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Compaoré, le président inamovible?
Le chef d’Etat burkinabè a fêté le 3 février ses 60 ans. Depuis 23 ans, il règne sans partage sur le «pays des hommes intègres».
Mise à jour du 29 mars 2012: Après avoir joué le rôle de facilitateur dans les crises ivoirienne, togolaise et guinéenne, le président burkinabè a été nommé médiateur dans la double crise politique et militaire au Mali. Il a été désigné par ses pairs, lors du sommet extraordinaire de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) qui s’est tenu le mardi 27 mars à Abidjan. Il a pour mission de mener les négociations avec la junte au pouvoir et la rébellion touarègue.
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Le président burkinabè aime les anniversaires. L’année 2010 a été riche en commémorations du cinquantenaire de l’indépendance de la Haute-Volta, ancienne colonie française d’Afrique de l’ouest, et devenu Burkina Faso en 1984. En 2007, c’est en grandes pompes que les supporters de Blaise Compaoré célébraient les vingt ans de son accession à la tête de ce pays. Le 3 février 2010, le jour de la Saint-Blaise, le président de ce petit territoire sahélien a soufflé ses soixante bougies. Un âge qui ne le classe pas encore explicitement dans la catégorie des «vieux», celle qui inspire vénération dans les sociétés africaines; celle-là même dont la plus célèbre incarnation pourrait devenir un modèle pour Compaoré: l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny, surnommé «le Vieux», au pouvoir de 1960 à 1993, année de sa mort.
Des débuts difficiles
En 1987 pourtant, lui qui arrive au pouvoir sur le cadavre de Thomas Sankara —assassiné le jour même— fait pâle figure. Le 19 octobre, devant les caméras qui immortalisent la naissance du Front populaire et de son programme de «rectification de la révolution», Compaoré apparaît émotionnellement déstabilisé et oralement confus.
Bien qu’on le surnomme «beau Blaise», il n’a guère d’atout pour séduire, après la présidence du charismatique Sankara, le «Che africain». Mais c’est là que réside sa force: ne pas payer de mine. Un avocat français l’aurait comparé à un serpent qui semble dormir, qui ignore mainte fois votre passage et qui se décide soudain à vous mordre, déroulant une logique impénétrable. L’œil humide de 1987 ne doit pas faire oublier la poigne de fer. Dès 1983, c’est bien Compaoré qui, depuis la ville de Pô, enclenche les «hostilités révolutionnaires», celles qui «offriront» le pouvoir à Sankara alors en prison.
L’éternel numéro 2
Pour certains observateurs des années 80, il n’est qu’un «second rôle» insipide à côté de Sankara, président du Conseil national de la révolution. Pour d’autres, il est la marionnette contre-révolutionnaire d’un Houphouët-Boigny pro-français que ce CNR démangeait. Les deux présidents rivaux serviront tout autant son destin. Le Burkinabè lui ouvrira les portes de la politique; l’Ivoirien alimentera son réseau d’influence et lui présentera sa future première dame. Après les décès de Sankara et Houphouët —le président burkinabé en 1987, son homologue ivoirien en 1993— Compaoré s’installe dans la durée. Déployant un machiavélisme aussi inattendu qu’efficace, il cultive deux facettes. Il devient le docteur Jekyll et le Mister Hyde de la politique africaine. Docteur Compaoré-Jekyll résiste soigneusement à la gourmandise immobilière d’un Omar Bongo, le président gabonais de l’époque. Ni bling-bling ni ubuesque, il ne se bombarde pas général. Il prend une disponibilité de l’armée et restaure, en 1991, la République —la IVe depuis l’indépendance—, tout en anesthésiant soigneusement le paysage politique.
Compaoré caresse dans le sens du poil une chefferie traditionnelle traumatisée par son prédécesseur. Des ministres de l’Empereur des Mossé (l’ethnie majoritaire du plateau où se trouve la capitale Ouagadougou) deviennent députés du parti majoritaire, le Congrès pour la démocratie et le progrès. Le réseau des chefs de province devient le filet qui, dans des régions mal informées, garantit une pêche électorale miraculeuse. Le copinage avec les principaux opérateurs économiques assure le financement de campagnes à l’américaine. Dans l’un des cinq pays les plus pauvres de la planète, inutile d’acheter formellement les suffrages quand on peut inonder ses électeurs de gadgets publicitaires.
Vous avez dit opposition?
Face à Blaise Compaoré, l’opposition se dissout ou se divise. Hermann Yaméogo, le fils du premier président voltaïque, se présente encore, en 2011, comme l’opposant le plus crédible. Il n’a pourtant jamais affronté le chef de l’Etat lors d’une élection. Il a été en revanche son ministre d’Etat. Après quatre années de pouvoir d’exception, Compaoré est réélu en 1991, en 1998 et en 2005. Mais en 2010, une Commission électorale maladroite produit des cartes d’électeur décrétées illégales par un tribunal administratif.
Qu’importe. Au scrutin de novembre de la même année, le candidat-président cumule plus de 80% des suffrages exprimés. Pourquoi prendre le risque de bourrer les urnes?
Depuis le putsch de 1987, le système du Mister Hyde burkinabè ne verse que parcimonieusement le sang de son peuple. En 1998, le meurtre du journaliste Norbert Zongo ébranlera le gouvernement en place, car il enquêtait sur les proches du pouvoir. Mais les quelques libertés judiciaires concédées sous la pression internationale ne conduiront qu’à un non-lieu.
Une diplomatie sur tous les fronts
Plus lourd apparaît le passif à l’étranger. Mais quand la communauté internationale reproche à Compaoré son soutien au sanguinaire président libérien Charles Taylor ou son implication dans les crises angolaise, sierra-léonaise ou mauritanienne, le pyromane, tel un talentueux transformiste, se mue en pompier.
En 2002, c’est un Burkina Faso bienveillant que quittent les rebelles ivoiriens pour fondre sur Abidjan, la capitale de la Côte d’Ivoire. Mais en 2007, c’est au «déstabilisateur» qu’on doit la signature des accords inter-ivoiriens de… Ouagadougou. Compaoré devient ainsi le médiateur tout-terrain d’une impasse guinéenne, d’une crise togolaise ou encore d’une rébellion touareg. Le «beau Blaise» devient le «bon Blaise».
Bon élève des institutions financières internationales, bon camarade de la sous-région ouest-africaine, Blaise Compaoré n’est donc plus très loin du statut d’Houphouët-Boigny, présenté comme «le sage de l’Afrique» à la fin de son règne.
Il ne lui reste plus qu’à déverrouiller l’article 37 de la constitution du Burkina Faso, celui qui stipule que ce tout nouveau quinquennat présidentiel devra être le dernier. Sur un continent où le président sénégalais entend débuter un septennat à 86 ans, le sexagénaire burkinabè peut espérer rester encore un demi-siècle au pouvoir.
Semba Diallo