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Les «dinosaures» africains face aux révolutions
Les révolutions qui ont secoué la Tunisie et l’Egypte peuvent-elles traverser le Sahara et s’exporter dans une Afrique subsaharienne où de nombreux régimes sont au pouvoir depuis plus d’un quart de siècle? Tour d’horizon des derniers «dinosaures politiques» du continent.
«L’heure de la fin des dinosaures politiques semble avoir sonné», se réjouit le quotidien burkinabè Le Pays.
«Les peuples africains entrent en éruption», renchérit le quotidien Le Républicain, au Mali voisin. Et de souligner:
«Partout où le vernis défraîchi dévoile d’épaisses couches de laideurs, où les rois se prennent pour les sauveurs suprêmes et où les oligarques riches de nos Etats pillés narguent une jeunesse désespérée qui préfère la barque même incertaine des passeurs aux horizons bouchés du pays, le danger est grand. Les rois ont prouvé qu’ils peuvent être nus. Et les sujets ont prouvé qu’ils peuvent être des acteurs.»
Sur le continent noir, plusieurs dirigeants s’accrochent au pouvoir depuis un quart de siècle —voire plus. Ils ont résisté à la grande vague de démocratisation du début des années 90, aux complots internes et aux rébellions.
Leur bilan en matière de respect des droits de l’homme est au mieux peu reluisant, au pire franchement catastrophique. La corruption favorisée par les pétrodollars est endémique.
«Violation des droits de l’homme, prédations, blocages politiques, paupérisation, régimes mafieux, pouvoirs patrimoniaux… l’Afrique subsaharienne rassemble tous les ingrédients de la Révolution du jasmin», souligne le quotidien Liberté-Algérie.
Cinq «dinosaures» du sud du Sahara font de la résistance
GUINEE-EQUATORIALE
Teodoro Obiang Nguema est arrivé à la tête de la Guinée-Equatoriale à la faveur d’un coup d’Etat en 1979 (soit huit ans avant le Tunisien Ben Ali) après avoir déposé son oncle, Macias Nguema. Ce dernier a été capturé puis exécuté. A 69 ans, il dirige d’une main de fer ce petit pays sous-peuplé et important producteur de pétrole. Mais les pétrodollars ne profitent guère à la population, dont la majorité vit sous le seuil de pauvreté.
ANGOLA
Eduardo Dos Santos est arrivé au pouvoir en 1979, soit un an avant l’Egyptien Hosni Moubarak. Il est sorti vainqueur d’une terrible guerre civile (1975-2002). Son principal opposant, l’ex-chef rebelle Jonas Savimbi, est mort en 2002. Agé de 69 ans, Dos Santos est à la tête d’un pays qui dispute au Nigeria le rang de premier pays exportateur de pétrole du continent. Ces pétrodollars lui ont permis de faire de son armée, une des plus puissantes forces du continent.
ZIMBABWE
Le «père de l’indépendance» Robert Mugabe refuse obstinément, à 87 ans, de quitter le pouvoir, qu’il détient depuis 1980. Il a résisté à de très fortes pressions internationales, notamment occidentales, en adoptant un discours résolument nationaliste face aux «colons blancs». Sa «révolution agraire» —distribution des terres appartenant aux Blancs aux caciques noirs du régime— a ruiné l’économie de l’ancien «grenier» de l’Afrique australe, mais a rencontré un écho favorable chez certains Africains.
CAMEROUN
Au pouvoir depuis le 6 novembre 1982, Paul Biya a surmonté une tentative de coup d’Etat en 1984. En 2004, il avait reporté haut la main la présidentielle avec plus de 70% des suffrages tandis que son principal rival du Front social démocrate, John Fru Ndi, n'en récoltait que 17,4%. A 77 ans il pourtant devrait se présenter une nouvelle fois lors du prochain scrutin présidentiel prévu courant 2011.
OUGANDA
Yoweri Museveni est au pouvoir depuis 1986, soit un an avant Ben Ali. A 67 ans, il n’a aucune intention de quitter le pouvoir. Fidèle allié des Etats-Unis dans la très troublée région des Grands Lacs, il a été très critiqué pour son rôle «déstabilisateur» en République démocratique du Congo (RDC) voisine.
La révolution, plus facile chez les autres
Mais, pour l’opposition, importer la révolution chez soi n’est guère aisé. Chez les «hommes forts», la presse indépendante est rare ou inexistante, la liberté d’expression étouffée et les relais au sein de la société civile dramatiquement faibles.
Le 25 janvier, l'opposant gabonais André Mba Obame, qui conteste vivement l’élection d’Ali Bongo à la présidence, s'est autoproclamé président et a formé son propre gouvernement. Mba Obame a appelé dans la foulée les Gabonais à imiter les Tunisiens pour renverser leur dirigeant.
Son parti a été immédiatement dissout et l’opposant s’est prudemment réfugié au siège du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) à Libreville, la capitale du Gabon. Ce coup d’éclat politico-médiatique a toutefois rappelé l’élection contestée d’Ali Bongo en 2009, qui avait pris la succession de son père, Omar Bongo, un des plus fidèles alliés de Paris au sud du Sahara.
Dans les révolutions, l’armée, véritable colonne vertébrale du régime, joue toujours un rôle déterminant.
«Au final, c’est l’armée, pas la rue, qui a chassé Ben Ali. Ce qui a changé en Tunisie, c’est que le chef d’État-major des armées, le général Rachid Ammar, a dit au président: "C’est fini, on ne vous protège plus."» assure un éditorialiste de Madagascar Tribune.
Et ce qui apparaît ainsi dans un premier temps comme une révolution du peuple s’avère être souvent une «révolution de palais» sous pression populaire.
Le mauvais exemple de l’Union africaine
C’est pourtant au cœur de cette ébullition démocratique, de cette grande marche des peuples que l’Union africaine (UA), héritière de la complaisante Organisation de l’Unité africaine (OUA), vient de porter à sa présidence, le chef de l’état de Guinée-Equatoriale Téodoro Obiang Nguema.
«Au secours, Obiang Nguema arrive», titre Le Pays, résumant le sentiment général chez les démocrates du continent.
«Avec le principe de rotation [sur une base régionale, à la présidence de l’UA, ndlr], un fossoyeur de la démocratie vient de passer président en exercice de l’UA. Cela ne fait pas honneur au continent. Tant et si bien qu’on peut se demander s’il ne faut pas revoir ce principe en édictant des critères d’éligibilité plus rigoureux», insiste le quotidien.
Certes, le président de l’UA ne dispose que d’’un pouvoir symbolique par rapport au président de la Commission de l’UA, actuellement le Gabonais Jean Ping.
Mais l’Afrique émergente se serait facilement passée d’un président aussi controversé tout au long d’une année 2011, qui va voir une dizaine de scrutins présidentiels se succéder…
Adrien Hart