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Hamed Karoui n’a plus de chance de réussir un quelconque leadership
Par Mansour Mhenni
Qu'on le veuille ou pas, Kamel Morjane reste une figure de proue dans la vie politique tunisienne. D'abord pour son succès diplomatique qui semble être l'effet conjugué de son sourire affable et amical et son regard perçant et rigoureux. Plus diplomate que politique, disent certains. Mais allez voir où se situe la frontière entre la diplomatie et la politique. Dans les deux cas, il faut une bonne maîtrise du discours et une certaine éloquence ; dans les deux cas, il faut de l'intelligence, de la suite dans les idées et une articulation logique de la pensée. Un peu d'hypocrisie aussi ? Disons plutôt une part de complaisance, ou tout simplement de la souplesse dans les rapports.
Kamel Morjane paraît doté de ces qualités et d'aucuns s'étaient sans doute trop pressés soit de voir en lui un successeur privilégié de Ben Ali (ce qui suppose - mais c'est loin d'être le cas - que ce dernier avait encore, à la fin de son règne, assez de lucidité et de maîtrise de sa décision pour oser imposer à la force qui l'opprimait, de l'intérieur comme de l'extérieur, les choix les plus adéquats ou au moins les moins nocifs). D'autres, ou tout simplement les mêmes, s'étaient trompés encore de le croire capable de prendre, à l'aube même de l'année 2011, le leadership des destouriens honnêtes et sincères (Allez les distinguer !), destouriens et Rcdistes (c'est encore de l'hypocrisie de les séparer), car il était trop tôt d'y prétendre même si le Monsieur a les moyens d'aspirer à un tel rôle.
C'était sage de sa part de se positionner à la fois dans son choix politique et dans la modestie de la circonstance, même si je reste convaincu que, pour méritoires que soient leurs initiatives respectives, les figures de conduite dans la famille Destour-RCd n'avaient pas réussi à relever les défis, tous les défis, du séisme qui a secoué la Tunisie à la fin de 2010 et au début de 2011.
De ce point de vue, je me permets encore de répéter que la dissolution du RCD a été une erreur très grave et qu'une grande partie des problèmes que connaît le pays aujourd'hui sont un peu le résultat de cette précipitation frénétique à tout dissoudre, à tous exclure et à tout refaire de ce que la Tunisie avait construit historiquement sur presque un demi-siècle de lutte anticoloniale et un demi-siècle de travail et d'abnégation pour l'édification d'un Etat moderne.
Attention, l'erreur n'incombe pas seulement aux « nouveaux venus », comme on les appelle, bientôt devenus d'ailleurs « les nouveau arrivés », parce qu'ils auraient prêté le flanc aux pratiques qui justifieraient la connotation qu'on devine dans l'expression ! La faute est peut-être d'abord aux Destouriens et Rcdistes eux-mêmes ( je ne parle pas des militants de base, mais de ceux qui assumaient une responsabilité structurelle dans le parti ), qui avaient trop tôt jeté l'éponge et oublié toute la fougue militante dont ils se prévalaient. Là apparaît le mérite, tardif pour les uns précoce pour les autres,, de Mohamed Jgham, Kamel Morjane et consorts ! En plus, Morjane a eu l'honnêteté de ne pas se retourner contre son passé, même le plus proche, celui du 14 janvier 2011, malgré certaines nuances, faisant ainsi preuve d'honnêteté intellectuelle et de responsabilité politique. Il s'était exprimé alors au nom de tous les Tunisiens, honnêtes et patriotes, qui avaient intégré la machine de l'Etat pour se rendre utiles et Dieu seul sait combien ils l'avaient été. Au passage, professionnellement ou par obligation partisane, ils ont vanté le mérite du « Dictateur » ? Dites-moi qui n'est pas aujourd'hui encore en train de vanter son maître dont la toge dictatoriale sommeille sous les fausses manières et les couleurs déguisées empruntées à l'aspect superficiel de la démocratie? Ce n'est pas un reproche qui leur est fait ici, c'est juste le constat qu'il en est ainsi en politique partisane... et une action politique peut-elle vraiment être totalement non partisane ?
