roças», les anciennes plantations coloniales, sont aujourd’hui laissées à l’abandon, entre le flanc des montagnes et le littoral. Certes, les cacaotiers poussent encore et font la fierté des habitants qui se débrouillent pour baragouiner quelques explications en français aux promeneurs. Mais avec l'humidité équatoriale, ils se perdent dans une végétation hostile qui envahit les terres. Cela fait longtemps qu'aucune main ouvrière n'est passée par là.
Les grandes bâtisses des anciens propriétaires trônent au milieu du domaine agricole, des deux allées interminables faites de cahutes en tôles. Toutes les roças ou presque sont faites sur le même modèle.
«A gauche, c'est là où vivaient les esclaves angolais, à droite ceux du Cap Vert», explique un gamin d'à peine 12 ans, qui vit aujourd'hui dans la maison du maître.
Des familles entières, faute de logement décent, s’entassent dans les maisons des Portugais qui ont déguerpi en 1975.
Dans les exploitations encore en activité, seule une production de qualité permet à l’archipel de s’en sortir. La production de cacao biologique certifié s’impose petit à petit, avec 400 tonnes sur un total de 3.500 tonnes en 2010. Le café santoméen, également réputé à l’étranger, a connu le même sort que le cacao. Et depuis peu, quelques rares initiatives émergent, là aussi. Le français Malongo a réhabilité en 2010 une ancienne grande plantation, le Roça Monte Cafe, pour créer une filière de commerce équitable. La marque s’est engagée à racheter la totalité de la production.
Le changement tant attendu
Presque quinze ans après la découverte des gisements d'or noir, non seulement Sao Tomé n'est pas devenu le «Koweit» du golfe de Guinée, mais en plus, le pétrole a déterioré le climat national. La démocratie tranquille des années 1990 s'est enfoncée dans l'instabilité avec le président Fradique de Menezes, victime d'une tentative de putsch en 2003.
«C’était le seul sujet de conversation: le pétrole par-ci, le pétrole par-là.», raconte Arlindo Carvalho, ministre du Pétrole entre 2003 et 2005.
Les tensions au sein de la coalition gouvernementale (le Mouvement de libération de Sao Tomé-et-Principe et le Parti social-démocrate) se sont multipliées, notamment à propos des attribution de concessions pétrolières. Car l'île a perçu 35,8 millions d'euros dès 2003, avant même que le pétrole coule. Des «bonus à la signature» versés à l'Etat par les entreprises étrangères qui ont commencé à forer, mais dont la population santoméenne n'a pas vu la couleur.
Certains observateurs comme Mohamed Yahya, de l'ONG anglaise International Alert, en arrivent à conclure que «les institutions de Sao Tomé figurent parmi les plus fragiles d’Afrique. La meilleure chose qui puisse arriver au pays, c’est qu’il n’y ait pas de pétrole ici.»
Face à ces désillusions, Sao Tomé-et-Principe ne peut plus se contenter de rêver d’or noir. Elle devra notamment diversifier son économie pour se développer. L’île, bordée de plages interminables, dotée de fonds sous-marins riches et de reliefs volcaniques grandioses, possède un potentiel touristique important.
Mais avec seulement 7.000 visiteurs en 2010 et des infrastructures inexistantes, tout reste à faire. L'île est très mal reliée aux continent européen. On ne trouve même pas de vol direct au départ de Paris, puisque seules deux compagnies assurent les liaisons depuis le Portugal —à des prix exorbitants. En fait, la plupart des touristes continuent à débarquer de petits avions à hélice en provenance de Libreville, au Gabon.
Le trajet ne dure que deux heures, mais ceux qui ont déjà voyagé avec Ceiba Intercontinental (compagnie blacklistée par l'Union européenne) s'en souviennent. Une montée qui semble interminable, l'impression de voyager dans une cocotte-minute pendant l'heure qui suit, au ras des nuages… pour la «modique» somme de 450 euros.
Dans la capitale, où le chômage pousse les jeunes à migrer, le tourisme semble être devenu la principale activité. Les guides attendent les visiteurs à chaque coin de rue, et la plupart se débrouille aujourd'hui en français, première langue étrangère avant l'anglais. Dans cette petite ville tranquille où vivent 60.000 personnes, seuls les taxis jaunes, presque aussi nombreux que les habitants, agitent les rues avec leurs klaxons.
Le changement est attendu et peut effectivement venir du pétrole, mais d'autres voies sont possibles. Contre toute attente, les Santoméens ont élu le 7 août 2011 celui qui a dirigé le pays d'une main de fer après l'indépendance, sous l'ère du parti unique communiste. Entre 1975 et 1990, il a su incarner la stabilité, à l'inverse des 18 Premiers ministres qui se sont succédé depuis 1990, ainsi que la lutte contre la corruption, un fléau qui mine le pays. Le retour du président Pinto Da Costa laisse donc l'avenir de Sao Tomé en suspens.
Célia Lebur