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La rébellion libyenne a-t-elle un avenir?
Après plus de six mois de guerres de territoires, de bombardements et de pertes civiles, sommes-nous parvenus à un tournant dans le conflit libyen?
Le Conseil national de transition (CNT), organe suprême de l’insurrection libyenne dont la légitimité est reconnue par la coalition internationale, a procédé lundi 8 août à son premier remaniement gouvernemental. Par son président, Moustapha Abdeljalil, le CNT a suspendu l’équivalent de son bureau exécutif.
Selon Mohammed el-Kish, un porte-parole de la rébellion, le président aurait demandé à Mahmoud Jibril, qui tient le rôle de Premier ministre et dirige l’actuel bureau exécutif, de restructurer son équipe.
Mis en place début mars et composé de 14 membres sous l’autorité du CNT, cet organe politique a pour objet la gestion des territoires sous contrôle rebelle dans l’est du pays.
Une semaine après l’assassinat encore inexpliqué du chef d’état-major de la rébellion Abdel Fattah Younès (ex-ministre de l’Intérieur de Mouammar Kadhafi), victime de mésententes, de suspicion de traîtrise et de querelles internes, le Conseil libyen de transition semble en passe de se diviser —voire d’imploser.
Le président du CNT a révélé dans une interview donnée à la chaîne Al Jazeera lundi 8 août que «des erreurs administratives avaient été faites, amenant à dissoudre le bureau». La mort du général Younès a aussi entraîné une vague de pressions de la part des groupes armés des Obeidis, tribu à laquelle il appartenait, qui veulent venger la mort de leur chef.
Si les gouvernements occidentaux manifestent encore leur soutien aux rebelles, il semble que de leur côté, les pays arabes s’interrogent surtout sur la possibilité d’une transition avec ou sans les forces de rébellion libyennes s’ils ne parvenaient pas rapidement à se réorganiser.
Désinformation autour du conflit libyen
Simultanément au remaniement du bureau exécutif, Tripoli accuse l’Otan d’avoir tué 85 civils lundi 8 août dans des raids aériens. Mais les versions diffèrent, car les emplacements où ont été menés ces bombardements sont encore sujets à polémique. Selon un article du journal britannique The Independent (repris par le nouveau site d’information libyen Shabab Libya), «aucune version n’a pu être vérifiée», puisque l’Alliance est en train de mener son enquête sur la perte de ces civils.
La télévision d’Etat a diffusé des images de corps d’enfants brûlés et de blessés à l’hôpital. Mais également, mardi 9 août, des images d’un des fils de Kadhafi, Khamis, déclaré mort le vendredi précédent par les rebelles libyens. Reste à savoir si ces images ont bien été filmées le 9 août, souligne Al Jazeera, qui prend des précautions sur l’identité de la personne à l’écran, préférant parler «d’une ressemblance frappante» avec le fils Kadhafi.
Le site de la chaîne américaine CNN raconte la visite des journalistes sur les lieux des bombardements incriminés:
«Malgré la perte massive présumée de civils dans la zone, les journalistes n'ont trouvé aucune trace de sang ni restes de corps parmi les ruines du village».
Face à ces attaques, l’Otan a répliqué que l’opération militaire était «légitime» et qu'elle n’avait pas plus d’information actuellement sur les pertes civiles.
Il convient donc d’opter pour la prudence avec les informations rapportées actuellement sur la Libye, comme le préconisent certains médias occidentaux. Mais peut-on parler de propagande, comme l'affirme pourtant Euronews qui souligne que les images diffusées à la télévision libyenne ne sont jamais datées? Cet organe avait été visé le 30 juillet par l’Otan, qui voulait mettre un terme à la «propagande» de Kadhafi et le «réduire au silence».
Un programme de 70 pages pour l’après-Kadhafi
La plupart des observateurs arabes s’interrogent sur l’avenir de la rébellion. On imagine que le colonel Kadhafi, qui profite encore du soutien d’une partie de sa population, se délecte de l’échec politique du mouvement rebelle. Les circonstances actuelles en Libye mettent à mal la légitimité de la présence de l’Otan, mais aussi les capacités du CNT à amorcer une transition —bien que celui-ci ait d’ores et déjà élaboré un programme de 70 pages pour l’après-Kadhafi.
