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Alassane Ouattara et Nicolas Sarkozy à Yamoussoukro le 21 mai. REUTERS/Str New
Alassane Ouattara et Nicolas Sarkozy à Yamoussoukro le 21 mai. REUTERS/Str New

Sarkozy l’Africain

Nicolas Sarkozy était à Yamoussoukro pour l'investiture d'Alassane Ouattara le 21 mai. Jalon d'un retour en force de la France en Afrique, avec des interventions majeures en Côte d'Ivoire et en Libye.

Nicolas Sarkozy a de quoi se réjouir. Lui, que l’on disait peu au fait des réalités africaines. Lui, que l’on disait peu soucieux de se frotter aux réalités du continent, aura connu une belle semaine africaine. La victoire d’Alassane Ouattara, intronisé président de Côte d'Ivoire le 21 mai 2011 dans la capitale Yamoussoukro, c’est un peu la sienne. Et même beaucoup la sienne. Sans l’intervention des troupes françaises de la Licorne, Alassane Ouattara aurait-il réussi à prendre possession du palais présidentiel? Rien n’est moins sûr. La communauté internationale avait reconnu sa victoire à la présidentielle du 28 novembre 2010. Mais Laurent Gbagbo restait maître d’Abidjan, la capitale économique. Les troupes du Président sortant jouissaient d’un bel armement. Elles s’étaient bien préparées à la bataille d’Abidjan.

Nicolas Sarkozy peut se vanter d’avoir fait respecter le verdict des urnes. D’avoir amené la démocratie en Côte d’Ivoire. Dans un contexte préélectoral français, l’image est somme toute valorisante. Lors de son séjour ivoirien, le chef de l’Etat est aussi parvenu à rassurer les Français inquiets après dix ans de crise. «La France gardera toujours des forces militaires en Côte d’Ivoire», a-t-il annoncé devant une foule qui l’a chaleureusement applaudi.

Des forces françaises utiles à Ouattara

La contradiction ne viendra pas d’Alassane Ouattara. Ce dernier a plus que jamais besoin des troupes françaises pour stabiliser son pays. Selon la presse ivoirienne, des mercenaires venus du Liberia seraient encore présents en Côte d’Ivoire. Les partisans de Laurent Gbagbo n’ont pas tous désarmé. Qui sait si un jour une rébellion pro-Gbagbo ne pourrait pas voir le jour au Ghana ou au Liberia voisins? En tout cas, les médias abidjanais s’inquiètent.

Autre question brûlante pour Ouattara: peut-il être certain du soutien de toutes ses troupes? Certains «chefs de guerre» ont noué des liens étroits avec Guillaume Soro, l’ex-chef de la rébellion devenu le Premier ministre d’Alassane Ouattara. Face à des troupes à la loyauté incertaine, Alassane Ouattara a tout intérêt à compter sur un maintien de la présence des troupes françaises et de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci).

Alassane Ouattara a souhaité un renforcement de la base française, car selon lui ces troupes sont précieuses dans la lutte contre le «terrorisme». Le contraste est saisissant avec le discours tenu par les autorités ivoiriennes au cours des mois précédents. Le président Gbagbo avait fait des slogans antifrançais l’un de ses «fonds de commerce». Son ministre de la Jeunesse, Charles Blé Goudé, affirmait lors de meetings rassemblant les «jeunes patriotes» que la France préparait un génocide en Côte d’Ivoire. Laurent Gbagbo exigeait la fermeture des bases françaises.

Nicolas Sarkozy lui-même n’avait pas fait mystère de son souhait de fermer ces bases au plus tôt. Il fallait rompre avec les «liens incestueux» de la France avec ses ex-colonies. Il s’agissait d’en finir avec la «Françafrique». Il avait été jusqu’à déclarer à Bamako (Mali) en 2006 que «la France n’avait pas besoin de l’Afrique».

Le chef de l’Etat français semble avoir changé d’avis. Loin de rompre les liens avec les pays du pré-carré, il les a renforcés. Dès son élection à la présidence française en 2007, il a affiché ses liens «d’amitié» avec Omar Bongo, le président du Gabon. Puis, il s’est empressé de reconnaître la victoire électorale de son fils Ali Bongo à la présidentielle de 2010, alors même que les résultats étaient très contestés. Au point que des médias africains se sont demandés si la fraude électorale était plus grave à Abidjan qu’à Libreville. Il est vrai que la famille Bongo n’a jamais caché son affection pour Nicolas Sarkozy et son parti, l'UMP.

Un rôle majeur en Libye

Sur le front libyen, la France aussi joue un rôle majeur. Elle a été l’un des premiers pays à appeler à une intervention militaire pour chasser Kadhafi du pouvoir. De même que Paris fut l’une des premières capitales à reconnaître le Conseil national de transition (CNT).

Si elle intervient, la chute de Kadhafi aura des conséquences énormes dans toute l’Afrique. Celui qui s’était fait proclamer «Roi des rois» par ses pairs africains avait acquis une influence considérable sur tout le continent. En armant des mouvements rebelles, mais aussi en donnant de l’argent aux chefs d’Etat «nécessiteux». Ses pétrodollars lui avaient ouvert la porte de l’Afrique de l’Ouest, notamment des ex-colonies françaises. Son influence était considérable de Niamey (Niger) à Bamako en passant par Ouagadougou (Burkina Faso) ou Cotonou (Bénin).

Kadhafi s’est fréquemment retrouvé en concurrence avec les intérêts français en Afrique, notamment au Tchad. La chute de Kadhafi entraînera une redistribution des cartes: la géopolitique régionale va être bouleversée. Déjà, le président sénégalais, Abdoulaye Wade, a lâché Kadhafi. Il a reçu les représentants du CNT le 19 mai à Dakar.

En contribuant aussi fortement au départ du colonel au pouvoir depuis 1969, la France retrouve un rôle essentiel dans la région. Un rôle de faiseur de roi. Une fonction que beaucoup ne la croyaient plus capable d’exercer en Libye comme en Côte d’Ivoire.

Au cours des derniers mois, Paris a surpris les observateurs de sa politique étrangère. Loin de se désengager du continent, la France y effectue un retour en force. D’Abidjan à Tripoli. Dans les valises de Sarkozy l’Africain.

Pierre Cherruau

 

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Pierre Cherruau

Pierre Cherruau a publié de nombreux ouvrages, notamment Chien fantôme (Ed. Après la Lune), Nena Rastaquouère (Seuil), Togo or not Togo (Ed. Baleine), La Vacance du Petit Nicolas (Ed. Baleine) et Dakar Paris, L'Afrique à petite foulée (Ed. Calmann-Lévy).

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