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Libye: vers une partition?
La coalition s'enfonce en Libye dans un conflit coûteux qui s'éternise, et sans véritable porte de sortie. Sauf, peut-être, la partition…
Mise à jour du 7 mars 2012: Des chefs de tribus et de milices ont déclaré l'autonomie de la Cyrénaïque, une région pétrolière à l'est de la Libye. C'est dans cette région qu'est née la révolte contre le régime de Mouammar Kadhafi en février 2011.
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Trois mois après le début de l’intervention aérienne de l’Otan contre son régime et ses troupes, Mouammar Kadhafi est encore en place.
De manière régulière, des informations en provenance de Tripoli le disent toujours prêt à en découdre —même si The Wall Street Journal, citant des responsables américains, a rapporté vendredi 24 juin qu’il songerait à quitter la capitale libyenne «où il ne se sentirait plus en sécurité».
Mais nulle fuite en perspective à destination du Venezuela, de l’Algérie, du Zimbabwe ou de l’Afrique du Sud. Le leader de la Jamahiriya envisagerait simplement de se trouver une place forte moins exposée aux raids aériens de l’Alliance Atlantique. On le pensait défait, accablé par les défections et son isolement progressif au sein de la communauté internationale, mais l’homme résiste d’autant plus que son armée ne lâche pas prise.
Ainsi, sur le terrain, les rebelles ne progressent guère malgré leurs communiqués volontaristes qui ne trompent plus personne. Quant à la ville de Misrata, elle continue d’être assiégée à sa périphérie par les forces loyalistes dont les bombardements continuent, même s’ils ont nettement diminué d’intensité. Par ailleurs, les bavures de l’Otan ont eu tendance à se multiplier au cours des dernières semaines, dans un contexte où le monde arabe est de plus en plus critique quant à la tournure prise par le conflit.
Vers un départ négocié?
A cela s’ajoute le fait que de nombreux membres de la coalition commencent à s’inquiéter du surcoût de l’intervention. Les temps changent et l’euphorie révolutionnaire des premiers temps du Printemps arabe semble s’être évaporée. On est loin de l’époque où les membres du Conseil national de transition (CNT) clamaient que la victoire finale, comprendre la chute de Kadhafi, serait une affaire de quelques jours…
En réalité, et sauf coup de théâtre, toujours possible (assassinat de Kadhafi par l’un de ses proches, coup d’Etat militaire, frappe «réussie» de l’Otan…), tout porte à croire que l’on s’achemine doucement mais sûrement vers une solution négociée. Interrogé par Le Figaro jeudi 23 juin Mahmoud Shammam, l’un des porte-parole du CNT a reconnu l’existence de contacts indirects avec des représentants du régime de Kadhafi. Selon lui, les rebelles seraient prêts à accepter que le «Guide suprême» reste en Libye à condition de renoncer au pouvoir.
Là encore, on est loin de l’intransigeance qui a marqué le début du conflit entre les rebelles de Benghazi et le pouvoir libyen. A l’époque, Kadhafi devait partir ou être jugé et il n’était nulle question de dialoguer avec lui. D’abord niées par le CNT, ces négociations semblent encouragées par les Etats-Unis qui commencent à trouver le temps long.
Un conflit coûteux qui fait débat
A Washington, Barack Obama —déjà empêtré dans une dure bataille avec le Congrès au sujet du budget fédéral— doit aussi convaincre les élus à majorité républicaine d’accepter le prolongement du financement de la guerre en Libye. Problème: les républicains semblent décidés à infliger une défaite humiliante au président américain en le forçant à s’expliquer sur ce conflit et à composer avec leurs exigences fiscales pour obtenir le feu vert du Congrès.
Dans le même temps, en France, un débat parlementaire en juillet prochain va aborder la question de la poursuite de l’engagement des forces françaises. En France aussi on parle beaucoup du coût croissant de l’intervention armée, et cela dans une conjoncture marquée par la crainte d’un krach financier en Europe en raison du risque de faillite de la Grèce.
