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Une caricature de Mouammar Kadhafi sur un mur de Tripoli, le 30 août 2011. REUTERS/Zohra Bensemra
Une caricature de Mouammar Kadhafi sur un mur de Tripoli, le 30 août 2011. REUTERS/Zohra Bensemra

Où se cache Kadhafi?

Deux semaines après la prise de Tripoli, Mouammar Kadhafi est toujours introuvable. Dans les journaux arabes, on reste sceptique sur l'hypothèse d'une imminente capture du «Guide».

Depuis la prise de Tripoli par les combattants rebelles et l’installation du Conseil national de transition (CNT) dans la capitale libyenne, Mouammar Kadhafi et plusieurs membres de sa famille sont en fuite et demeurent, à ce jour, introuvables.

En deux semaines, les renseignements sur cette véritable «chasse à l’homme» —avec l’annonce d’une prime de 1,7 million de dollars (près de 1,2 million d'euros) à la clé— oscillent entre désinformation et propagande.

Ce «cache-cache», qui fait suite à l’euphorie de la prise de Tripoli a récemment été qualifié par Mouammar Kadhafi de «guerre psychologique» tissée de «mensonges».

On ne compte plus les annonces des chefs militaires rebelles assurant avoir localisés le «Guide». A maintes reprises, Mouammar Kadhafi a été situé, identifié, encerclé, justifiant à chaque fois l’évolution des troupes rebelles sur le territoire libyen, notamment vers la ville de Syrte. Enfin, en faisant appel aux chasseurs de prime, les futurs garants de la démocratie libyenne donnent, pour certains observateurs, un premier aperçu de l'avenir de la justice libyenne.

Localisations et démentis

Dans la nuit du lundi 5 au mardi 6 septembre 2011, un important convoi de véhicules aurait traversé la ville d'Agadez, au nord du Niger. Entre 200 et 250 véhicules civils et militaires ont, selon des sources françaises et nigériennes, franchi la frontière. A leur bord, des personnalités du régime déchu. Le jour même, Kadhafi, via un énième message sonore, démentait l’information selon laquelle il était à bord du convoi:

«Combien de convois de contrebandiers, de marchandises et de gens entrent dans le désert chaque jour vers le Soudan, le Tchad, le Mali ou l'Algérie. Comme si c'était la première fois qu'un convoi traverse le Niger», a déclaré le colonel à la chaîne syrienne Arrai TV, qui a confirmé que le message du colonel était bel et bien retransmis du territoire libyen.

Avant lui, le ministre des Affaires étrangères nigérien Mohamed Bazoum avait également nié avoir accueilli le colonel au Niger. Dans la foulée, Moussa Ibrahim, le porte-parole de Kadhafi, avait quant à lui assuré que ce dernier était en bonne santé, avait le «moral au beau fixe» et qu'il était toujours sur le sol libyen.

Dans le même temps —et dans l'ordre— le «fugitif Kadhafi» aurait été localisé par la rébellion aux alentours d'Abu Slim, un quartier de Tripoli, puis de Bani Walid, au sud-est de la capitale. Enfin, le Guide aurait passé la frontière et se serait donc, selon les rumeurs, rendu au Niger, à Niamey, ou encore au Burkina Faso —le tout sans écarter la piste algérienne où sa fille Aïcha Kadhafi et d’autres membres de sa famille ont déjà trouvé refuge.

Les défilés de véhicules s'échappant de Libye en direction du Sahel auront fini de brouiller les pistes, alors même que les combattants rebelles continuent de ratisser les rues de la capitale et progressent dans leur conquête de Syrte. Pour mémoire, la traque de Sadam Hussein avait duré près de huit mois, d'avril à décembre 2003.

Prendre l'air avant le banc des accusés

L’enjeu de la capture de Kadhafi est pourtant de taille. Les magistrats de la Cour pénale internationale (CPI) se tiennent en effet prêts à juger l'ex-dirigeant libyen pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Les principaux responsables du CNT ont quant à eux proposé une récompense pour la capture, «mort ou vif», de l'ex-dictateur. Le chef des rebelles, Moustapha Abdel Jalil, avait indiqué vouloir l'appréhender «vivant, pour qu'il soit jugé».

Dans les colonnes du quotidien tunisien Al Chourouk, Mouammar Kadhafi et son fils Seif al Islam seraient bien à Bani Walid, là où les négociations sur l’arrêt des combats sont en cours:

«Le CNT a la conviction que Moussa Brahim et Seif al-Islam sont actuellement à Bani Walid. La ville est sans gaz, sans électricité et sans carburant. […] L’opinion de certains est que la lutte autour de Bani Walid peut se transformer en bain de sang, et plonge toute la Libye dans la guerre civile.»

Pour Le Temps, qui titre «Mort ou vif» en une du journal (PDF), la collaboration entre l’Occident et les rebelles libyens reste, dans cette traque, une première en matière de diplomatie arabe:

«En tout cas, l’Occident se sent aujourd’hui obligé de traiter avec cette nouvelle composante assez forte que sont les islamistes. Ceux qu’il avait naguère choisi d’exclure et d’inscrire sur ses listes noires figurent aujourd’hui parmi ses interlocuteurs virtuels».

