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Le foot camerounais en crise
Les Lions indomptables enchaînent les défaites. Mais derrière les tensions que cristallise Samuel Eto'o, son capitaine, se cache la nécessité de réformer le foot camerounais en profondeur.
Mise à jour du 16 décembre: Hier, Samuel Eto'o, capitaine de l'équipe nationale du Cameroun a écopé d'une suspension de 7 matchs pour avoir boycotté la rencontre face à l'Algérie en novembre dernier.
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Mise à jour du 1er décembre: L'ancien sélectionneur Javier Clemente a décidé d'attaquer la fédération camerounaise de football (Fécafoot) pour rupture de contrat abusive.
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Mise à jour du 26 octobre: Ayant échoué à qualifier les Lions Indomptables pour la Coupe d'Afrique des Nations, le sélectionneur espagnol Javier Clemente a été limogé par la fédération camerounaise de football le 24 octobre.
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Jean-Marie «est tellement fâché» que sa voix en tremble. Dans sa main, trois cailloux gros comme le poing qu’il s’apprête à lancer sur le bus des joueurs camerounais qu’il attend de pied ferme, l’œil noir sous son bandeau aux couleurs du drapeau orné d’une étoile jaune.
«Une défaite chez moi à domicile… Monsieur Eto’o fils doit partir! Il doit nous laisser en paix. On doit reformer notre équipe. On ne veut plus de gros nom. Qu’il rentre jouer à l’Inter de Milan, qu’il parte donner des titres aux blancs!»
Le reste de sa diatribe se perd dans le hurlement de colère générale que la seule évocation du capitaine de la sélection camerounaise a provoqué autour de lui.
Ce samedi 4 juin en fin d’après-midi, près du stade Amadou Ahidjo de Yaoundé, l’ambiance est véritablement à couper au couteau et la colère lisible sur le visage des hordes de supporters qui quittent les lieux. Les Lions indomptables viennent de faire match nul contre ceux de la Teranga, l’équipe sénégalaise à l’issue d’un match insipide qui compromet très fortement leur qualification pour la phase finale de la prochaine Coupe d’Afrique des Nations, la CAN 2012.
Samuel Eto’o, le charismatique capitaine, a raté un pénalty à la 90e minute, déclenchant le courroux de ses compatriotes venus applaudir leur équipe par milliers dans un stade survolté. C’est finalement à coup de canon à eau des forces de l’ordre contre des centaines de supporters furieux que la journée s’achèvera.
Pour le Onze national et leurs fans, ce match retour Cameroun-Sénégal n’est que l’ultime épisode d’une descente aux enfers initiée quelques mois plus tôt.
Gloires passées
C’est en 1990 que les Lions indomptables entrent dans la légende en battant l’Argentine de Diego Maradona alors tenante du titre à la Coupe du monde d’Italie. L’événement est historique: les Camerounais deviennent la première équipe africaine à accéder à un quart de finale du Mondial. Quelques autres coups d’éclat (Champions d’Afrique, médaillés d’or aux Jeux olympiques de Sydney...) achèveront de faire des Lions indomptables les ambassadeurs du football africain.
Fanatique, le Cameroun suit religieusement chaque match de la sélection dans une ambiance «ville morte» —même les taxis chôment pendant les rencontres— et vénère ses champions. A commencer par l’actuel capitaine, la superstar internationale Samuel Eto’o. Dans les rues, les Camerounais ont ainsi troqué le maillot Blaugrana du FC Barcelone contre la tunique bleue et noire de l’Inter de Milan quand Eto’o fils est passé d’un club à l’autre en 2009.
Mais ces dernières années, les Lions semblent avoir de plus en plus de mal à rugir et enchaînent les déconvenues, jusqu’à la dernière coupe du Monde en Afrique du Sud l’an dernier où l’équipe a perdu tous ses matchs —donnant au passage un sacré coup à l’orgueil national.