Par ailleurs, de nombreuses voix commencent à se faire entendre, notamment aux Etats-Unis et en France, pour critiquer le caractère improvisé de l’intervention en Libye. Plusieurs militaires américains disent craindre de revivre un scénario à l’irakienne, où rien de sérieux n’avait été prévu pour gérer le pays après la chute de Saddam Hussein, en avril 2003.
Là aussi, le départ, d’une manière ou d’une autre, de Kadhafi, semble soudain donner des angoisses à ces militaires alors qu’il s’agit de l’un des buts affichés de l’intervention de l’Otan… L’un des principaux facteurs d’inquiétude concerne al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) dont on craint désormais qu’elle n’ait mis la main sur nombre d’armements et qu’elle ne profite d’une chute du régime de Kadhafi pour semer le chaos —à l’image de ce qui s’est passé en Irak avec les mouvements djihadistes à partir de l’été 2003.
Toutes ces contradictions et la récurrence des analyses sur le coût des opérations militaires font que le CNT se prépare même à ce que l’Otan cesse ses opérations. Une perspective qui, selon Shammam, n’empêchera pas les rebelles de continuer à se battre «jusqu’à la victoire», comme il l’a déclaré le 22 juin dernier à Beyrouth lors d’une conférence organisée par le Centre Carnegie pour le Moyen-Orient. Pour autant, on se demande comment le CNT pourra alors résister à des troupes loyalistes —d’autant plus que ces dernières seraient revigorées par le retrait de l’Otan:
«De nombreux éléments plaident pour l’émergence d’une solution négociée, relève un diplomate algérien interrogé par SlateAfrique. Sans intervention au sol de l’Otan —éventualité qui semble exclue pour le moment— les rebelles ne peuvent pas espérer l’emporter. Kadhafi est peut-être affaibli, mais il a compris que les pays occidentaux commencent à s’inquiéter du coût de la guerre alors que la rébellion n’a pas enregistré beaucoup de victoires.
Il ne m’étonnerait pas qu’un cessez-le-feu soit signé dans les prochaines semaines sous la houlette de l’Union africaine, voire de la Ligue arabe si les monarchies du Golfe acceptent de renoncer à la chute de Kadhafi. De toutes les façons, l’Otan ne se retirera pas tant qu’il n’y aura pas eu d’accord entre les belligérants.»
L'hypothèse d'une partition
C’est ainsi que l’hypothèse d’une partition de fait de la Libye refait son apparition, même si personne ne l’évoque à voix haute. Dès le début du conflit, le 19 mars dernier, nombre d’historiens et de spécialistes de ce pays ont pourtant rappelé qu’il était composé d’un assemblage plus ou moins antagoniste.
D’un côté, la Tripolitaine à l’Ouest, de l’autre la Cyrénaïque à l’Est, soit exactement la ligne de front qui sépare actuellement les belligérants. A une nuance près tout de même: la ville de Misrata, située à l’Ouest, est passée du côté des rebelles. Rien d’étonnant à cela, car cette dernière a beau être située en Tripolitaine, de nombreux liens commerciaux et humains la lient à Benghazi, le fief des rebelles.
«Si les opérations militaires n’atteignent pas rapidement leur but, les positions peuvent se figer de part et d’autre d’une ligne de front pour une longue durée», avertissait en avril dernier le politologue Luis Martinez, lors d’une rencontre de journalistes organisée à Genève par le Centre d’études et de recherches sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam).
Et de s’inquiéter alors des conséquences humanitaires de cette partition forcée, avec notamment le risque d’expulsions de populations soupçonnées d’être proches des rebelles. On n’en est certes pas encore là, mais l’évolution de la situation libyenne oblige à ne plus écarter une telle hypothèse.
Akram Belkaïd
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