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Le Burkina Faso, paradis des sitcoms
Alors qu’il a longtemps été l'un des pays d’Afrique les plus réputés en matière de cinéma, le Burkina s’est tourné vers l'industrie des feuilletons.
Le cinéma africain n’a plus les moyens de son snobisme. Le grand écran ne peut plus regarder le petit avec condescendance. En toute logique, le Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (Fespaco) est devenu aussi celui de la télévision. Le 26 février prochain, la capitale du septième art subsaharien aura beau déployer les mondanités du 22e Fespaco, elle se chatouillera elle-même pour se faire rire. Le Ciné Burkina, devant lequel on déroulera le tapis rouge, ne projette plus rien hors biennale. Le Ciné Neerwaya est la dernière salle «moderne» qui propose des longs-métrages aux Ouagalais —et de moins en moins de films africains...
Car c’est désormais la petite lucarne qui mène le bal des audiences. Les comédiens africains ont d’ailleurs largement cédé le cinémascope à l’Américain Chuck Norris ou l’Indienne Aishwarya Rai. Et le «David» télévisuel n’est pas, comme en Occident, celui qui finance le «Goliath» cinématographique. Sinistrées, les salles de projection disparaissent à mesure que les chaînes de télévision se multiplient. Contre mauvaise fortune, le Fespaco fait bon cœur et gonfle désormais son palmarès avec la catégorie TV & vidéo.
Le cinéaste burkinabè Idrissa Ouédraogo, grand prix du jury au festival de Cannes en 1990, avec Tilaï, ne s’y était pas trompé. Dès 1999, il s’investit résolument dans la production et la réalisation télévisuelle. Avec la bienveillance du Français Dominique Farrugia, il lance la sitcom Kadi Jolie. Il faudra attendre dix ans pour que ses illustres collègues occidentaux, comme Martin Scorsese, travaillent pour la télé sans avoir la sensation de se rabaisser.
L'immense succès des sitcoms
En Afrique, le téléviseur reste allumé en permanence. Juste avant le journal télévisé de 20 heures, les vedettes des séries s’invitent au dîner familial. Si vous n’êtes pas rentré à la maison, c’est au maquis (restaurant populaire) qu’un vieux poste grésillant diffuse les sitcoms. Peut-être prolongerez-vous la soirée dans un «vidéoclub», ces salles de projections informelles où l’on diffuse, sur un poste domestique, les copies contrefaites de séries africaines.
Le continent fut d’abord inondé de telenovelas sud-américaines, au point qu’on a baptisé un club de foot burkinabè «Dona Beija» —du nom d’une héroïne brésilienne— ou qu’on peut acheter dans le commerce des ustensiles de cuisine estampillés «Marimar» —une héroïne de la télé mexicaine. Avant le Burkina Faso, c’est d’abord le géant Nigeria qui a comblé la boulimie de ses téléspectateurs. Hollywood nigérian, Nollywood, produit les séries à la chaîne: Extended family, Living in Lagos ou Clinic Matters. Rapidement, le Ghana, plus modeste, propose Taxi Driver.
L’Afrique de l’Ouest francophone, Burkina Faso en tête, se fait rapidement une spécialité du genre. Les budgets sont modestes mais les succès populaires: le satirique Vis-à-vis, les enfantines Aventures de Wambi, l’adolescent À nous la vie, le délirant Bobodiouf, le didactique Avocat des causes perdues…
Pas de rires enregistrés, pas de tournage en studio; la fraîcheur est le maître mot de ces séries souvent tournées en plein air, toujours réalistes, fréquemment bon enfant, volontiers ingénues et toujours ingénieuses. On y détourne avec subtilité les codes dramaturgiques soi-disant universels dont les Africains furent gavés. Jouissives combinaisons de vaudeville et d’action saupoudrées d’un phrasé succulent, ces feuilletons offrent enfin des images africaines aux Africains.
