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Kongo, le royaume catholique oublié
Un an avant la découverte de l’Amérique, le roi du Kongo introduisait le christianisme dans son pays.
1491, une année avant que Christophe Colomb ne mette les voiles vers l’Amérique, un roi africain fut baptisé et fit de son royaume une nation catholique qui perdura pendant près de 370 ans.
Le roi Nzinga a Nkuwu, dirigeant du Kongo, qui se situe dans le nord de ce qui est aujourd’hui l’Angola, décida de se convertir au christianisme peu après le débarquement de navigateurs portugais sur son territoire, en 1483.
En mai 1491, le monarque fut baptisé sous le nom de João I Nzinga a Nkuwu (Jean Ier du Kongo); un grand nombre de ses disciples lui emboîtèrent le pas. Mais lorsqu’il s’éteignit, deux de ses fils se disputèrent le trône. Le premier, Afonso Mvemba a Nzinga, représentait un parti chrétien. Le second, Mpanzu a Kitama, s’opposait à la fois à Afonso et au christianisme.
Le christianisme grand vainqueur
De cette lutte fratricide, Afonso et son parti chrétien sortirent vainqueurs. Le seul récit dont nous disposions de cette guerre passe par la plume d’Afonso et revêt, de ce fait, un certain parti pris. Selon lui, en tout cas, alors que les forces de Mpanzu a Kitama —bien plus puissantes que les siennes— étaient en passe de donner l’assaut final contre lui sur la place de Mbanza Kongo, la capitale du pays, elles se dispersèrent soudainement et prirent la fuite, offrant à Afonso une victoire inopinée.
Lorsque ce dernier interrogea les survivants de la bataille, il apprit que ses adversaires avaient perdu tous leurs moyens en voyant apparaître une force divine composée de cinq cavaliers menée par saint Jacques.
Afonso fut si ému de ce miracle qu’au moment de créer le blason du pays, il y fit intégrer cinq bras portant des sabres, en symbole des événements de ce grand jour. Le blason qui figurait sur le sceau des lettres, sur les insignes de la royauté et dans la salle du trône continua d’être utilisé jusqu’à ce que le roi Pierre V fit serment de vassalité au Portugal en 1859.
Le jour de la saint Jacques, le 25 juillet, fut décrété fête nationale du Kongo, autant en mémoire du roi et de sa victoire que du saint portugais. Chaque année, la date faisait l’objet d’une célébration accompagnée de banquets et de revues militaires. Les Kongolais affluaient des campagnes pour gagner Mbanza Kongo, ou encore certaines capitales provinciales pour se joindre aux festivités et, du même coup, s’acquitter de leurs impôts.
Mbanza Kongo, qui existe toujours aujourd’hui (c’est une capitale provinciale de taille moyenne situé dans le nord de l’Angola), continue de commémorer cette journée, devenue, depuis, une «fête culturelle» qui débute le 20 juillet et s’achève le 25.
Essor de l’Eglise catholique
Afonso laissa derrière lui bien plus qu’un blason et un jour férié. Il conçut le cadre institutionnel qui allait permettre à l’Église catholique de prendre de l’essor et acquérir une influence durable sur une partie de la culture du Kongo, s’étendant de la capitale, qui abritait une douzaine d’églises, à des villages de campagne plus reculés.
En 1518, son fils Henrique devint le premier évêque du Kongo et, aidé de son père, des prêtres portugais ainsi que des Kongolais instruits, il opéra un mariage entre la spiritualité africaine et le catholicisme qui constituerait le trait distinctif de la religion du pays.
Le christianisme kongolais ne rompait pas complètement avec les traditions religieuses ancestrales. Le Dieu tout-puissant du Kongo, Nzambi a Mpungu, devint identique au Dieu chrétien et, grâce à un certain nombre d’apparitions et de miracles, de nombreuses divinités locales furent assimilés aux saints catholiques.
On accorda aux ancêtres, vénérés en tant que forces spirituelles actives au Kongo comme partout en Afrique, une place spéciale au sein de la religion. La fête de la Toussaint leur fut dédiée. Ce jour-là, les Kongolais se rassemblaient autour des tombes pour prier leurs aïeux lors d’une veillée nocturne à la lueur de cierges. Le lendemain matin, jour de la fête des morts, ils allaient à la messe.
On intégra même, dans cette religion, les enchantements et autres objets physiques dans lesquels les forces spirituelles s’incarnaient —parfois contraintes, parfois simplement incitées à force de cajoleries. Ces enchantements s’appelaient nkisi en kikongo, la langue nationale. La littérature religieuse employait le terme ou ses variantes signifiant «sacré», de sorte que la Bible se disait nkanda wakisi («livre sacré» ou «enchantement sous forme de livre», selon la traduction choisie). De même, une église se disait nzo wakisi («bâtiment sacré» ou «enchantement sous forme de bâtiment»). Les prêtres chrétiens, comme leurs homologues religieux traditionnels, étaient appelés les nganga.
