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Afrique du Sud: la polygamie de nouveau tendance?
La polygamie revient à la mode sur le continent. En Afrique du Sud, elle choque encore, même si certains parlent d'un retour aux valeurs traditionnelles.
L’un des petit-fils de Nelson Mandela, Chief Zwelivelile Mandla Mandela, chef traditionnel issu de l’ethnie xhosa, député et homme d’affaires, a imité le chef d’Etat polygame Jacob Zuma en prenant une seconde femme le 20 mars dernier. Il a célébré un mariage traditionnel avec Anaïs Grimaud, belle Réunionnaise de 19 ans, rebaptisée du prénom xhosa Nobubele pour l’occasion. Le tout sans en informer sa première femme, Thando Mabunu, 31 ans, qui réclame le divorce et le partage des biens.
Mandla Mandela est devenu polygame à 37 ans, alors que cette pratique est inconnue chez les Xhosas et seulement tolérée en Afrique du Sud. Une loi adoptée en 1998 ne reconnaît les mariages polygames que s’ils sont célébrés de manière traditionnelle, comme c’est le cas principalement parmi la première ethnie du pays, les Zoulous, et de manière peu courante chez les musulmans d’Afrique du Sud (1,5% de la population).
Avec Mandla Mandela —qui ne veut pas céder un centime à sa légitime, bien qu’il l’ait épousée sous le régime de la communauté des biens— on est loin de la droiture morale de «Tata» (grand-père) Mandela. Nelson, en son temps, avait pris soin de divorcer de sa première femme, Evelyn Mase, avant d’épouser Winnie Madikizela en 1958.
La première femme de Mandla Mandela ayant protesté devant la justice, un magistrat a invalidé le mariage polygame en mai, puis gelé les comptes du député en juin, jusqu’à la prononciation du divorce. Devant une commission du Parlement chargée de démanteler l’une des dernières lois de l’apartheid, la Black Authorities Act (BAA, 1951) qui donnait tout pouvoir aux chefs traditionnels dans les anciens bantoustans (des pseudo-Etats indépendants créés par l’apartheid pour parquer la population noire sur des bases ethniques), le petit-fils de Mandela n’en a pas moins fait, le 21 juin dernier, un plaidoyer en faveur de l’ukuthwalwa, une pratique xhosa qui consiste à enlever des adolescentes pour les contraindre au mariage:
«Quand un homme voit que celle-ci est mûre pour le mariage, alors il la prend, elle traverse une cérémonie et ensuite, elle est prête. Ne nous amenez pas des choses de blancs comme son âge…»
Mandla Mandela n’est pas un cas particulier. L’idée d’une culture africaine ancestrale qu’il faut défendre et retrouver a fait son chemin dans la nouvelle Afrique du Sud, vingt ans après la fin de l’apartheid.
Une nouvelle forme de polygamie
Selon un sondage TNS réalisé en janvier 2010, lors du mariage polygame traditionnel célébré par Jacob Zuma avec la troisième de ses femmes officielles, 74% des Sud-Africains considéraient la polygamie comme «un problème» (68% des noirs, 86% des blancs, 85% des métis et 78% des indiens).
Des éditorialistes ont bien cherché d’autres chefs d’Etat polygames en Afrique, mais il n’ont trouvé que le roi Mswati III du Swaziland voisin et le Kényan Mwai Kibaki, qui avait démenti après son élection avoir une seconde épouse. On pourrait aussi citer Yahya Jammeh, s’il n’était pas si fantasque. Le chef de l’Etat gambien a pris une seconde épouse en octobre 2010 alors que sa première femme, la guinéo-marocaine Zeinab, n’était pas d’accord.
On sait combien il y a de Zoulous en Afrique du Sud (11 millions, soit 30% de la population noire), mais aucune donnée statistique ne donne le nombre de polygames parmi eux. Cependant, une autre forme de polygamie, moderne et urbaine, irrite parfois au pays de Mandela. Pratiquée de plus en plus ouvertement par les nouvelles élites noires, elle se passe de tout mariage et consiste à accumuler les maîtresses, au vu et au su de tous.
Ronald Masebe, avocat noir et quinquagénaire, confirme:
«Les gens de mon âge n’ont pas plusieurs femmes, mais plusieurs maîtresses. Parmi nos anciens, certains étaient polygames. Un de mes oncles, qui était de l’ethnie Batswana, a eu deux femmes à Soweto, dans un contexte urbain. Pendant plusieurs mois, il s’est réveillé en pleine nuit sous prétexte que les ancêtres lui disaient de prendre une seconde épouse. La manœuvre a réussi. Sa première femme, fatiguée, a fini par l’accepter!»
