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L'avocate des homosexuels
Alice Nkom consacre sa vie à la défense des droits des minorités sexuelles. Un combat ardu au Cameroun.
Mise à jour du 4 janvier 2013: En décembre dernier, le New Yorker a honorée Alice Nkom, la défenseuse des homosexuels camerounais. En la mettant sur sa liste des personalités africaines d’exception pour l’année 2012, le magazine américain explique qu’elle est une des personnalités les plus fascinantes du continent.
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Il a suffi d’une visite imprévue et d’une conversation privée il y a quelques années, dans l’intimité du bureau de la très sérieuse Alice Nkom, pour qu’elle comprenne, intuitivement, que les deux garçons qui se trouvaient alors devant elle étudiaient et vivaient en couple en Europe. Et qu’ils risquaient d’être particulièrement mal accueillis lorsqu’ils rentreraient travailler dans leur Cameroun natal. Travailler et s’installer. Ensemble.
«Nous qui appartenons aux classes bourgeoises de ce pays et qui envoyons nos enfants étudier à l’étranger, quel genre de parents sommes-nous si nous ne sommes pas capables de les accueillir, au retour, en leur garantissant que nous acceptons tout ce qu’ils sont, que nous assumons et accueillons tout ce qu’ils sont devenus et non que nous les stigmatisons parce qu’ils ne ressemblent pas forcément à ce que nous attendions?»
Montée d’une homophobie sordide
Quelques jours après cette visite, en 2006, Alice Nkom crée l’association Adefho (Association de défense de l’homosexualité) et devient, aux yeux des Camerounais, «l’avocate des homosexuels». Une avocate inscrite au barreau de Yaoundé, la capitale, depuis maintenant 40 ans et qui se définit comme simple «défenseur(e) des droits humains».
Derrière son sourire mutin, sa voix tranquille et l’élégance de ses kabas [pagnes, tenue traditionnelle, ndlr], Alice Nkom cache une détermination à toute épreuve. C’est qu’il en faut pour résister aux réactions extrêmement violentes qu’elle doit parfois essuyer.
Tout commence au Cameroun dans les années 2000, lorsqu’un discours nauséabond sur l’homosexualité commence à devenir légion dans les médias. Discours émanant des titres de la presse à scandale qui publient des «listes d’homosexuels notoires», comme autant d’accusations. Ventes juteuses. Homophobie sordide. Dénonciations. Non seulement on pointe des personnes du doigt, mais on mélange sciemment homosexualité et pédophilie. On désigne à la vindicte populaire des artistes, des intellectuels, des personnalités des médias, mais également des membres du gouvernement. C’est selon Alice Nkom ce dernier point qui fait réagir le président Paul Biya, qui déclare publiquement que «le respect de la vie privée est sacré» au Cameroun. Mais ce qui est valable pour un ministre l’est-il pour le commun des mortels?
Faire évoluer la législation
Alice Nkom a des raisons d’en douter, lorsqu’entre 2006 et 2007 elle va défendre une cause considérée indéfendable: neufs homosexuels accusés… d’homosexualité. Courageusement, l’avocate décide d’opposer le rempart de la justice au raz-de-marée des préjugés. Le procès est retentissant. Mais au bout du compte, un énorme tabou est levé: faute d’être acceptée —car la route vers le respect, la fin des violences et de la stigmatisation est encore longue— l’existence des homosexuels et leur «normalité» fait enfin l’objet de débats.
Reste la loi. Pour Alice Nkom, le Code civil camerounais est à la fois son arme et son bouclier. Pour elle, tout repose sur ces textes qu’elle étudie scrupuleusement afin d’en souligner les failles, les contradictions ou de proposer des évolutions. Car au-delà des procès, elle lutte, pied à pied, pour la dépénalisation de l’homosexualité. Dans sa ligne de mire, l’article 347bis du code pénal qui punit «d’un emprisonnement de six mois à cinq ans et d’une amende de 20.000 [30 Euros] à 200.000 francs CFA [300 euros] toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne du même sexe». Un article qui selon Alice Nkom «contredit les conventions internationales signées par le Cameroun et qui protègent toutes les minorités quelles qu’elles soient».
Pire, on estime que chaque année près de 200 personnes sont emprisonnées en vertu de cet article. L’ONG Human Rights Watch dénonce les violences policières et les traitements dégradants infligés à ceux qui sont accusés d’homosexualité, évoquant une «criminalisation des identités».
Le populisme plus fort que le droit à la vie privée
L’Etat camerounais n’est manifestement pas encore prêt à faire évoluer la législation. «Mais au moins pourrait-il s’abstenir de porter des coups bas à ceux qui défendent les homosexuels», s’indigne Alice Nkom, après l’affaire de la subvention européenne. Une histoire qui défraye la chronique depuis le 13 janvier, quand le ministre camerounais des Affaires étrangères convoque le représentant de l’Union européenne à Yaoundé, et lui demande de faire annuler un financement de 300.000 euros accordés par l’UE au PAEMH (le Projet d’assistance et d’encadrement des minorités sexuelles), dont l’objectif est d’apporter une aide aux personnes détenues pour homosexualité. Alice Nkom est atterrée par l’attitude d’Henri Eyébé Ayissi:
«Quand le ministre des Affaires étrangères convoque à la hâte les représentants de l'Union européenne pour critiquer le financement des ONG qui défendent les droits des homosexuels, j'ai l'impression d'avoir un guignol devant moi, dit-elle, un guignol qui ignore même son rôle par rapport aux directives du chef de l'État, qui en 2006 avait dit publiquement que la vie privée était une chose sacrée. A l'époque, il protégeait les membres de son gouvernement dont certains étaient "accusés" par la presse d'être homosexuels. Aujourd'hui, je me dis que ce ministre donne des bâtons pour se faire frapper.»
Il est vrai que le Cameroun est en pleine année électorale et qu’il est de bon ton de flatter le bas peuple en tapant sur le dos des homosexuels. C’est qu’affirme un membre du gouvernement à Alice Nkom pour expliquer l’attitude du ministre des Affaires étrangères. La démagogie et le populisme sont les arguments de ceux qui n’ont plus d’autre crédit aux yeux de l’opinion. Alice Nkom l’apprend à ses dépens.
«J'espère que l'UE ne se laissera pas intimider par le gouvernement, dit-elle. Ce financement est un acte solidaire et fraternel, l'UE a des valeurs à défendre: elle ne doit pas se laisser faire, mais doit poursuivre sa politique.»
Les homos, boucs émissaires d’un Etat autoritaire
Au Cameroun, on peut critiquer, insulter ou pourchasser les homosexuels sans encourir de poursuites. Il existe une sorte d’accord tacite entre les autorités et le peuple pour exorciser la violence politique sur le dos de certaines minorités. Des boucs émissaires dont l’existence garantit la préservation d’une certaine paix sociale. Aussi, il n’est pas étonnant aux yeux d’Alice Nkom que cette homophobie rencontre autant d’échos favorables dans une société où «manifester contre l’Etat est quasiment un crime». Avec un président au pouvoir depuis près de 29 ans et une opposition étroitement surveillée, le seul défouloir possible pour l’opinion reste le champ social.
Dans ce contexte, Alice Nkom ne joue pas seulement sa réputation. «Je ne sais pas si ma sécurité est assurée. Je fais l’objet de menaces récurrentes et d’insultes constantes», précise-t-elle. La médiatisation d’Alice Nkom et son statut de «maman» sexagénaire —et donc respectable— constituent, aujourd’hui, ses derniers remparts. Ils assurent sa protection. Mais pour combien de temps?
Kidi Bebey