Pourtant, il n'est pas interdit aux hommes et aux femmes de changer, donc de changer de camp, pourvu qu'ils se dévoilent dans cette logique et cette évolution compréhensible. Mais devenir révolutionnaire du jour au lendemain quand on a trempé dans les eaux les plus suspectes et quand on a cherché à tromper le Diable et le Bon Dieu !!! - Bref, disons qu'il faut de tout pour faire un monde.
Ce qu'il aurait fallu à cette famille destourienne donc, juste après le 14 janvier, c'est qu'une figure emblématique, qui n'était plus au pouvoir (Hamed Karoui était la figure idoine au vu du respect dont il jouissait auprès des différentes partitions internes de la famille, sauf certains inconditionnels), prenne l'initiative d'une réunion du comité central vidé de tous les nommés (sans forcément la présider, la conduire ou en paraître la figure de proue). Seulement les élus du comité central (parce qu'ils étaient, en ce temps-là, les seuls responsables reconnaissables comme légitimes, dans le parti) ! Et très vite, peut-être même le 15 ou le 16 janvier (il y avait d'ailleurs une réunion du comité central, prévue à ces dates), ce comité central aurait décidé de l'exclusion de tout le bureau politique (membres et président) ; il en aurait élu un autre, ad hoc, avec un autre président provisoire du bureau politique et du parti. Ce comité central aurait déclaré aussi la responsabilité du parti dans le dysfonctionnement du système, se mettant à la disposition de la justice pour toute imputabilité, se serait aligné sur la volonté du peuple avec lequel, rappelons-le, ses militants s'étaient confondus au cours des manifestations de janvier 2011. Peut-être alors les choses se seraient-elles passées autrement dans l'intérêt de tout le monde et surtout celui du pays ? Ah ! Mandela ! Dieu soit avec toi dans ta dernière épreuve !
C'est sans doute pour cela aussi que Hamed Karoui n'a plus de chance de réussir un quelconque leadership, même si nous savons tous le grand respect que lui vouent encore, entre autres Mohamed Jgham et Kamel Morjane, tout à leur honneur.
Et Béji Caïd Essebsi dans cette logique ? Je crois que ce dernier a pris une autre option que celle de la « destourianité » institutionnelle. Il a choisi la pensée destourienne, comme l'autre vis-à-vis, mais il a cherché à corriger l'assise politique, apparemment pour rectifier le tir d'un choix erroné des années soixante-dix quand, sous la férule de Mohamed Sayah, le parti a encouragé la percée des islamistes pour neutraliser la gauche, alors que du point de vue civilisationnel pur, le réformisme tunisien (dont se reconnaît le mouvement du Destour) est obligatoirement dans un juste milieu nécessaire entre la gauche et l'islam ; c'est un peu la gauche dans l'islamité (et non dans l'islamisme politique). Au début de son pouvoir, Ben Ali a touché à ce fond du problème, mais les gens de gauche l'ont lâché, les islamistes l'ont combattu (on peut deviner pourquoi ? Pour son choix de continuer sur le chemin du bourguibisme, malgré tout ce qui se dit contre cela, plutôt que sur la voie vers laquelle ils voulaient le tirer !). Aujourd'hui, ils prétendent avoir décelé en lui un dictateur en puissance : peut-être en agissant ainsi l'y ont-ils précipité sans le savoir (ou en le sachant), sans le vouloir (ou en le voulant), privant la Tunisie d'une opportunité importante pour entrer en apprentissage démocratique ? Laissons aux historiens le rôle de l'évaluation objective des choses du passé. Pourvu qu'aujourd'hui aussi, les uns et les autres ne nous fassent pas gaspiller sans doute la meilleure chance qui nous est offerte de faire notre baptême du feu en matière de culture démocratique !
Qu'importe donc si certains destouriens vont avec BCE ou avec le groupe à Morjane, désormais renforcé par l'appui précieux, mais à gérer intelligemment, de Slim Riahi. Dans les deux cas, ils sont dans leur élément naturel. Par ailleurs, ils ont la liberté d'aller voir ailleurs ; mais que cela se fasse dans l'honnêteté et l'humilité requises.
Il y a de la place pour tout le monde dans cette petite Tunisie au grand c½ur ; il faudrait juste que ses enfants aient des c½urs de la même générosité que le sien.
Par Mansour Mhenni le 7 septembre 2013
Remarque : Le titre n’est pas de l’auteur