Guerre des pratiques
Cet arrangement ne faisait pas l’unanimité. Lorsque les Portugais persuadèrent le Vatican de leur donner le droit de nommer des évêques à l’église du Kongo, les évêques, toujours portugais, refusèrent d’ordonner suffisamment de prêtres kongolais pour diriger l’église. Les rois du Kongo s’en remirent à Rome et, en guise de compromis, acceptèrent que des fonctions normalement remplies par des curés puissent revenir à des missionnaires capucins, principalement originaires d’Italie (ce pays d’Europe était considéré comme neutre).
Ces prêtres militaient opiniâtrement en faveur de la Contre-Réforme, un mouvement au sein de l’Église catholique visant à éliminer, entre autres choses, le christianisme folklorique qui ne cadrait pas avec leur version révisée de la religion chrétienne. Ces capucins voulurent imposer leur vision des choses au Kongo et firent littéralement la guerre aux pratiques du pays associées à la religion traditionnelle. Dans des écrits, ils dénoncèrent très sévèrement ces rites, les comparant à des pratiques diaboliques; ils brûlèrent en outre toute forme d’«idole». Mais leur impact sur la religion demeura négligeable.
Quand le Kongo se retrouva privé de clergé ordonné à cause de l’attitude des évêques portugais, les capucins se tournèrent vers les laïcs. Les aristocrates, qui avaient reçu leur éducation dans des écoles du pays, furent les premiers interprètes et enseignants de la religion. Ces mestres de escola, comme on les appelait dans les documents officiels en portugais du Kongo, perpétuèrent la religion, les capucins se cantonnant alors aux sacrements (car seuls des prêtres pouvaient conférer les sacrements).
Les capucins écrivirent des rapports selon lesquels ils avaient conféré des dizaines de milliers de baptêmes, célébré des milliers de mariages et entendu autant de confessions à l’occasion de tournées exténuantes dans les paroisses. Ils enseignaient et prêchaient, mais ne pouvaient guère forcer le changement de la religion.
De là, l’esclavage
Le développement d’un royaume catholique en Afrique centrale serait peut-être resté une anecdote historique charmante, une curieuse histoire de conversion et d’institutionnalisation, si la traite des noirs n’avait pas existé.
Alors que le Kongo était parfaitement capable de se défendre, les Portugais implantèrent, en 1575, une colonie en Angola, juste au sud du Kongo et, s’en servant comme base, ils attaquèrent occasionnellement le Kongo. Mais les Kongolais réussirent à repousser les attaques portugaises et forcèrent même les Portugais à rendre au Kongo plus de 1.000 détenus envoyés au Brésil en tant qu'esclaves.
Même si le Kongo résista aux tentatives portugaises visant à réduire sa population à l’esclavage, cette pratique fut adoptée durant la guerre civile. La succession au trône du Kongo fut souvent l’objet de violents conflits. L’histoire du pays est, en effet, ponctuée de guerres intestines dont les perdants, des traîtres aux yeux des vainqueurs, furent souvent vendus au marché des esclaves.
Ces guerres devinrent fréquentes dans les années 1600 et après 1665, année où une crise de succession éclata à la suite d’une défaite militaire à la frontière séparant le Kongo et l’Angola; la guerre civile devint un élément récurrent de l’histoire du Kongo. Des dizaines de milliers de perdants de cette sempiternelle lutte pour le trône étaient capturés et livrés aux expéditeurs français, anglais, néerlandais et portugais, et disséminés à travers les Amériques.
Le passé présent
Environ un américain sur cinq de descendance africaine est d’origine kongolaise, les proportions les plus élevées étant concentrées en Caroline du Sud et en Louisiane. Ces Kongolais ont importé leur religion aux États-Unis: la Rébellion de Stono, la plus importante insurrection d’esclaves ayant eu lieu aux États-Unis avant l’indépendance, fut dirigée par des catholiques kongolais, désireux d’échapper à l’esclavagisme d’une Caroline du Nord protestante pour rejoindre la liberté d’une Floride catholique.
Dans certaines régions des Amériques, les Kongolais ont créé leur propre activité missionnaire. George Christian Andreas Oldendorp, un missionnaire morave, a raconté qu’aux îles Vierges, des esclaves kongolais ont baptisé et catéchisé des esclaves en provenance de l’Afrique non chrétienne; l’Inquisition brésilienne a examiné les activités de Pedro Congo, qui avait revêtu l’habit sacerdotal et dit la messe à une congrégation issue essentiellement de régions non chrétiennes d’Afrique.
Cette histoire complexe révèle un important aspect du passé africain de l’Amérique: 20% des Africains-Américains descendent d’Africains venus d’une région qui avait connu sa propre variante du christianisme pendant quatre générations, avant l’arrivée des premiers Africains en Virginie. Dans le cas du Kongo, les dissensions internes ainsi que les activités et exigences des Européens ont conduit à l’esclavagisme et à la déportation à grande échelle.
Le colonialisme du XXe siècle a anéanti ce royaume.
John Thornton et Linda Heywood (The Root)
Traduit par Micha Cziffra
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John Thornton est professeur d’histoire et d’études afro-américaines, spécialiste du Royaume du Kongo, à l’Université de Boston.
Linda Heywood est professeure d’histoire, spécialiste de l’Angola, et directrice du programme d’études afro-américaines à l’Université de Boston.
Ce sont les auteurs de Central Africans, Atlantic Creoles and the Foundation of the Americas, 1585-1660 (New York: Cambridge University Press, 2007).