L’assassinat du général Younès ayant diminué sa légitimité, le CNT souhaite désormais institutionnaliser ses forces de sécurité. Dans ce sens, 5.000 hommes seraient déjà mobilisés. Le quotidien algérien El Watan reprend l’appel le 9 août du président Moustapha Abdeljalil aux renforts militaires:
«Nous appelons les soldats de tous grades à rejoindre l’armée nationale. Nous appelons également les rebelles des différents groupes armés à rejoindre, en tant qu’individus, cette armée pour améliorer ses. performances.»
Dans les colonnes d’Al-Chourouk, le quotidien arabophone tunisien, les observateurs reviennent sur le projet des rebelles libyens qui prévoient de conserver les infrastructures existantes et ainsi éviter le modèle de l’Irak dans la reconstruction postrévolutionnaire. A ce titre, le CNT prévoit de mobiliser des fonctionnaires qui pourraient composer les prémices de la nouvelle administration. D’après Al-Chourouk, 800 fonctionnaires seraient déjà prêts à former la nouvelle administration. Le CNT aurait donc un plan de reconstruction institutionnel, dans lesquels plusieurs domaines comme la santé ou la recomposition de l’armée seraient déjà à l'étude.
Selon The Australian, le programme de 70 pages affirme que les groupes rebelles à Tripoli ont d’ores et déjà 8.660 partisans —dont 3.255 proviennent de l’armée de Kadhafi. L'ambassadeur du gouvernement rebelle aux Émirats arabes unis et le chef de la cellule de planification pour le groupe de travail, Aref Ali Nayed, s’est exprimé sur ce programme commun:
«Il est important que le public sache qu'il existe un plan pour la suite»
L’ONU, le Qatar, les Emirats arabes unis et la Turquie devraient mettre en route un programme d’approvisionnement d'urgence en gaz et pétrole de 550 millions de dollars (383 millions d'euros) dès la chute du régime, pour restaurer au plus vite le pays. Les mêmes ayant déjà organisé le plan pour une aide humanitaire immédiate.
Les soutiens des pays voisins
Par ailleurs, les observateurs arabes redoutent que la flamme d’al-Qaida (notamment Aqmi, sa branche maghrébine) soit définitivement ravivée. Composé de plusieurs courants politiques et ethniques, le CNT ne fait pas l’unanimité. Ainsi le quotidien algérien L’Expression, dans une tribune du journaliste Mohamed Touati, s’inquiète de la montée des islamistes à ses frontières. Ce dernier analyse une situation qu’il juge préoccupante pour l’Algérie:
«Aqmi aurait, à en croire certaines sources, choisi de tenter d'acheminer des armes libyennes à partir de Benghazi, "capitale" des insurgés libyens, vers l'Algérie, via la Tunisie […] Aqmi profite de cette situation et aurait récupéré des armes de guerre, dont des missiles sol-air, lesquels auraient, d'ores et déjà, été transférés dans ses bases au nord du Mali.»
Pour le site Algérie Focus, qui estimait fin juillet qu’il existait un lien «entre la dégradation de la situation sécuritaire en Kabylie et le conflit libyen», l’Algérie reste toujours gênée des accusations à son encontre sur le présumé armement des forces pro-Kadhafi.
De son côté la Tunisie semble basculer plus précisément du côté de la rébellion et la reconnaissance du CNT. D’après Algérie Focus, le chef d’état-major Rachid Ammar aurait autorisé l’armement des rebelles —une information qui n’a toutefois pas été confirmée par le gouvernement de transition tunisien. En dehors des armes, la Tunisie a joué —et joue encore— un rôle déterminant dans l’approvisionnement en denrées alimentaires vers la Libye.
En contact avec un agent des douanes tunisiennes, Habib Almisawi, journaliste à Al-Chourouk, rapporte que le colonel Kadhafi souhaiterait réquisitionner cet approvisionnement.
Y aura-t-il un après Kadhafi? Si des diplomates américains ont rencontré mercredi 10 août des dirigeants africains pour essayer de faire pression sur le régime de Kadhafi, l’avenir du pays paraît encore incertain. Les annonces radio à diffuser à la population en cas de départ de Kadhafi seraient déjà enregistrées, afin de circonscrire au plus vite les tensions postrévolutionnaires.
Lilia Blaise et Mehdi Farhat
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