Kadhafi de plus en plus isolé

Sur Almaghribia, le quotidien marocain, on revient chronologiquement sur la fuite du dictateur —le bastion de Bani Walid restant la cachette la plus probable. L’article s’appuie sur les déclarations d’Ahmed Belhadj, leader d'un groupe de combattants rebelles dont les soldats viennent de la région de Misrata:

«Il y a la base militaire près de Bani Walid, contrôlée par des forces pro-Kadhafi. Nous voulons y saisir Kadhafi. Certains membres de son clan commencent déjà à se retourner contre lui.»

Jeudi 8 septembre, la une du quotidien algérien francophone Liberté est en partie consacrée à la crise libyenne. Les pages 3, 4 et 8 tournent autour de la question libyenne et ses conséquences sur l’Algérie. Enfin, le journal revient sur les spéculations autour de la fuite de Mouammar Kadhafi et sa localisation dans le sud libyen:

«Les nouvelles autorités libyennes n’ont pas d’emprise sur le Sud libyen en raison de la fidélité des tribus de la région à Mouammar Kadhafi. Les nouveaux dirigeants ont des contacts avec certains membres de chacune des tribus, dont les Ouled Souleiman, les Ahdayrat, et les Touaregs. Ces tribus sont disséminées à travers le Sahara et certains de ses membres sont fidèles à Kadhafi parce qu’il les a invités à vivre en Libye.

La plupart des loyalistes dans cette guerre sont dans ce cas de figure, il leur a donné des terres pour rester. Ces tribus sont convaincues que si le système change nous les chasserons. C’est pour cette raison qu’elles restent plus longtemps à ses côtés», affirme Hicham Bouhagiar, l'un des colonels des forces rebelles.

La guerre d'information, nouvelle étape de la crise libyenne

Le quotidien marocain Liberation s'interroge sur la présence d'Aïcha Kadhafi sur le sol algérien. On y pointe du doigt le prétexte humanitaire avancé par les autorités algériennes simultanément avec la diffusion de l'information:

«L’épreuve de la Libye aura accessoirement permis de dénombrer le résidu de dictatures du tiers-monde rescapées de l’après-guerre froide. On les reconnaît à leur soutien au camarade de promotion Kadhafi.»

Dans l'article «La guerre en Libye fait des héros», un chef de la rébellion, Selim Nabous, omniprésent sur les fronts libyens et qui se bat depuis le 17 février donne son avis sur la poursuite de Kadhafi:

«On parle beaucoup de Syrte, à cause du battage médiatique autour des messages de Kadhafi. Mais c'est Brega qui fut la mère de toutes les batailles. La prise de Syrte ne sera qu'une question de jours. Et pourtant, ce ne sera pas là encore la victoire, car Kadhafi n'est pas fini. Nous avons un désert de la taille de l'Europe, avec des armes et des mercenaires partout, là est la plus grande menace»

Le 8 septembre, dans son article «Kadhafi en Libye, encerclé par les rebelles», le journal libanais Al-BaladOnline fait le point sur les déclarations du colonel libyen, tout en misant sur les négociations en cours à Bani Walid:

«Kadhafi a juré à nouveau la défaite des révolutionnaires et de l'OTAN. Il a dit que les jeunes à Tripoli sont prêts à intensifier la résistance contre les rats et l'élimination des mercenaires car il sait que les rebelles ont le contrôle de la plupart des villes de Libye».

Pour sa part, Abdullah Kinsal, qui dirige les négociations entre le Conseil transitoire et certains chefs tribaux, peut confirmer que deux des fils de Kadhafi (Seif al-Islam et Muttassim) ont été vus dans la ville de Bani Walid, où les rebelles se préparent à entrer.

«Il a été mis en place des troupes et des appels pour enjoindre les gens à se battre. Il se cache dans un trou dans le sol, comme l'Irak», dit un combattant rebelle, en référence à l'ancien dirigeant irakien Saddam Hussein, retrouvé caché dans un trou huit mois après son renversement en 2003.

Un autre combattant donne son avis sur la situation:  

«Les gens sont terrifiés… mais beaucoup soutiennent le régime de Kadhafi parce qu'ils étaient payés et parce que beaucoup ont commis des crimes, et craignent d'être arrêtés.»

Depuis que son complexe à Tripoli a été envahi le 23 août, Kadhafi a lancé plusieurs appels à la résistance dans les bandes diffusées par la chaîne syrienne Arrai TV. Dans le quotidien saoudien Asharq al-Awsat, on s’interroge sur le lieu d’émission du colonel:

«Le canal qui a récemment diffusé le discours de Kadhafi est une station mobile située dans un véhicule. (Il) se déplace d'un endroit à l'autre, de sorte que personne ne peut le localiser. La technologie de transmission de ce véhicule n'a pas besoin d'un équipement de studio sophistiqué. L'enregistrement est transmis immédiatement dès qu'il est reçu. […] je ne sais pas si la transmission est réalisée à partir d'une maison, d'une tente, d'un désert, ou du centre de Tripoli, mais je sais qu'il est difficile à détecter.»

Chassé de son siège par les armes, Mouammar Kadhafi éprouve psychologiquement le nouveau gouvernement libyen. Pour les représentants du CNT, sa capture est la dernière condition à la transition. Sur le plan politique, une délégation s'est rendue au Niger pour s'assurer de la collaboration du pays voisin. De son côté, Hicham Bouhagiar, le chef militaire qui coordonne la traque du dictateur, risque bien de se perdre sur les mille et une pistes de Kadhafi.  

Mehdi Farhat

 

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