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Blaise Compaoré au milieu de Laurent Gbagbo (à gauche) et Alassane Ouattara, 27 novembre 2010, Abidjan. REUTERS/Thierry Gouegnon
Blaise Compaoré au milieu de Laurent Gbagbo (à gauche) et Alassane Ouattara, 27 novembre 2010, Abidjan. REUTERS/Thierry Gouegnon

Les troubles au Burkina sont-ils liés à la Côte d’Ivoire?

L’instabilité au Burkina Faso relève moins de la situation en Côte d'Ivoire que des problèmes liés à l’entourage familial du chef de l'Etat Blaise Compaoré, notamment son frère cadet François, le «petit président».

Les troubles au Burkina Faso sont-ils liés à la situation en Côte d’Ivoire? Indirectement, en raison du retour des «diaspos», les Burkinabè de Côte d’Ivoire, et de l’impact économique de la crise ivoirienne. Les plus gros problèmes paraissent bel et bien domestiques, relevant de la famille du Président. Tous les regards convergent en effet vers François Compaoré, le frère cadet de Blaise, et sa «belle-mère» Alizéta Gando.

Pourquoi les troubles au Burkina ont-ils éclaté en février, en pleine crise post-électorale en Côte d’Ivoire? Bien des hypothèses circulent à Ouagadougou, où l’on pointe notamment la présence des «diaspos», ces Burkinabè de Côte d’Ivoire qui travaillent depuis plusieurs générations dans les plantations de cacao ou exercent des petits métiers en ville. Ils se sont repliés sur le Burkina depuis 2002, poussés par les crises politiques à répétition en Côte d’Ivoire. Mais au «pays des hommes intègres», ces semi-Ivoiriens se font mal voir. «Certains sont de tous les trafics, jusqu’au blanchiment d’argent sous couvert de projets immobiliers», accuse un chef d’entreprise burkinabè, sous couvert d’anonymat - signe d'un climat pour le moins tendu, aucun de nos interlocteurs ne voudra être nommé, malgré l'impression de liberté d'expression donnée à l'étranger par le Burkina Faso. Les «diaspos» ont aussi été recrutés dans l’armée, avec un niveau d’instruction perçu comme inférieur à la norme. Aucun chiffre n’est disponible sur leur importance dans la troupe, où ils seraient majoritaires, selon un journaliste burkinabè.

Les «diaspos» ont importé de Côte d’Ivoire une vision et des attitudes qui tranchent avec les habitudes paisibles du Faso. «Le recours à la violence pour manifester son mécontentement paraît tout à fait inhabituel, dans un pays très hierarchisé, où la notion de respect est importante et où il n’y a pas de contestation de l’autorité», note un analyste politique ouest-africain.

La main de Laurent Gbagbo?

Les mutineries militaires et les pillages auxquels se sont livrés les soldats ont également fait naître le soupçon d’une manipulation de Laurent Gbagbo. L’ex-président ivoirien aurait-il cherché à rendre la monnaie de sa pièce au président burkinabè Blaise Compaoré, indéfectible allié d’Alassane Ouattara? Aucun élément ne permet pour l'instant d’étayer cette hypothèse.

«Il paraît assez mystérieux que la garde présidentielle ait participé à la fronde, relève un observateur du jeu politique burkinabè, mais pour l’instant, le rôle de Gbagbo fait l’objet de simples rumeurs. On voit mal comment un ou deux politiciens proches de Gbagbo auraient pu préparer les choses, financer des soldats et des officiers en vue d’un soulèvement».

Le principal problème du Burkina Faso paraît bel et bien domestique. Il remonte à l’affaire Norbert Zongo, du nom d’un journaliste assassiné le 13 décembre 1998. L’ancien directeur de publication de L’Indépendant enquêtait sur la mort mystérieuse de David Ouedraogo, le chauffeur de François Compaoré, frère cadet et conseiller économique du président. Le corps de Norbert Zongo a été retrouvé calciné dans un véhicule, avec ceux de trois proches, sur la route de Sapouy, à une centaine de kilomètres au sud de Ouagadougou. Ce qui devait passer pour un accident n’a leurré personne. L’assassinat a provoqué un vif émoi et des manifestations à Koudougou, la ville natale de Norbert Zongo. Face au mécontentement, Blaise Compaoré a laissé la justice enquêter. En sept ans d’instruction, un seul suspect est inculpé. Sans suites, puisqu’un témoin se rétracte. Le procès Zongo se termine en queue de poisson sur un non-lieu, en juillet 2006.

François Compaoré s’en sort plutôt bien: il est d’abord inculpé en janvier 1999 de «meurtre et recel de cadavre» par la cour d’appel de Ouagadougou, qui se déclare ensuite incompétente. Le dossier est renvoyé auprès d’un tribunal militaire qui ne retient aucun chef d’inculpation. Du coup, un climat d’impunité s’est installé dans le pays. François Compaoré, agroéconomiste de formation, amateur de football et peu charismatique, est resté dans le collimateur de l’opinion. Et ce, d’autant plus qu’il incarne une élite mafieuse devenue de plus en plus «bling-bling», ne se gênant pas pour faire étalage de ses richesses dans la cité de Ouaga 2000. Une bourgeoisie qui monopolise les contrats, à la fois très proche et très protégée par Blaise Compaoré, ancien capitaine putschiste élu en 1991 et réélu trois fois depuis.