La Radio-télédiffusion du Burkina est aux anges, elle qui censura Hélène et les garçons après la diffusion de quelques épisodes qui donnaient «un exemple inapproprié à la jeunesse». La presse occidentale applaudit. Même l’hebdomadaire Minute écrivit une critique dithyrambique de Kadi Jolie lors de sa diffusion sur la chaîne française Comédie!. En substance, le journaliste y trouvait les Africains si merveilleux… dans leur environnement naturel.
Hélas, l’enthousiasme populaire et la bienveillance journalistique ne sont pas toujours gages de rentabilité financière.
La difficulté de trouver des financements
Les chaînes de télévision ont peu d’argent à injecter dans les productions. Traditionnellement, elles se voient offrir les séries en échange de plages publicitaires entrelacées avec les génériques. Les maisons de production peuvent y signaler leurs sponsors. Pour la première fois tout de même, en 2010, la RTB burkinabè, chaîne publique, participait au tournage de 3 femmes, 1 village, œuvre de la société privée Jovial’ Productions, à hauteur de 20 millions de francs CFA (soit 1.000 euros par épisode). Le producteur dut boucler un budget global de 150 millions de francs CFA (environ 230.000 euros).
Bien sûr, l’Afrique compte en son sein des pays au contexte économique très différent. Le Burkina Faso n’est pas l’Afrique du Sud. La série sud-africaine Jacob’s cross abrite un luxe absent du village de Kikidéni qui abrite les 3 femmes. Ainsi, il y en a pour tous les goûts.
Dans la zone francophone, on boucle les budgets avec des subventions et des préachats internationaux: contributions du ministère français des Affaires étrangères, soutien de l’Organisation internationale de la Francophonie, acquisition des séries par Canal France international qui les redistribuera gratuitement aux chaînes publiques africaines, achat des épisodes par la chaîne TV5 qui en offrira quelques-uns en streaming…
Crise économique mondiale oblige, les aides publiques tendent à se raréfier. Il faut alors envisager d’autres sources de financement, en amont ou en aval des productions. Bouclant la boucle, certains se rapprochent du cinéma —à qui ils avaient damé le pion. Avant de diffuser, à la télé, les épisodes du Commissariat de Tampy, le Burkinabè Hébié Missa en propose des échantillons payants au Ciné Neerwaya. Son compatriote Boubakar Diallo, lui, réutilise Omar et Charly: sans tournage additionnel, il isole une intrigue de la série, fait un détour en salle de montage et produit le long-métrage de cinéma Clara.
Les financements locaux peuvent être un appoint budgétaire. Au besoin, on glissera un message publicitaire discret au milieu du scénario, ou une sensibilisation —subventionné—- au port du préservatif.La profusion de nouvelles chaînes de télévision privées est aussi à explorer; nationales ou panafricaines comme Africable, 3A telesud ou Voxafrica. Le choix d’un casting à quatre nationalités (burkinabè, ivoirienne, malienne et nigérienne) sera alors un atout pour la deuxième saison de Super flics actuellement en tournage.
S'assurer une rentabilité
Deux autres perspectives constituent les défis majeurs à relever pour les producteurs de sitcoms africaines. Il faudra d’abord assainir le marché des produits dérivés. L’Afrique francophone ne parvient pas à lutter contre la piraterie qui rend dérisoire l’élaboration de coffrets DVD homologués. L’Afrique anglophone, dotée d’un marché plus vaste, a tenté l’aventure. Elle use même, subtilement, de la gratuité de sites de partage pour rabattre la clientèle. Un extrait sur Youtube peut ainsi conduire au site d’achat en ligne Village afro. Même le merchandising échappe aux géniteurs des héros télévisuels. Idrissa Ouédraogo sait-il qu’on trouve une pommade Kadi Jolie à Abidjan?
L’autre perspective est celle du doublage, qui permettrait une exportation plus large des séries. Les Nigérians ont déjà exploré cette piste sur le plan continental, mais les traductions sont à sens unique et la postsynchronisation maladroite. Et le monde est vaste. Il y a quelques mois pourtant, des producteurs africains et sud-américains se retrouvaient à Buenos Aires pour envisager des passerelles entre le continent des telenovelas et celui des sitcoms «noires».
Damien Glez