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Pourquoi l'Afrique n'arrive pas à enrayer la famine
Avec la énième famine qui s’abat sur la Corne de l’Afrique, le continent fait la preuve de son incapacité à venir à bout de ce fléau.
Mise à jour du 9 septembre: Quelque 13,3 millions de personnes ont désormais besoin d'une aide alimentaire dans la Corne de l'Afrique, touchée par la sécheresse et la famine, contre 12,4 millions précedemment, a annoncé le 9 septembre à Genève l'Office des Nations-Unies chargé des affaires humanitaires (OCHA).
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Un vieil homme, torse nu, décharné, le regard dans le vide, assis à même le sol devant un abri de fortune dans un camp de réfugiés à Mogadiscio, la capitale somalienne, avec pour tout bagage un misérable ballot.
Toujours à Mogadiscio, un enfant squelettique porté par sa mère, pris en charge dans un centre nutritionnel d’Action internationale contre la faim (AICF), une organisation non gouvernementale française.
Un autre, de deux ans, qui n’avait plus que la peau sur les os, se baigne dans une bassine dans le camp de Dadaab, au Kenya.
Ces photos prises sur le vif datent du mois de juillet 2011. Ces trois infortunées victimes de la famine vont peut-être beaucoup mieux aujourd’hui. Ou non.
Depuis le 20 juillet, l’ONU a déclaré l’état de famine dans la Corne de l’Afrique, pour deux régions de la Somalie, provoquant une mobilisation générale de la communauté internationale et de nombreuses ONG spécialisées dans les actions humanitaires. Mais c’est toute la Corne de l’Afrique qui souffre d’une énième crise alimentaire sévère.
Au début des années 80, la région et en particulier l’Éthiopie avaient déjà été frappées de plein fouet par la famine. Choqué par l’apathie et l’indifférence de la communauté internationale face à ce drame, le chanteur Irlandais Bob Geldof, après avoir vu un reportage sur le sujet à la BBC, décide de mobiliser les plus grandes vedettes du rock britannique et irlandais de l’époque dont Bono (U2), George Michael, Simon Le Bon (chanteur du groupe anglais Duran Duran), Sting, David Bowie, Paul McCartney, Phil Collins, etc. Ensemble, ils écrivent la chanson Do They Know It’s Christmas? afin de collecter des fonds pour venir en aide aux Ethiopiens affamés.
L’histoire semble bégayer
Quelques semaines plus tard, ce «Band Aid» est imité par des stars de la chanson américaines. We Are the World, une chanson coécrite par Michael Jackson, Stevie Wonder et Lionel Richie sort début mars 1985 et fait un carton.
En 1992 et 1993, une nouvelle pénurie doublée d’une guerre civile ravage la Somalie. L’ONU et les Etats-Unis, à travers l’opération Restore Hope, mobilisent alors près de 40.000 soldats pour y mettre fin et reconstruire le pays. Une intervention militaro-humanitaire soldée par un échec retentissant.
Presque trente ans après l’appel de Bob Geldof, l’histoire semble bégayer dans la Corne de l’Afrique. Certes, la sécheresse qui sévit actuellement dans la région est la plus sévère depuis 60 ans. Certes, elle dure depuis quatre ans. La communauté internationale, alertée en 2010 par Jacques Diouf alors directeur général de l’Organisation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture (FAO) et par plusieurs ONG, aurait du réagir plus vite et plus fort pour la juguler.
Mais aussi dévastatrice qu’elle soit, la sécheresse n’explique pas à elle seule la persistance des famines dans la Corne de l’Afrique. Comme souvent sur le continent, les maux qui minent l’agriculture vivrière des pays de la région sont avant tout d’ordre structurel.
C’est en tout cas ce qu’affirme Sibiri Jean Zoundi, économiste agricole originaire du Burkina Faso et administrateur principal du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest-OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). La production vivrière est structurellement insuffisant, et ce même pendant les années de relative bonne pluviométrie.
Un constat alarmant qui, selon lui, est dû à un manque manifeste de moyens de production et une absence de mesures incitatives susceptibles d’attirer des investissements dans le secteur agricole.