Le «petit président» et sa belle-mère

Symptôme du malaise ambiant: les rumeurs qui circulent sur «la belle-mère», comme tout le monde l’appelle à Ouaga. Mama Alizeta Gando, 58 ans, n’est pas seulement mère de Salah, l’épouse de François Compaoré. Cette femme d’affaires en vue, active depuis longtemps dans le cuir et les peaux, à la tête de sa société Tan-Aliz, est devenue une entrepreneuse incontournable du BTP. Mariée à Tahéré Ouedraogo, un député du parti au pouvoir, elle occupe désormais une position dominante dans l’immobilier.

Ses liens avec son gendre, François Compaoré, 57 ans, font d’autant plus polémique qu’on prête à ce dernier des ambitions présidentielles. Nul ne sait s’il se portera candidat ou non à la succession en 2015. Blaise Compaoré ne pourra pas, en principe, briguer de nouveau mandat, en raison de l’article 37 de la Constitution sur la limitation des mandats. «Tout ce qu’on sait, c’est que Blaise passe par lui pour brouiller le débat politique», note un Burkinabè travaillant dans la communication.

En dehors de son statut de «petit président», le surnom que la presse lui a donné, François Compaoré est le parrain de la Fédération associative pour la paix et le progrès avec Blaise Compaoré (Fedap-BC). Cette association, fondée en avril 2008, se veut apolitique mais comme son nom l’indique, soutient avec ardeur le président. François Compaoré mène notamment au sein de cette association l’influent groupe des «amis de Blaise». Du coup, les gens n’arrivent plus à se positionner dans le parti au pouvoir, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), qui éprouve par ailleurs un problème de financement. Les opérateurs économiques se sont en effet reportés sur l’association de François Compaoré, vers laquelle affluent tous les dons. Seul problème: le petit frère s’est bien gardé de se déclarer ouvertement comme successeur, sachant qu’il n’est pas soutenu par l’armée, qui reste la pièce maîtresse du jeu politique burkinabè.

Le mécontentement des militaires

Si François Compaoré s’est si bien tiré d’affaire dans le dossier Norbert Zongo, il n’y a pas de raison, du point de vue des militaires, qu’on les condamne juste parce qu’ils ont corrigé un civil pour une histoire de femme —le point de départ des récentes mutineries. «Dans l’armée, de mauvaises habitudes se sont installées, avec des officiers très bien payés qui sont aux commandes depuis très longtemps et qui sont coupés de la base, très mal payée», note un journaliste à Ouagadougou. Le malaise se serait aggravé avec les missions de l’Union africaine (UA) au Darfour, au Soudan. Les militaires burkinabè, restés en contact avec leurs camarades maliens et sénégalais, savent qu’ils gagnent trois fois moins que ces derniers pour les mêmes missions à l’étranger. Ils se demandent à quel niveau de leur hiérarchie militaire les détournements d’argent peuvent se faire. Il existerait même, au Burkina, un véritable marché, avec des places tarifées, pour pouvoir participer à ces missions mieux payées que la solde ordinaire.

«La fracture au sein de l’armée reflète un gouffre plus général, au sein de la société, entre ceux qui triment et ceux qui s’en mettent plein les poches, des gens liés à la famille présidentielle ou proches du pouvoir, note un analyste politique. Ceux qui veulent travailler honnêtement ne s’en sortent pas s’ils ne font pas allégeance au pouvoir. Les jeunes diplômés n’ont pas la marge de manoeuvre qu’ils souhaiteraient, toutes les affaires étant plus ou moins contrôlées par les élites au pouvoir.»

Les mêmes causes risquent-elles de produire les mêmes effets, avec un problème de succession qui fait penser à ce qu’est devenue la Côte d’Ivoire après Félix Houphouët-Boigny? Réponse d’un Burkinabè, toujours sous couvert d'anonymat:

«Le Burkina, ce n’est pas un type intelligent et des millions d’abrutis. Quand les Burkinabè pensent qu’il n’y a personne pour remplacer Blaise, ils s’insultent eux-mêmes».

Un facteur paraît souvent sous-estimé dans la coïncidence troublante des évènements burkinabè et ivoiriens: l’impact économique des cinq derniers mois de crise politique ivoirienne au Burkina. Le pays sahélien, enclavé, dépend étroitement du port d’Abidjan et du moteur économique que représente la Côte d’Ivoire. Dans un contexte déjà difficile, les problèmes se sont accumulés, rendant le moindre incident susceptible d’être la goutte d’eau qui fait déborder le vase.

Anne Khady Sé


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Anne Khady Sé

Journaliste sénégalaise, spécialiste de l'Afrique de l'Ouest.

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