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South Africa 030, by rapidtravelchai via Flickr CC
South Africa 030, by rapidtravelchai via Flickr CC

Le grand retour des Sud-Africains blancs

L'Afrique du Sud, qui connaît une forte émigration de ses «cerveaux» blancs depuis la fin de l'apartheid, inverse aujourd'hui la tendance.

Un verre de vin blanc à la main, Liesl Swanepoel admire les premiers arbres en fleurs du printemps austral, en ce début septembre, dans son jardin de Parkview, une banlieue résidentielle des quartiers nord de Johannesburg.

Voilà six mois que cette publicitaire de 36 ans est revenue de Londres, la capitale britannique. Pas l’ombre d’un regret chez elle. Elle raconte avoir retrouvé très facilement un poste de directrice artistique dans une grande agence de Johannesburg.

Elle a passé trois ans dans un appartement «ridiculement petit, sombre et hors de prix» d’Elephant & Castle, au terminus de la ligne de métro Barkerloo, dans le sud de Londres. Et ne cache pas sa joie, aujourd’hui, de retrouver les intérieurs spacieux et les grands jardins de Johannesburg, pour un loyer qui ne menace plus d’engloutir les deux tiers de son salaire.

Liesl Swanepoel avoue avoir eu un sérieux coup de biltong blues en Angleterre. C’est le surnom que les «safas», les Sud-Africains de l’étranger, donnent à leur mal du pays. Allusion au biltong, le bœuf séché et découpé en fines lamelles qui fait partie des spécialités de la nation arc-en-ciel.

Liesl Swanepoel trouve aujourd’hui la qualité de vie «incomparable» en Afrique du Sud: l’hiver ne dure que trois mois, avec grand soleil assuré tous les jours et une température avoisinant souvent les 20 degrés dans la journée. Plus de ménage et de repassage à faire soi-même, ni de budget spécial pour faire garder sa fille: elle emploie une maid, une domestique noire à plein temps qui habite dans la semaine une petite chambre à l’arrière de sa maison, pour la modique somme de 250 euros par mois.

Après l'apartheid, l'ouverture

A un rythme moyen de 10.000 personnes par an depuis 1994, selon des chiffres officiels que tout le monde, en Afrique du Sud, juge sous-estimés, on a parlé d’une «fuite des cerveaux» blancs dans les années qui ont suivi l’élection de Nelson Mandela à la présidence.

Quelque 841.000 Sud-Africains blancs ont quitté leur pays entre 1995 et 2005, estime de son côté l’Institut sud-africain des relations raciales (SAIRR), pour une population blanche de 4,5 millions de personnes (9% de la population totale) résidant en Afrique du Sud. Les flux migratoires, par ailleurs, sont devenus multiraciaux, signalant l’ouverture du pays sur le reste du monde, après des années de sanctions internationales et d’isolement.

Qu’ils soient blancs, noirs, métis ou indiens, les médecins, infirmières, informaticiens, comptables, banquiers ou spécialistes en marketing se sont mis à chercher des opportunités à l’étranger, jusqu’en Inde et en Chine.

Mais pour la plupart, ils tentent l’aventure dans des pays anglophones et industrialisés: Grande-Bretagne, États-Unis, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande, ces deux derniers pays ayant des points communs avec l’Afrique du Sud, grands espaces et climat favorable.

La ville de Perth, sur la côte ouest de l’Australie, est devenue une destination de choix pour les Sud-Africains blancs, parce qu’elle jouit du même climat méditerranéen que le Cap. Perth abrite une colonie d’environ 20.000 «safas» (1,3% de la population de la ville), qui n’ont pas fait que des heureux en y reproduisant leur mode de vie: chiens méchants et vie retranchée derrière de hauts murs surmontés de fils de fer barbelés.

Le retour des cerveaux

Le mouvement de retour est perceptible depuis 2002, à la faveur du décollage économique du pays, le seul marché émergent du continent. Des performances confirmées, malgré la crise globale, avec l’intégration en janvier 2011 de l’Afrique du Sud dans le groupe Bric (Brésil, Russie, Inde, Chine).