Une agriculture minée par des maux structurels
Au Kenya, en Éthiopie ou en Somalie, renchérit Cyril Dagorn, d’Oxfam France, la part du budget réservée à l’agriculture dans les budgets nationaux est insignifiante. Selon lui, dans ces pays, l’agriculture et notamment l’agriculture vivrière ne semblent pas être la priorité des gouvernements. Et pourtant, en 2003 à Maputo (Mozambique), les pays membres de l’Union africaine avaient pris l’engagement de consacrer 10% de leur budget à l’agriculture (PDF). Une promesse jamais tenue.
La communauté internationale n’est pas non plus exempte de tout reproche:
«La part de l’aide publique au développement consacrée à l’agriculture est en constante diminution depuis 30 ans. Elle représente aujourd’hui à peu près 7% de l’aide publique au développement», constate, amer, Cyril Dagorn.
«Il faut non seulement l’augmenter, mais aussi soutenir par des investissements, l’agriculture vivrière familiale et les producteurs, qu’ils soient agriculteurs ou pasteurs. L’aide doit cibler en priorité ces populations, qui sont les plus vulnérables».
Selon plusieurs analystes, la Corne de l’Afrique est également victime des effets pervers engendrés par les aides alimentaires massives qui y sont déversées et auxquelles elle s’est désormais accoutumée. Elles perturbent et dérèglent les marchés locaux, freinent un grand nombre d’investissements durables dans la production alimentaire et découragent encore un peu plus les petits paysans.
«C’est un fait avéré et reconnu», souligne Sibiri Jean Zoundi. «En 2007-2008, cinq pays sur les six que compte l’Igad (l’autorité intergouvernementale pour le développement) faisaient partie des dix premiers bénéficiaires de l’aide alimentaire d’urgence dans le monde. L’Éthiopie et le Soudan occupant les deux premières places avec respectivement 915.000 tonnes et 673.000 tonnes reçues», indique-t-il.
Pour ne rien arranger, la région, en proie à des conflits armés récurrents, notamment au Soudan et surtout en Somalie, est caractérisée par une instabilité politique chronique. Pas le meilleur environnement pour mettre en place une bonne gouvernance alimentaire et attirer des investisseurs.
Un manque criant d’infrastructures
A ces handicaps s’ajoute un manque criant d’infrastructures. Pas assez de routes en bon état et encore moins de silos pour stocker les récoltes. Au début du mois d’août, la presse kényane a révélé, pour s’en indigner, qu’au moment où une crise alimentaire aiguë sévissait dans le Nord-Est, il y avait une surproduction de pommes de terre dans une partie du pays.
«Et faute d’accès aux marchés locaux complètement saturés, les producteurs en étaient réduits à laisser pourrir leurs récoltes sur place», regrette Cyril Dagorn.
Un problème qui n’est pas spécifique à la Corne de l’Afrique, comme le raconte Sibiri Jean Zoundi:
«Au Burkina Faso, une partie du pays jouit en général d’une bonne pluviométrie et de récoltes abondantes, alors que le Nord-Est, situé dans la région sahélienne, est beaucoup plus aride.
Un sac de maïs de 100 kg qui coûte environ 5.000 francs CFA (7,62 euros) dans le Sud grimpe facilement à 12.000, 13.000, voire à 15.000 francs CFA (22,87 euros) dans le Nord-Est et devient ainsi un produit de luxe pour les populations locales. Tout simplement parce que faute de bonnes routes, il est très difficile d’y accéder et d’y transporter des marchandises.»
Avec des équipements adéquats, l’Afrique pourrait également disposer de suffisamment d’eau, même en période de faible pluviométrie, voire de sécheresse. A en croire Zoundi, la part des cultures irriguées ne représentent que 2% de l’agriculture sur le continent, alors qu’elle pourrait facilement atteindre 10%. Un vrai gâchis, selon l’économiste agricole:
«Le Burkina Faso s’est lancé dans la construction de barrages expérimentaux entre Ouagadougou et Dori, dans le Nord, avec l’appui de la coopération japonaise. Et cela a donné des résultats probants».
Autre gisement d’eau quasiment jamais exploité en Afrique, au grand dam de Jacques Diouf: les nappes souterraines. Alors qu’en plus d’être abondantes, elles offrent l’avantage de pouvoir résister à plusieurs sécheresses, se désole Sibiri Jean Zoundi.
Valentin Hodonou
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