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Image extraite de La Cité du Mâle, un documentaire diffusé sur Arte
Image extraite de La Cité du Mâle, un documentaire diffusé sur Arte

Ladji Real, loin des clichés sur la banlieue

Ladji Real, artiste touche-à-tout connaît bien les clichés propres à la banlieue: il y a grandi. Aujourd'hui, il essaie de responsabiliser les jeunes et de lutter contre la «grammaire imaginaire» des quartiers.

Après le lycée, Ladji Real décide de faire du cinéma. Il se présente à plusieurs castings. «Les seuls rôles qu’on me proposait, c’était pour jouer le noir de service.»

Cliché, Ladji Real l’a même été. Il le dit avec cynisme lorsqu’il évoque son adolescence passée en banlieue parisienne, entre Trappes et Montigny-le-Bretonneux, où il a étudié. «A cette époque, j’écoutais du rap et je voulais devenir footballeur!» Une blessure au genou éloigne ses rêves de carrière sportive. Une première représentation théâtrale au lycée éveille ses penchants artistiques, mais il se dirige vers une carrière diplomatique.

Lorsqu’il raconte son histoire, Ladji Real a du mal à mettre une date sur un événement. Il sourit:

«C’est mon côté africain; on ne donne pas de chiffre, on dit toujours l’année de la grande pluie, l’année du tremblement de terre, l’année où untel est mort…»

Après quelques années d’études à l’Institut des langues orientales à Paris, il fait le tour du Maghreb et du Moyen-Orient. Egypte, Syrie, Jordanie…

«De ces voyages je garde en tête une scène marquante. Le sixième sens, de M. Night Shyamalan passait partout à ce moment-là. Je voyais des salles de cinéma où tout le monde avait les yeux rivés en même temps, sur le même film. Je me suis rendu compte que l’image, le cinéma, créait du lien.»

Ainsi naît le Ladji Real cinéaste qui, par ses films et ses nombreux projets —plus d’une dizaine en cours— veut recréer ce lien social.

Besoin de reconnaissance

Real reçoit dans une petite pièce qui donne sur une cour fleurie. Deux ordinateurs, une étagère où s’entassent une dizaine de boîtes de thé, ce sont les locaux des productions de La Lanterne. Il y a fait ses premières armes en tant que stagiaire assistant de production. Aujourd’hui, il y revient souvent pour travailler sur ses propres films:

«La productrice en chef est maintenant une amie, mais elle m’a confié que j’avais été le pire assistant qu’elle avait jamais vu. J’étais censé exécuter, mais au lieu de ça je mettais mon grain de sel partout, je donnais mon avis, réfutais les ordres qu’on me donnait. Bizarrement, je me suis très vite retrouvé à la tête de pas mal de projets.»

Ce qui frappe effectivement chez Ladji Real, c’est sa curiosité intarissable. Pour les choses, pour les gens. Il coupe la parole souvent, réfute, corrige tout le temps, veut lui-même poser une multitude de questions. Il veut comprendre comment naissent les vocations, les questions elles-mêmes. Apprendre, être sur tous les terrains à la fois.

Cette curiosité, il veut aussi la mettre à profit pour les jeunes des quartiers. Il crée YES WE CAN Productions en 2007 à Montigny-le-Bretonneux. «Il s’agissait pour moi de mettre à disposition des jeunes de mon quartier ce que j’ai dû payer pour apprendre à faire du cinéma.» Des ateliers, des cours où l’on apprend ce qu’est un plan, une image:

«Une population qui ne maîtrise pas son image est une population qui ne maîtrise pas son destin. Aujourd’hui, on vit dans un monde d’images. A partir du moment où on ne sait pas décrypter les images, on ne sait pas celles qu’on envoie ni celles qu’on nous envoie.»

Tout part de là chez Ladji Real, apprendre aux jeunes à maîtriser l’image qu’ils renvoient d’eux-mêmes:

«Je travaille beaucoup sur le besoin de reconnaissance. Les jeunes de banlieue ont besoin de reconnaissance, ils ont besoin de savoir qu’ils sont utiles. Et pour exprimer ce besoin, ils deviennent des caricatures d’eux-mêmes. Tu ramènes les caméras devant eux et ils se mettent à jouer les caïds, à te dire "vas-y me filme pas!" en se mettant bien devant la caméra.»

Lutter contre la «grammaire de la banlieue»

Cette bataille contre les clichés accolés au mot «banlieue», Ladji Real a eu l’occasion de la mener, caméra à l’épaule, à la suite d’un documentaire diffusé sur Arte il y a quelques mois, La Cité du Mâle. Des jeunes de la cité Balzac à Vitry-sur-Seine y tiennent des propos ultraviolents à l’encontre des femmes et des homosexuels. Un documentaire qui fait couler beaucoup d’encre. Ladji Real connaît quelques-unes des personnes apparues dans ce film. Il perçoit des défauts de montage, des incohérences de narration. Il décide d’aller lui-même à la cité pour interroger les mêmes personnes. Les plans de ces jeunes «caricaturaux» peuvent toujours lui servir pour ses ateliers.

Ce qu’il trouve là-bas, il décide d’en faire un film, actuellement en postproduction, en réponse à La Cité du Mâle:

«Les personnes interrogées se sentent manipulées par un montage suspect. Après cette diffusion, il y a eu des poursuites en justice, des licenciements. Les personnes bafouées par ce documentaire se sentent meurtries. Maintenant, la relation de confiance est morte, leur meilleure arme c’est de ne plus parler aux journalistes. C’est triste mais c’est comme ça».

Mais ce film qu’il a réalisé, il le trouve frustrant, car il a dû mettre son sens créatif au placard pour ne s’attacher qu’aux faits —une vraie posture journalistique. Un nouveau métier en vue? Pas vraiment, plutôt une mission, une obligation. «Il fallait bien que quelqu’un fasse ce film», répète-t-il modestement.

«Aujourd’hui, les sujets qu’on montre, c’est pour conforter les gens dans leur position. Il y a une grammaire imaginaire de la banlieue. La banlieue, c’est sauvage, et s’ils voient un sujet qui va à contresens, tout de suite, ils te disent que non, ce n’est pas ce que les gens veulent. Il faut taper sur des valeurs sûres: le feu, la violence.»

Ses valeurs sûres, ses vraies valeurs, c’est la justice pour les siens et le travail, pour rendre à son terrain d’inspiration, la banlieue, ses lettres de noblesse.

Emilie Chaudet

Emilie Chaudet

Emilie Chaudet. Journaliste française.

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