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Sud-Kordofan, un nouveau Darfour?
Les attaques de l’armée de Khartoum dans le Sud-Kordofan obligent la population à fuir. Des parallèles sont établis avec la situation au Darfour.
Mise à jour du 12 décembre: De violents affrontements ont opposé l'armée soudanaise à d'anciens rebelles sudistes dans une localité du Kordofan-Sud, faisant au moins 19 morts, a annoncé un responsable des rebelles.
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Bushra Ganar s’est décidé à sortir de chez lui pour prendre sa voiture et quitter la ville. Le 7 juin 2011, au troisième jour des affrontements à Kadugli entre les Forces armées soudanaises (SAF) et les anciens rebelles acquis à la cause du Sud-Soudan, il a profité d’un ralentissement des bombardements par les soldats du Nord.
Dans les rues, il a vu une trentaine de corps éparpillés. «L’armée du Nord empêche les familles d’enterrer les cadavres», explique-t-il. La capitale du Sud-Kordofan, un Etat situé au nord du Soudan, semble être le théâtre d’un Antigone des temps modernes, à l’échelle tribale:
«Les soldats du Nord ont d’abord pris d’assaut les bureaux du SPLM [parti pro-sudiste, ndlr] pour s’emparer des fichiers recensant tous les sympathisants avec leur adresse, poursuit Bushra Ganar, qui tentait d’instaurer un observatoire des droits de l’homme à Kadugli.
Ils veulent tous les tuer parce que ce sont des Africains de la tribu des Nuba. Je suis sûr que quand ce sera fini, nous allons découvrir de nombreux cas de personnes disparues après des opérations sordides menées par l’armée du nord et les miliciens pro-arabe.»
Durant la Seconde Guerre civile entre le nord et le sud du Soudan (1983-2005), le peuple Nuba avait largement soutenu les rebelles sudistes. Vivant dans les monts Nuba, cette population majoritairement chrétienne s’est toujours sentie rabaissée par rapport aux Arabes, majoritaires dans la partie nord du Soudan. Aussi, les Nuba ont-ils décidé de se ranger aux côtés des rebelles sudistes —également chrétiens pour la plupart— et d’autres ethnies africaines.
Mise en cause de l'ONU
Aujourd’hui, les Nuba se sentent pris au piège. Surtout que les différentes agences des Nations unies présentes à Kadugli ont dû se replier sur le complexe de la Mission des Nations unies au Soudan (Minus), située à l’extérieur de la ville, à proximité de l’aéroport. Les ONG, elles, ont dû partir, réduisant considérablement leur champ d’action:
«Pour des raisons de sécurité évidentes, les mouvements de notre personnel sur place sont très limités, explique Amor Almagro, chargée des relations publiques au Soudan.
A Kadugli, nous ne pouvons aider que les personnes qui sont rassemblées dans le périmètre de sécurité aux abords du complexe. Depuis que nous avons pu recommencer nos distributions de nourriture, le 11 juin, nous avons aidé 26.500 personnes dans le Sud-Kordofan, ce qui n’est pas si mal vu les conditions.»
Pourtant, l’action de l’ONU commence à être pointée du doigt —plus précisément les soldats égyptiens présents sous l’étendard de l’ONU. «En haut des tours du complexe de la Minus, les soldats égyptiens empêchaient la population de rentrer pour se réfugier à l’intérieur.» Pour Bushra Ganar, toute la population Nuba craint les Egyptiens. Car leur pays est proche du gouvernement du Nord.
Kouider Zerrouk, porte-parole de la Minus, dément avec véhémence:
«Ce sont ces mêmes soldats égyptiens qui ont construit les latrines dont se servent la population qui s’est réfugiée vers le complexe.»
Il avoue, cependant, que la Minus a été «surprise par l’ampleur de la situation». La Mission avait prévu un périmètre de sécurité pouvant accueillir 1.500 personnes; il en accueillerait actuellement environ 6.000.
Une situation comparable au Darfour
Déplacement massif de population, bombardements, maisons pillées, assassinats, départs forcés des ONG ou encore entrave au travail de l’ONU; le gouvernement soudanais applique au Sud-Kordofan les mêmes recettes qu’au Darfour. Des recettes qui valent au président Omar el-Béchir d’être sous le coup d’un mandat d’arrêt international pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. L’histoire se répèterait-elle?
Pour Amin El Fadil, le responsable de la section suédoise de l’ONG Save the children au Soudan, la situation au Sud-Kordofan est comparable à celle du Darfour sur bien des points:
«Notre bureau de Kadugli a été pillé [comme celui d’autres ONG ou des services de l’ONU, ndlr]. Nous avons perdu nos 19 véhicules. Résultat, nous ne pouvons pas venir en aide à la population qui fuit actuellement à pied sur les routes, même pour leur fournir les besoins de base: nourriture, abri, soins médicaux.»
Comme si les assaillants voulaient s’assurer que les déplacés ne reçoivent aucune aide. De là à parler de volonté d’épuration ethnique, El Fadil refuse de faire le lien.
L’organisation de défense des droits de l’homme Sudan Democracy First Group (SDFG) évoque un «génocide», des «crimes contre l’humanité» contre les Nuba et «de nombreux crimes et violations des droits de l’homme contre la population civile au Sud-Kordofan/Etat des Monts Nuba.»
L’Archevêque anglican du Soudan, Daniel Deng Bul Yak, dénonce dans un message écrit (PDF) daté du 14 juin:
«Une stratégie délibérée du SAF [Forces armées soudanaises] de débarrasser Kadugli de sa population locale africaine et chrétienne, en résumé une politique de nettoyage ethnique. Ce n’est pas la première fois qu’une [telle] politique gouvernementale a lieu au Soudan; le génocide au Darfour occidental est bien connu.»
Même la personnalité de l’actuel gouverneur du Sud-Kordofan, Ahmed Haroun, n’est pas neutre. Ancien ministre de l’Intérieur, Ahmed Haroun a été l’un des trois Soudanais poursuivis par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité au Darfour.
Une logique politique plus qu'ethnique
Malgré ce faisceau de présomption, où sont les preuves d’épuration ethnique? Plus de dix jours après le début de l’attaque de l’Etat du Sud-Kordofan par les troupes nordistes, aucun bilan chiffré des victimes n’a été officiellement avancé. L'ONU estime en revanche le nombre de déplacés fuyant l’armée du Nord et les miliciens pro-arabes à 70.000.
Omar el-Garrar officie comme consultant privé sur les questions des droits de l’homme. Pour lui, la décision de s’en prendre au Sud-Kordofan n’a pas de sous-bassement ethnique mais politique. La prise d’Abyei le 21 mai, l’attaque au Sud-Kordofan et le bombardement par l’armée du Nord de l’Etat d’Unité (situé au Sud-Soudan, à la frontière avec le Sud-Kordofan) depuis un mois: tout est lié. Le consultant poursuit:
«D’abord ce fut Abyei, puis le Sud-Kordofan [le 5 juin]. Omar el-Béchir, sous la pression internationale, a annoncé qu’il abandonnerait Abyei. Mais il lui reste le Sud-Kordofan pour faire pression sur le Sud-Soudan avant son indépendance le 9 juillet.
Ce qui se passe au Sud-Kordofan, ce n’est pas une épuration ethnique mais la mise en scène d’une partie de la politique globale mis en place par Omar el-Béchir pour déstabiliser le Sud-Soudan au maximum. Je ne serai pas étonné si la prochaine attaque se déroule dans l’Etat du Nil Bleu. La tribu des Ingessana est aussi historiquement opposée à Khartoum.»
Mathieu Galtier
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