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Marine Le Pen, mars 2011. © REUTERS/Benoit Tessier
Marine Le Pen, mars 2011. © REUTERS/Benoit Tessier

Pourquoi Marine Le Pen fait peur aux Africains

La présidente du Front national prétend défendre le continent face aux «tentations néocoloniales» de la France. Mais pour le dramaturge Eric Essono, les Africains doivent craindre le populisme de la fille de Jean-Marie Le Pen.

Mise à jour du 6 juillet 2012: Jean-Marie Le Pen a déclaré au journal britannique le Times que sa fille était «une petite bourgeoise». A ses yeux, son succès s’expliquerait par le fait qu’elle soit «une femme». Fidèle à ses habitudes, l’ancien leader du FN, 84 ans, a dénoncé les «vagues déferlantes» d’immigrés clandestins en France, qui ne tarderait pas à transformer, selon lui, les Européens en «esclaves des radicaux islamistes».

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En Europe, où des pédagogies pour le moins innovantes se font jour, on s’est mis en tête d’apprendre aux petits Français que l’expression garçon manqué est un solécisme, puisque c’est chacun qui choisit son sexe, et que ce que l’on a entre les jambes à la naissance, c’est con, cela ne compte pas, tant qu’on n’a pas choisi. C’est une leçon assez facile à faire passer par l’exemple. Prenons à tout hasard un spécimen, Marine Le Pen, la fille de Jean-Marie. A part d’inaudibles e muets dans son nom, qu’elle a expurgé de toutes les voyelles féminines qui auraient pu trahir son genre, rien ne dit qu’il s’agit d’une femme, congénitalement parlant.

Le Pen est en effet un nom qui rappelle ce mouton noir de la politique française qui a fait de la xénophobie un courant politique comme un autre, au point de faire accroire, grâce notamment au soutien du comique (assez pathétique sur le coup!) Dieudonné, que le racisme pouvait être une forme d’humour, avec toujours le fameux alibi de la grille d’interprétation: c’est du trente sixième degré!

Quoi qu’il en soit, Marine Le Pen, pour exister, devait encore choisir un métier. Elle a fait du droit et a été admise au barreau sans coup férir. Seulement, le métier d’avocat est trop facilement féminin, on y porte une robe, même si l’on se fait appeler de façon fort virile (maître). Marine n’a pas en conséquence porté la robe bien longtemps, elle a, comme on l’enseigne en France, choisi son genre une bonne fois pour toutes: elle a décidé de faire de la politique en pantalon. On voit d’ici, au-delà du patrimoine génétique transmis à son insu par son illustre père, la promesse tutélaire dont celui-ci lui a rebattu les oreilles durant toute son enfance: «Tu seras un homme, ma fille!» Génétiquement programmée pour ceci, on l’a politiquement déprogrammée pour être cela. Cela s’appelle, suivant les manuels français, l’environnement supposé déterminer le choix du genre.

Tout le monde sait en Afrique qu’une femme ne succède pas à un homme, cela ne s’est vu nulle part! Alors, il a fallu pour succéder à son père faire le choix radical mais efficace d’être un homme. Notre opinion, là-dessus, est faite: si, il y a quatre ans, lors du débat télévisé de l’entre-deux tours de la présidentielle, Nicolas Sarkozy, au lieu de Ségolène Royal qui s’était contentée de pointer un doigt accusateur sur lui, avait eu Marine Le Pen en face, c’est une pichenette qu’il aurait reçue en pleine figure. Comme dit l’aphorisme latin Mala malus mala mala dat  (mauvais pommier produit de mauvaises pommes): elle a été formée à bonne école. Son père se bagarrait dans la rue avec des quidams qui l’insultaient, le moins qu’elle eût fait, c’eût précisément été d’envoyer valser un candidat qui l’aurait contrarié, par une chiquenaude bien placée.     

Une rhétorique tout en clichés

Marine Le Pen rappelle à bien des égards, par son populisme, Mobutu ou Idi Amin Dada. La comparaison n’est pas à son désavantage. Il s’agit de dirigeants africains historiques, ce que Marine ne sera évidemment jamais dans son pays, où l’horizon le plus merveilleux dont elle puisse rêver est le second tour de la présidentielle.