Bien sûr, l’argument selon lequel les femmes ont une grande part de responsabilité peut toujours valoir. D’autant qu’en Afrique du Sud, la pratique qui consiste à collectionner les petits amis pour mieux pourvoir à la dépense quotidienne a un nom: phanda. Elle est répandue dans les townships, comme dans bien des grandes villes africaines.
Mais en Afrique du Sud, la nécessité ne fait pas forcément loi. Du côté des élites masculines, on sort volontiers avec des femmes évoluant dans des milieux aisés et ayant elles aussi le goût de la réussite:
«C’est comme si beaucoup de femmes s’accommodaient du fait que les hommes sont de plus en plus machos, alors qu’il n’y a pas si longtemps, elles auraient protesté, note Zukiswa Wanner, romancière noire, auteur de The Madams, qui traite des relations hommes-femmes sur un mode humoristique.
Certaines sont d’accord pour être la seconde femme, alors qu’elles sont éduquées et qu’elles gagnent leur vie de manière indépendante. Il y a l’idée d’un retour à des valeurs traditionnelles, à la culture africaine. Des balivernes, à mon sens, dans la mesure où la polygamie n’existait pas de cette manière avant!»
«La polygamie fait partie de la culture africaine»
Se poser des questions sur la polygamie en Afrique revient sans doute à mettre en doute une pratique parfois très courante. Dans des pays comme le Sénégal, personne ne trouve rien à redire aux trois femmes d’un Ousmane Tanor Dieng, chef du Parti socialiste (PS, opposition) et présidentiable.
Mais en Afrique du Sud, un pays à 80% chrétien où la polygamie reste marginale, c’est un verrou moral qui semble avoir sauté avec l’accession de Zuma au pouvoir. Le président, qui cultive un réseau étoffé de maîtresses à côté de ses trois femmes, a lui-même anéanti l’argument selon lequel il serait moins hypocrite que beaucoup de monogames, africains ou européens, qui cachent leurs liaisons. L’homme, qui se vante «d’aimer ses femmes» n’en a pas moins des relations extra-conjugales qui défraient la chronique, souvent avec les filles de ses propres amis.
Pour l’avocat Ronald Masebe, qui a étudié le droit coutumier, «la polygamie fait partie de la culture africaine, qui a été opprimée sous l’apartheid. N’oublions pas que les mariages polygames sont régulés pour des questions d’ordre, de transparence, de clarté. D’ailleurs, les femmes sont plus puissantes que les hommes dans ces mariages, car elles peuvent se mettre ensemble pour faire pression sur leur mari dans les décisions familiales.»
Pragmatisme? Afrocentrisme? Aujourd’hui, des Sud-Africaines urbaines et émancipées sont prêtes à devenir des coépouses, y compris chez des personnalités publiques. Tshedi Mholo, actrice et chanteuse du groupe afro-pop Malaika, s’apprête ainsi à devenir la seconde femme de Kenny Ngove, un homme d’affaires et chef coutumier de l’ethnie venda, dont elle est enceinte.
«C’est troublant, remarque la romancière Zukiswa Wanner. Mais n’oublions pas qu’il s’agit d’adultes consentants et que les seules personnes qui n’ont pas vraiment le choix dans ces histoires, ce sont les premières femmes.»
La tendance polygame des dirigeants du pays a été critiquée par de rares voix, dont celle du révérend noir Kenneth Meshoe, chef du Parti démocratique chrétien africain (ACDP), cinq députés au Parlement. Selon lui, elle équivaut à une «violence faite aux femmes», dans une société ravagée par le sida où les dirigeants devraient donner l’exemple.
D’autres responsables politiques, y compris au sein du Congrès national africain, le parti de Zuma, dénoncent parfois des attitudes «patriarcales». Le vice-président de la République, Kgalema Motlanthe, n’a pas craint de se démarquer du style de Jacob Zuma en affirmant début août que «changer les attitudes et les pratiques dans les relations hommes-femmes se trouve au cœur de la démocratie et de l’esprit de la Constitution sud-africaine.»
Une nouvelle loi sur l’égalité des sexes est en préparation, a-t-il annoncé, dans un pays qui se vante déjà d’avoir la Constitution la plus avancée du monde en la matière.
Sabine Cessou
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