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Charles Konan Banny, l'homme de la réconciliation
L'ancien Premier ministre de Laurent Gbagbo a été chargé par Alassane Ouattara de présider la Commission qui devra réconcilier la Côte d'Ivoire.
Charles Konan Banny, «CKB», a une haute opinion de lui-même. Il en était même arrivé à rêver d’élection présidentielle. Le voilà enfin président, mais pas de la République; président de la Commission dialogue, vérité et réconciliation qu’Alassane Ouattara, le nouveau chef de l’Etat ivoirien a mise sur pied le 1er mai 2011.
Cette nomination est un os à ronger pour le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (le PDCI, celui d’Henri Konan Bédié, le successeur de Félix Houphouët-Boigny à la présidence de la Côte d’Ivoire) qui, pour cause de perturbations postélectorales, vit s’évaporer, fin 2010, une promesse de primature. Primature qu’occupa d’ailleurs Charles Konan Banny de 2005 à 2007. Son prédécesseur, Seydou Elimane Diarra, lui aura démontré qu’il est facile d’échouer dans l’organisation d’un Forum de réconciliation. Son successeur, Guillaume Soro, lui aura damé le pion en pilotant un gouvernement cahoteux dans un contexte chaotique.
Né en 1942, Charles Konan Banny est le fils d’un intendant-général. Ses études l’orientent progressivement vers l’économie et la gestion. Lorsque souffle, en 1968, le vent de la contestation estudiantine francophone, le bon élève sort diplômé de l’Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales. Après un passage à la stratégique Caisse de stabilisation et de soutien des prix des productions agricoles en Côte d’Ivoire, il rejoint, en 1970, l’Organisation interafricaine du café. Il en sera secrétaire général adjoint puis secrétaire général.
CKB le banquier
C’est le secteur bancaire qui permettra à la carrière de Banny d’exploser. Et singulièrement la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (Bécéao), qu’il intègre dès 1976. Il en sera directeur national puis gouverneur par intérim, entre 1990 et 1993, lorsque son prédécesseur, Alassane Ouattara, «ADO», sera appelé par Félix Houphouët-Boigny au poste de Premier ministre. Confirmé gouverneur de la Bécéao le 1er janvier 1994, Konan Banny ne quittera la Banque que pour suivre, une fois de plus, les traces d’ADO. En décembre 2005, Laurent Gbagbo le nomme Premier ministre d’une Côte d’Ivoire coupée en deux.
Comme gouverneur de banque, CKB aura affronté la tempête dite du Fonds d’Actions communautaires de l’Union monétaire ouest-africaine que le président sénégalais Abdoulaye Wade lui reprochera d’avoir créé sans respecter toutes les procédures. Comme Premier ministre, il subira le scandale du Probo Koala, l’affaire des déchets toxiques déversés en Côte d’Ivoire dans la nuit du 19 au 20 août 2006. Le bilan de la catastrophe environnementale sera de 10 morts, 69 hospitalisés et 7.000 intoxiqués. Bien qu’un temps démissionnaire, le Premier ministre Konan Banny y survivra.
À l’heure où les rues d’Abidjan sont jonchées moins de fûts que de cadavres, CKB saura-t-il faire mieux que Seydou Diarra dans cette quête de cohésion nationale? Ce dernier avait tout de même réussi à réunir Henri Konan Bédié, Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara et Robert Guéï au Forum national de réconciliation qui se tint d'octobre à décembre 2001.
Charles Konan Banny arrive à l'Elysée, à Paris, le 11 avril 2006. REUTERS/Emmanuel Fradin
Réconcilier la Côte d’Ivoire
Pour trouver la juste voie qui permettra de recoller les morceaux d’une Côte d’Ivoire émiettée, Konan Banny a rencontré début mai à Abidjan Desmond Mpilo Tutu, qui présida la miraculeuse Commission sud-africaine de la vérité et de la réconciliation. «Il n’y a pas de solution miracle», insista l’archevêque. On se rappelle le professeur Dano Djédjé, ministre de la Réconciliation durant les années 2000, qui s’était attelé à panser les plaies en organisant une kyrielle de cérémonies où d’anciens belligérants fumaient le calumet de la paix. Le regain de violence de ces derniers mois invite à une méfiance constructive. La Côte d’Ivoire n’est pas l’Afrique du Sud, et Ouattara n’est pas Mandela.
La Commission dialogue, vérité et réconciliation devra aborder les sujets qui minent la coexistence «ivoiro-ivoirienne»: l’identité nationale, la place des immigrés, les règles en matière de propriété foncière, les crimes perpétrés depuis une bonne dizaine d’années. Konan Banny devra faire preuve d’une grande inventivité et d’une sagesse hors norme.
Et après?
Si Banny réussit le pari de la réconciliation pendant que Soro réussit celui de la sécurisation du pays, le premier pourrait bien remplacer le second à la tête du gouvernement. Alassane Ouattara aurait l’intention de confier à CKB la relance économique et la reconstruction postcrise. Une manière de s’assurer les services d’un brillant entre les brillants, de capter sa notoriété et sa popularité dans le landernau économique et le gotha politique internationaux; peut-être aussi une façon de lui plonger les mains dans le cambouis. Konan Banny fut gouverneur de la Banque centrale comme Ouattara. CKB fut Premier ministre comme ADO. Pourquoi ne tenterait-il pas, à son tour, d’accéder à la magistrature suprême de la Côte d’Ivoire?
Si la configuration nationale actuelle se confirmait lors d’un prochain scrutin présidentiel, nul doute que l’actuel locataire du palais présidentiel aurait plus à craindre de sa propre mouvance politique que des fantômes du pouvoir Gbagbo. ADO pourrait être pris en tenaille entre un clone technocrate vieillissant et un ex-rebelle encore vert…
Tant qu’il sera au service d’Alassane Ouattara, le septuagénaire Charles Konan Banny hésitera peut-être à reprendre le flambeau présidentiable d’un Henri Konan Bédié dont il a pourtant déjà la silhouette. Ne lui prête-t-on pas une tentative d’OPA sur le Parti Démocratique de Côte d'ivoire/Rassemblement démocratique Africain (PDCI-RDA) quelques mois avant la dernière présidentielle?
Ne réveillez pas un politicien qui dort… ni un banquier ambitieux.
Damien Glez
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