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La Mamounia, palace de tous les fantasmes
Mythique hôtel de Marrakech qui a vu défiler des générations de stars du showbiz et de la politique, La Mamounia est la vitrine d’un Maroc sublimé aux secrets encore bien gardés.
Yves Bertrand, l'ancien patron des renseignements généraux français, est-il la source de Luc Ferry, qui a déclaré sur le plateau de Canal+ qu'«un ancien ministre s'est fait poisser à Marrakech dans une partouze avec des petits garçons...»? La question demeure sans réponse. Toujours est-il que l'ancien «Premier espion» de France récoltait rumeurs, ragots, et «tuyaux percés» en tous genres, les notifiait dans ses fameux carnets noirs dans un style très cabalistique et ne manquait pas non plus de les distiller à la presse.
Et justement, dans les carnets de Bertrand —saisis par la justice en marge de l'affaire Clearstream et dont Le Point avait révélé le contenu— on lit, à la date du 12 février 2002, après le nom d'un ancien ministre: «À la Mamounia en novembre s'est tapé des petits garçons».
Une bien mauvaise publicité pour La Mamounia, l’établissement de légende de Marrakech, lieu de passage des plus grandes célébrités mondiales depuis près d’un siècle.
Une légende de l’hôtellerie internationale
Ecrivains, stars du showbiz et hommes d’Etat y ont séjourné depuis son inauguration dans les années 20. Winston Churchill, Premier ministre britannique, y peignait lorsqu’il y établissait ses quartiers d’hiver. Il y avait invité le président américain Franklin Roosevelt en 1943, lui affirmant: «c’est un des lieux les plus beaux du monde». La légende raconte que le général de Gaulle y a également passé une nuit à cette époque, et qu’un lit à la mesure du grand homme aurait été confectionné pour l’occasion.
Albert Hitchcock y tourna quelques scènes de L'homme qui en savait trop. Jean Tissier, Alerte au sud avec Eric Von Stroheim en 1953. De Charlie Chaplin à Claude Lelouch en passant par Jean-Paul Gaultier, Yves Saint-Laurent, Pierre Balmain, Marcello Mastroianni, Catherine Deneuve, Alain Delon, Elton John, Jacques Brel, Barbara Hendrix, Martin Scorsese, Charlton Heston ou encore Nelson Mandela, Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac, Hillary Clinton et bien d’autres, le gotha planétaire lui a rendu hommage dans son livre d’or, avec qui seuls ceux de l'Oriental (Bangkok), du Raffles (Singapour), du Ritz (Paris) ou du Bauer (Venise) peuvent rivaliser.
A l’origine, le lieu abritait une oasis luxuriante lovée à l'intérieur des remparts de la ville ocre, créée au XIIe siècle par le calife Abdelmoumen, le premier des Almohades. Six siècles plus tard, l’histoire continue avec le sultan alaouite Sidi Mohamed Ben Abdallah, qui avait pour habitude d’offrir un domaine en cadeau de mariage à chacun de ses fils. C’est ainsi que ces derniers, Abdessalam, Mamoun, Moussa, et Hassan ont donné leur nom aux jardins qu’ils ont reçus de leur souverain de père. Celui ayant appartenu au prince Mamoun deviendra célèbre et inspirera le nom de La Mamounia. On raconte qu’il l’utilisait comme lieu de plaisance où il aimait organiser de mémorables garden parties.
Au XIXe siècle y avait déjà été érigé un petit bâtiment mauresque, le Pavillon de la Mamounia. Marrakech y recevait ses invités de marque. Conçu en 1923 par les architectes Henri Prost et Antoine Marchisio, l’hôtel La Mamounia a bénéficié de l’attention toute particulière de son commanditaire la Compagnie des chemins de fer du Maroc, qui voulait un bâtiment alliant tradition architecturale marocaine et style Art déco très en vogue à l’époque.
«Un jour viendra sans doute où nous verrons ici un palace dans un grand jardin avec des arbres, des palmiers et des fleurs», avait prophétisé en 1917 l'historien Henry Dugard.
Il avait vu juste: tout au long de son histoire, La Mamounia a connu de multiples transformations. Jusqu’à la fin des années 1930, l’hôtel abritait moins de cinquante chambres. Il en compte aujourd’hui pas moins de 136, en plus de 71 suites et 3 riads qui rivalisent de raffinement. Les lieux invitent à profiter de la vue exceptionnelle sur l'immense jardin de 8 hectares, aux essences rares et sur un horizon découpé par les cimes enneigées de l’Atlas.
Grâce à ce cadre exceptionnel, La Mamounia ne désemplit pas. Avant la Deuxième Guerre mondiale, nostalgiques d’orientalisme et des récits des voyages de Delacroix et Matisse au Maroc, les touristes européens et américains y résidaient de longs mois, au milieu de leurs malles et parfois mêmes de leurs propres meubles. C’est l’époque où l’on y croise Cécile Sorel, Colette, Joséphine Baker, Béla Bartok, Maurice Ravel ou Jean-Paul Getty.
Après la guerre, c’est un festival de stars qui y défile avec Marlène Dietrich, Danielle Darrieux, Michèle Morgan, Orson Welles, Rita Hayworth, Ray Charles et Coco Chanel.
Des souvenirs épiques
Le palace, situé à quelques minutes de marche de la non moins célèbre place Jamaâ El-Fna, le cœur battant de Marrakech, vient tout juste de renouveler ses atours grâce au décorateur français Jacques Garcia, celui-là même qui a habillé le Royal à Deauville, le Costes à Paris et le Danieli à Venise. Ses tables font tout autant sensation.
Mohammed VI a voulu lui redonner son cachet oriental et tamisé, quelque peu perdu depuis que son père Hassan II avait fait transformer l’hôtel en un lieu flamboyant par André Paccard au milieu des années 80, avec ses bibelots signés Lalique et ses meubles répliques de Leleu. Une embellie qui avait déjà attiré les célébrités françaises de l’époque, qui y ont laissé quelques souvenirs épiques: Pierre Joxe et Pierre Bérégovoy au coude à coude pour réserver un des pavillons les plus prisés, Jean-Edern Hallier, réfugié de la colère mitterrandienne refusant de lever le coude de son bar jazzy, et plus tard en 2005, Philippe Douste-Blazy qui y fit, dit-on, désordre lors d’une nuit fort agitée…
Ali Amar
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