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Au Benin, trop de presse tue la presse
Pour une population de moins de 10 millions d'habitants, le Bénin compte une cinquantaine de quotidiens: ils ne brillent pas tous par leur professionnalisme.Loin de là.
Les mutations démocratiques des années 90 au Bénin ont marqué un tournant spectaculaire dans le paysage médiatique. D’une publication en 1987, en l’occurrence La Gazette du Golfe, les titres ont fait florès dans les années d’après. Une vingtaine de journaux a ainsi vu le jour après le deuxième titre Tam-Tam Express. Au milieu des années 90, beaucoup de journaux ont disparu avant que la presse écrite ne connaisse son second printemps à partir de 1997.
Les Béninois sont unanimes à reconnaître que la presse écrite a été à l’avant-garde du renouveau démocratique dans le pays. En se montrant indépendante et au-dessus des querelles partisanes, elle a animé le débat sociopolitique national et contribué au changement. Puis, il a fallu s’adapter à ce changement dans un environnement de plus en plus concurrentiel. La multiplication des publications sur un marché national étroit et aux ressources publicitaires limitées a eu pour conséquence de décupler l’ingéniosité des acteurs des médias.
Loin de toute éthique
La recherche des moyens de survie au mépris des règles de l’art a conduit à dévoyer progressivement le métier. Contrairement à ses débuts, la presse est vite devenue davantage un business qu’une affaire de vocation. Face au problème lancinant de l’emploi, elle est apparue comme le plus grand débouché pour plus d’un. D’autant plus que pour créer un journal, il fallait tout simplement en faire une déclaration écrite au ministère de l’Intérieur.
«Je ne peux pas trouver du travail à tout le monde. Mais si en écrivant sur moi ils peuvent gagner leur vie, alors qu’ils écrivent», disait l’ancien président Mathieu Kérékou face aux dérapages de certains journaux.
Jamais, du reste, il n’a intenté un procès contre quelque média que ce soit, en dépit des articles parfois orduriers qu’on a pu lire sur lui.
Il y a deux ans, le nombre de journaux béninois dépassait déjà la centaine. Le comble de la surprise, c’est qu’il est arrivé des moments où 75 quotidiens paraissaient dans ce petit pays où peu de gens lisent encore. Et certains n’étaient même pas officiellement enregistrés. La Haute autorité de l’audiovisuelle et de la communication (HAAC), qui est l’institution de régulation, a dû faire du ménage dans le milieu ces dernières années. Elle a en effet reconnu 53 quotidiens comme légalement enregistrés.
Comme toute denrée périssable qui a le papier pour support, la distribution constitue un véritable casse-tête. La quasi-totalité de ces journaux ne couvrent donc que Cotonou, la capitale économique du pays, qui est le centre névralgique des activités économiques et politiques.
Journaux, mode d’emploi
On distingue actuellement deux catégories de journaux, à savoir les permanents et les saisonniers. Dans la jungle du paysage médiatique béninois, il y a des quotidiens qui paraissent normalement comme Le Matinal, Le Progrès, La Nation, L’Autre quotidien, La Presse du jour, La Croix, L’Option infos, Le Matin, Fraternité, La Nouvelle Tribune pour ne citer que ceux-là. Beaucoup d’autres ne paraissent généralement qu’à l’occasion des échéances électorales quand ils reçoivent des financements d’hommes politiques ou lorsqu’ils obtiennent un contrat quelconque avec une structure étatique ou privée.
Au Bénin comme ailleurs en Afrique, il est plus aisé de gérer un journal quand on est un thuriféraire du régime en place que lorsqu’on veut faire preuve de professionnalisme. Même les hommes d’affaires qui ont tenté l’aventure s’en sont bien rendus compte. Entre les tracasseries fiscales et la privation de contrats publicitaires sous prétexte d’être opposante au régime, il s’avère impossible à une entreprise de presse d’évoluer. Dans ces conditions, les patrons de presse sont contraints d’être soit de connivence avec le pouvoir soit avec son opposition. Et cela s’en ressent à travers les publications tout comme le débat national qui manque souvent d’objectivité. D’où la nécessité d’assainir le fonctionnement du secteur de la presse, à commencer par les relations que l’Etat entretient avec les médias dans l’attribution des contrats publicitaires.
La chasse au «communiqué final»
En attendant par exemple de se doter d’une structure qui régule le marché publicitaire, le clientélisme et le favoritisme sont les règles. Et chaque organe se débrouille comme il peut, en usant de son carnet d’adresses. Car en la matière, ce qui importe n’a rien à voir avec des critères objectifs comme l’importance du lectorat, la qualité du travail, la cible du message, etc. Conscient des injustices de ce genre, la HAAC a eu l’ingénieuse idée de créer une aide spécifique à la «presse de qualité». Elle multiplie aussi des formations à l’endroit des journalistes afin de les outiller contre les dérapages professionnels.
Mais ces efforts ne ressemblent qu’à une goutte d’eau dans la mer. Ils n’empêchent pas certains de continuer à violer consciemment les règles déontologiques et éthiques dès lors qu’il s’agit de gagner de l’argent, et cela par tous les moyens: corruption, chantage et tutti quanti. En réalité, il n’est pas exagéré de dire aujourd’hui que c’est ce qui motive nombre d’acteurs des médias quand ils se lancent dans l’aventure journalistique. La chasse au «communiqué final» (enveloppe financière) qui sanctionne les couvertures médiatiques en est une illustration. Au demeurant, dans les rapports entre la presse et les acteurs sociopolitiques, il y a une formule bien connue dans le milieu:
«A défaut d’arguments convaincants, il faut des billets de banque convaincants». Dont acte!
Marcus Boni Teiga
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