Marine sait parler à notre pathos, elle sait défendre nos dictateurs (elle a été contre les interventions françaises en Côte d’Ivoire et en Libye), elle est prête à nous renvoyer vite fait tous nos génies que je ne sais quel accord "d’extradition de compétences" livre à tour de bras à la France. Elle est contre la double nationalité: comme cela est commode, nous aussi! Elle est contre le mariage homosexuel: nous aussi, d’ailleurs on les met en prison, sans doute pour qu'ils ne se reproduisent pas. La France doit sortir de l’euro? Cela tombe bien, elle comprendra d’autant plus notre dégoûtation du franc CFA. Elle dénonce le péril jaune: à nous aussi ces Chinois font une concurrence féroce, limite déloyale, et viennent acheter nos terres, leurs filles dament le pion à nos prostituées, il n’est pas jusqu’à la vente des cacahuètes au bord de la route, qui n’échappe à leur stratégie d’invasion. Y’a-t-il trop peu de Blancs en France? Elle ne le dit pas en ces termes mais n’en pense pas moins, c’est vrai que nous autres Africains qui débarquons à Paris ne sommes pas aussi dépaysés que quand nous arrivons à Québec; le bruit, l’odeur, et les couleurs, ça suinte de partout… Il n’y a qu’à la télévision finalement que justice est rendue aux Français pure laine, aux vrais Gaulois, c’est à peine si le PAF a de l’acné, des grains de beauté, des points Roselmack. La télé, n’est-ce pas, doit vendre du rêve, elle n’a pas vocation à refléter la misère ambiante ou les réalités qui dérangent!

Elle est dangereuse

 En tenant un discours des marges, en campant le registre de la complainte et de la stigmatisation, Marine Le Pen réussit, en créant une sorte d’empathie, à ratisser dans les marges. En Afrique, où l’on n’a généralement qu’une connaissance lacunaire des grands problèmes financiers mondiaux (marchés financiers embryonnaires, taux de bancarisation extrêmement bas), l’on n’attend pas du futur président français qu’il ait été au FMI, surtout pas, il nous suffit parfois qu’il donne le sentiment que gauche et droite, c’est bonnet blanc et blanc bonnet, que, en conséquence, le vrai changement consisterait à ne plus porter de bonnet du tout, de manière à bien mettre en évidence le front…national, la troisième voie, le centre n’étant qu’un point kilométrique à mi-parcours, qui rassemble tous les défauts de la gauche et de la droite, sans en conserver les qualités.

 Cette dame qui tient des propos ambigus à l'égard des étrangers (que l’on se souvienne des propos de son père sur Sarkozy ou des siens propres sur Eva Joly, la candidate des d'Europe Ecologie-Les Verts à la présidentielle de 2012, qui n’aurait pas de «lien charnel» avec la France), n’est pas une copie de son père, elle en est l’héritière idéologique.

Le mode de dévolution dynastique qui a prévalu à la tête de ce parti n’est pas un simple «fait de l’histoire», c’est lourd de sens. Alors, contrairement au slogan adopté par son père il y a dix ans, reprenant à son compte une citation des Saintes Ecritures que Jean Paul II avait utilisée, on doit craindre comme une menace à la cohésion entre les peuples celle qui écrivait récemment aux députés français que la double nationalité est une menace à la cohésion nationale!

A dix ans d’intervalle de la prouesse de son père, toutes les conditions sont réunies pour la voir au second tour de la prochaine présidentielle française. Les sondages le prévoient, nos marabouts le prédisent, ici comme là-bas, ce n’est pas toujours la vérité que l’on entend, mais cela reste des indicateurs intéressants, un cas de figure glaçant, moins pour les suites d’une telle performance (elle serait inéluctablement battue in fine) que pour le sens et la valeur qu’on pourrait donner au vote des millions de Français qu’elle aura ralliés à son discours. Les Français eux-mêmes seraient bien inspirés de la craindre.

Eric Essono Tsimi

 

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Eric Essono Tsimi

Eric Essono Tsimi est un dramaturge camerounais. Il est l'auteur de l'ouvrage Le jeu de la Vengeance (éd.Sopecam, 2004), et publie régulièrement des tribunes dans les quotidiens Mutations et Le Messager au Cameroun.

Ses derniers articles: Opération Serval: une néocolonisation choisie  Centrafrique: Biya snobe Bozizé  Depardieu, au Cameroun, les riches sont des dieux! 

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