La crise des économies européennes a rendu Londres moins attrayante, tandis que le succès de la Coupe du monde de football, abritée en 2010 par l’Afrique du Sud, a contribué à changer les perceptions des expatriés.

Comme des milliers d'autres, Liesl Swanepoel participe à cette «révolution du retour», la homecoming revolution qui a donné son nom à un site Internet et une organisation aidant les Sud-Africains à reprendre pied au pays natal.

«Je ne suis pas de ceux qui pensaient que le pays ne pouvait pas être géré par des noirs», affirme l’ex-immigrée, qui dit avoir voté pour le Congrès national africain (ANC, le parti de Mandela) en 1994 et en 1999.

Elle ne fait pas non plus partie de ces blancs qui se plaignent de la dégradation des services publics, des niveaux élevés de criminalité, ou qui se sentent victimes d’une discrimination inversée en raison des politiques à l’œuvre dans la fonction publique et le secteur privé pour favoriser les «groupes historiquement désavantagés».

Elle avoue avoir plutôt cédé à un phénomène d’entraînement.  Beaucoup de ses amis ont tenté l’aventure à Londres. Elle a voulu les suivre. Pour Liesl, la perspective de gagner sa vie en livres sterling a fortement joué. Tout comme l’idée de passer ses week-ends dans les galeries et les musées et de se sentir «un peu plus au centre du monde».

Le retour des professionnels émigrés a aussi été incité par le gouvernement, qui a voulu stopper l’exode des personnels de santé, blancs comme noirs, en augmentant de 23% les salaires des infirmières en 2007 et de 40% ceux des médecins dans les hôpitaux publics en 2009.

Le mouvement de retour intéresse de très près les agents immobiliers et les banques. Selon la First National Bank (FNB), les ventes de propriétés pour cause d’émigration n’ont jamais été aussi faibles qu’en 2011, en pourcentage des ventes totales. Selon une étude menée depuis 2008 par la FNB, le record des ventes pour cause de départ à l’étranger s’est établi à 20% des transactions au dernier trimestre 2008, contre 4% lors des deux premiers trimestres 2011.

Les conditions météo, la crise et le chômage poussent beaucoup de Sud-Africains à revenir d’Europe et des États-Unis. Certains se posent tout de même des questions, affirme l’agent immobilier Berry Everitt, à la tête de la firme Chas Everitt, en raison des «impressions négatives données par certaines déclarations».

Un impôt spécial pour les blancs a notamment été évoqué par Desmond Tutu, tandis que la nationalisation des mines et des terres, demandée par Julius Malema, le président de la Ligue des jeunes de l’ANC, effraie les Sud-Africains blancs.

Les plus tentés par le retour sont les jeunes sans enfants, qui savent pouvoir trouver des opportunités en Afrique du Sud qui n’existent pas ailleurs.

«Il y a très peu de pays au monde où vous pouvez mettre au point une campagne pour BMW à 30 ans», rappelle Liesl Swanepoel.

La plupart des anciens expatriés redoutent les cambriolages et les braquages de voiture à main armée, et cherchent des logements sécurisés dans des townhouses, des complexes protégés par un grand mur d’enceinte et une société de sécurité privée.


Une villa sécurisée de Parkview, un quartier résidentiel de Johannesburg. © Sabine Cessou

Liesl Swanepoel, elle, a opté pour une villa de Parkview des années 1930 avec un certain cachet, moulures aux plafonds, parquet ancien, mais aussi les inévitables murs autour de son jardin et un système d’alarme sophistiqué qui lui donne parfois l’impression de vivre dans une «prison dorée». Le seul bémol qu’elle trouve, pour l’instant, à la joie du retour.

Sabine Cessou, à Johannesburg

 

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Sabine Cessou

Sabine Cessou est une journaliste indépendante, grand reporter pour L'Autre Afrique (1997-98), correspondante de Libération à Johannesburg (1998-2003) puis reporter Afrique au service étranger de Libération (2010-11).

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