Des égos surdimensionnés
Roger Milla en personne l’a dénoncé publiquement quelques jours avant la rencontre Cameroun-Sénégal: la mauvaise ambiance «à cause des égos trop poussés» de certains joueurs est nuisible à l’équipe. L’ex-champion et gloire du football national résumait là une préoccupation partagée par plusieurs dizaines de milliers de supporters à travers le pays, comme l’explique Eric Sielinou, le président de la grande Fédération nationale des supporters des Lions indomptables:
«Les supporters sont furieux. On sait qu’individuellement, nos joueurs sont irréprochables. Les problèmes viennent des égos de certains d’entre eux. L’entraîneur n’a pas les coudées franches; il n’arrive même pas à aligner les joueurs qu’il veut sur le terrain à cause de toutes les intrigues au sein de l’équipe. Il est impuissant.»
Eric Sielinou ne donne pas de nom, mais les spectateurs à la sortie du match de samedi sont moins subtils: Samuel Eto’o est accusé d’arrogance et d’indiscipline. Pendant la rencontre contre le Sénégal, l’attaquant vedette a eu un geste qui a choqué: comme l’entraîneur espagnol Xavier Clemente rappelait l’un des Lions, Eto’o fils, bafouant l’autorité du coach, a rattrapé celui-ci par le maillot avant que l’arbitre n’entérine finalement le changement de joueur.
En outre, Samuel Eto’o mènerait une guerre ouverte avec l’autre champion de l’équipe, le milieu défensif du club anglais d’Arsenal Alexandre Song, qui s’est fait porter pâle pour la rencontre. A l’origine de leur discorde, le brassard de capitaine dont hérite Samuel Eto’o dans des conditions controversées avant le Mondial 2010 en Afrique du Sud au détriment de Rigobert Song, chef d’équipe depuis de nombreuses années et surtout oncle d’Alexandre.
Nécessaires réformes en profondeur
Ces «guéguerres» de leadership ne seraient toutefois que la partie émergée de l’iceberg selon Jean-Lambert Nang, célèbre chroniqueur sportif et ex-bref patron de la Fédération camerounaise de Football (Fecafoot). Pour celui qui a signé un portrait au vitriol du football camerounais dans Desperate Football House tout le monde est coupable:
«Aux querelles d’égos personnels, il faut ajouter le problème des entraîneurs occidentaux [le français Paul le Guen et l’espagnol Xavier Clemente, ndlr] mal préparés aux réalités compliquées du Cameroun, un ministre des Sports inexpérimenté, une Fecafoot qui cultive l’impunité et la corruption. C’est le désordre total!»
Un tableau que nuance toutefois Pierre Ama, ancien entraîneur des Lions indomptables et spécialiste du ballon rond:
«L’équipe actuelle est une bonne équipe. Il faut surtout un quota de joueurs locaux qui constitueraient le cœur de l’équipe. Aujourd’hui, 90% des joueurs viennent de l’extérieur. Il en faudrait plutôt 60% pour une meilleure cohésion.»
Ce professeur en physiologie du sport, qui a participé comme conseiller du ministre des Sports aux états généraux organisés à Yaoundé en novembre 2010 pour tenter de réorganiser le secteur se veut même optimiste:
«La création en cours d’une Ligue professionnelle de football devrait permettre de relancer d’ici un an le football camerounais».
Mais cette Ligue n’est pas encore sur pied qu’elle fait déjà polémique dans les milieux sportifs, depuis l’annonce que les dirigeants de cette nouvelle instance seront nommés par la Fecafoot après accord du ministère de tutelle… Entre le manque criant d’infrastructures sportives, l’insuffisance de formation et l’exode des jeunes prodiges qui tentent de rejoindre l’Occident faute de salaires corrects au pays, la route vers la relève du football risque d’être longue. Très longue.
Pour l’heure, avec 5 maigres points au sein du groupe E, les Lions devront remporter leur deux derniers matchs (contre la RDC et Maurice) pour espérer se qualifier. Lors de leur match contre le Sénégal, ils ont certainement réussi le plus dur: sortir entiers du stade chauffé à blanc et échapper à la lapidation de leurs supporters.
Sarah Sakho
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