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J’aime la France et je ne la quitterai pas
Immigration, identité française, laïcité, joueurs de foot binationaux... Le journaliste Christian Eboulé, Français d'origine camerounaise, revient sur ces débats et polémiques qu'il vit au quotidien.
En France, au cours des dix dernières années, l’instrumentalisation outrancière du thème de l’immigration, qui a conduit aux débats récents sur l’identité nationale, ou encore sur l’islam, puis sur la laïcité, n’est que le reflet d’une société malade, voire de plus en plus inhumaine. Et personne ne semble échapper aux replis identitaires, même pas les plus lucides d’entre nous, qui doivent bien souvent s’astreindre à un travail perpétuel d’éveil de leurs consciences.
Je suis noir, né au Cameroun, et la vie a conduit mes pas vers ce vieux et beau pays qu’est la France. Elle m’a ensuite donné une divine compagne, qui est blanche et Française, et qui, après notre mariage, m’a permis de bénéficier des lois de la République et d’être naturalisé. Aujourd’hui, je suis donc Français, j’aime la France et je ne la quitterai pour rien au monde.
Mais je dois avouer que les polémiques incessantes autour des noirs et des Arabes, les controverses à répétition, et, plus globalement, le sentiment d’être les boucs émissaires de tous les maux de la société, tout cela meurtrit nos corps et nos âmes et devient de plus en plus lourd à porter. Alors, vous me direz qu’il y a pire, et, à bien des égards, vous aurez sans doute raison. Ils sont nombreux à travers le monde à risquer leur vie pour venir ici, considérant qu’il vaut mieux être pauvre en France, que miséreux dans son pays. C’est pourquoi il ne faut céder ni à la colère, ni au manichéisme, et encore moins à l’hystérie collective, qui sous-tend parfois les discours antiracistes.
Citoyens de la République
Nous sommes citoyens de la République et donc héritiers de la Révolution française qui nous a notamment légué la Déclaration des droits de l’homme. Il est aussi de notre devoir de rappeler notre attachement à cette Déclaration, et, avec elle, aux dispositions constitutionnelles qui garantissent «l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion». Ce rappel peut sembler dérisoire, tant il est parfois contredit par la réalité. Mais il demeure nécessaire. Non seulement pour des raisons symboliques, mais aussi parce que c’est la réaffirmation de notre appartenance à une même nation.
Je me sens donc pleinement Français. Suis-je pour autant moins Camerounais? Assurément, non! Je n’ai évidemment pas choisi de naître dans un pays, qui dans son histoire récente fut placé d’abord sous protectorat allemand, et ensuite sous tutelle franco-britannique. Je suis donc dépositaire de cette histoire, dont je porte du reste les stigmates. Tout ceci fait de moi ce que je suis, et je ne peux me départir de la moindre parcelle de cette trajectoire, sans me mutiler.
Toutefois, les récentes polémiques autour des quotas dans le football pour les jeunes dits binationaux m’inspirent plusieurs questions –même si je ne suis plus si jeune et que le Cameroun ne reconnaît pas la double nationalité. Devais-je refuser de travailler en France, sous prétexte que c’est au Cameroun que j’ai été formé jusqu’au baccalauréat? Et à l’inverse, dois-je refuser des propositions d’emploi en dehors de la France, au motif que c’est ici que j’ai reçu ma formation supérieure?
Et s’agissant des jeunes Français qu’on dit issus de l’immigration, qui sortent des universités françaises mais peinent à trouver un emploi dans l’Hexagone, faut-il leur interdire l’expatriation à laquelle ils sont souvent contraints, parfois dans le pays d’origine de leurs parents ou de leurs grands-parents, au motif qu’ils ont coûté cher à la République? Mieux, faut-il leur appliquer des quotas pour prévenir une telle fuite de cerveaux? Et auquel cas quelle éducation mon épouse et moi-même devons-nous donner à notre fille qui aura bientôt 5 ans? Dois-je m’abstenir par exemple de lui transmettre la part africaine que je porte, pour faire d’elle une bonne Française?
Loin de m’aveugler ou de m’assourdir, toutes ces interrogations me rendent encore plus sensible aux difficultés auxquelles elles renvoient. Ainsi, je n’ignore pas par exemple que, pour certains, la France est d’abord un pays de blancs. De ce point de vue, l’idée républicaine de la pleine citoyenneté pour tous ne vaut pas plus que le bout de papier sur lequel elle est inscrite. Cette conviction est d’autant plus forte chez celui qui a le sentiment d’être socialement déclassé ou est simplement exposé à un tel risque.
Cette attitude, non seulement je la comprends, mais je suis convaincu qu’à priori, et seulement à priori, nous sommes nombreux sur cette planète à la partager, ne serait-ce que quelques instants au cours d’une vie. Cependant, individuellement et collectivement, nous faisons parfois d’autres choix, comme celui d’œuvrer à l’édification d’une nation. Or, la prise de conscience d’une histoire et d’un destin communs ne suffit pas. La construction d’une nation est d’abord l’adhésion à un même rêve.
Faisons un rêve
Ce rêve peut être la volonté de contribuer à l’avènement d’une humanité meilleure. C’est alors que nous prenons conscience de l’ampleur de notre conditionnement culturel. J’ai, par exemple, affirmé ci-dessus que je suis né Camerounais et ensuite devenu Français.
Eh bien, je réponds là à une norme, qui peut me conduire à saluer un drapeau entouré d’une armée, plutôt que l’humanité dans son ensemble. C’est là l’une des expressions de nos multiples comportements compulsifs. Mais rien ne nous oblige à agir en fonction de nos seuls conditionnements, ou encore de «la programmation» dont nous avons hérité de notre passé et de notre culture.
Avec un peu de chance et beaucoup de volonté, nous pouvons apprendre à vivre pleinement l’instant présent. C’est l’un des moyens de nous libérer intérieurement, de nous délester de nos fardeaux émotionnels, et d’être un peu plus nous-mêmes. Et ici, autant qu’en matière d’antiracisme, ou encore pour ce qui concerne le sentiment de déclassement, l’exhortation est de peu d’effet, voire totalement inutile.
Il nous faut surtout comprendre pourquoi on éprouve tel sentiment ou, plus globalement, que nous avons été programmés, conditionnés. Quand nous déclarons par exemple que nous gagnons bien notre vie, c’est une manière d’avouer que nous avons bien plus que ce dont nous avons besoin pour vivre. Nous incarnons ainsi une société de consommation, qui contribue surtout à renforcer nos conditionnements. Dès lors, nous pensons que le pouvoir, le prestige, le succès, les gains ou encore les honneurs sont la clé du bonheur. La plupart du temps, nous gagnons peut-être le monde, mais nous perdons notre âme, et notre vie reste vide et inhumaine.
Afin de nous débarrasser de ces illusions, il est impératif de changer. Mais il ne s’agit pas simplement de changer nos habitudes, ou de changer par la grâce de beaux idéaux. Le changement dont il est question ici nous engage dans une prise de conscience et une compréhension en profondeur de qui nous sommes et de ce qui nous entoure. Ce n’est qu’à ce prix que nous pouvons recouvrer notre humanité.
Christian Eboulé
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