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Coupe d’Algérie: le match tendu de Bouteflika
Dimanche 1er mai 2011, l'équipe de football kabyle affrontait les Harrachis en finale. Les supporters des Canaris ont profité de la présence du président Bouteflika pour exprimer leur ras-le-bol.
Le président algérien Abdelaziz Bouteflika accomplirait son dernier mandat. Il serait même possible qu’il ne le termine pas. Non, aucun discours politique ni aucun informateur n’est à l’origine de cette annonce. Il est même certain que tous les Algériens ne sont pas au courant de cela, sauf… les amateurs de football.
Au lendemain de la finale de chaque Coupe d’Algérie, les amoureux du ballon rond se souviennent que tous les présidents qui ont remis le trophée à la Jeunesse Sportive de Kabylie (JSK) ont cédé le pouvoir, dans les deux ans, parfois de manière tragique comme Houari Boumédiène, décédé dans des circonstances obscures en 1978, et Mohammed Boudiaf assassiné le 29 juin 1993.
Nul besoin de rappeler que Chadli Bendjedid et Zeroual sont restés à leur poste pendant quatre ans après les troisième et quatrième coupes de la JSK de 1986 et 1994. Le public sportif vous expliquera que le premier n’avait plus aucun pouvoir après la révolte d’octobre 88 et que le second venait d’être nommé à la tête du Haut Comité d’Etat (HCE) avant d’occuper la fonction de président en novembre 1995.
Faute de comprendre une vie politique toujours dirigée par des militaires invisibles, les jeunes algériens essaient de lire l’avenir dans la Coupe d’Algérie comme d’autres le feraient dans une boule de cristal. Et pour cause, le football est un événement politique comme un autre dans ce pays où seuls les stades continuent d’attirer les grandes foules qui font trembler le régime au point de chercher à les manipuler.
Des incidents organisés
Le dimanche 1er mai s’est déroulée la 47e édition du titre. Au terme d’un match inégal, la JSK a gagné la cinquième coupe de son histoire. C’est lors d’une première mi-temps très disputée que le club le plus titré d’Algérie a inscrit l’unique but de la partie avant de verrouiller complètement le jeu, ne laissant à l’équipe adverse de l’Union Sportive de la Médina d’El Harrach (USMH) que la vaine opportunité de faire circuler la balle sur le terrain.
Malgré le fair-play qui a caractérisé les joueurs des deux équipes, la fête sportive a été entachée d’incidents à l’intérieur et à l’extérieur du Stade du 5-Juillet à Alger. Des incidents savamment orchestrés par les forces de sécurité, mais bien moins graves que ce que laissait présager la situation politique actuelle en Algérie, où souffle un vent de contestation du régime depuis le début de l’année.
Si l’on se fie aux récits de personnes présentes sur place, on serait tenté de croire que les autorités algériennes, les forces de l’ordre et les organisateurs de la rencontre ont tout fait pour générer un conflit entre les supporters des deux clubs. Un fan de la JSK raconte sous couvert d’anonymat:
«Nous avons subi huit fouilles avant d’accéder à l’espace de la rencontre. Les drapeaux berbères nous étaient enlevés. Pour en introduire quelques-uns dans le stade, nous les avons enroulés sur nos corps et sous nos habits. Arrivés dans les gradins, nous avons trouvé les supporters adverses avec des couteaux. Cela veut dire qu’ils n’ont pas été fouillés alors que des Kabyles ont été arrêtés parce qu’ils avaient des fumigènes.»
Les fans des Canaris n’étaient pas au bout de leurs (mauvaises) surprises:
«Les tensions entre les deux groupes ont commencé quand les forces de l’ordre ont installé des Harrachis dans nos gradins. C’est à cause de cela qu’il y a eu des affrontements. C’était de la provocation!»
Dos tourné au président
Les affrontements entre supporters devaient occuper les esprits pour que la présence d’Abdelaziz Bouteflika passe inaperçue aux yeux d’une jeunesse très remontée contre lui. Mais le chef de l’Etat n’en est pas sorti indemne: dès son entrée sur le terrain pour rencontrer les deux équipes, il est sifflé et hué par des gradins surchauffés. Visage renfrogné et crispé, l’homme de 74 ans n’a pas pu cacher sa colère. Lorsque l’hymne national a été entonné, les Kabyles avaient carrément tourné le dos au stade et scandaient à tue-tête «Imazighen, Imazighen» («Berbères, Berbères»).
«Ce n’était pas du mépris pour notre hymne, nous dit le même interlocuteur, mais un message politique adressé à Bouteflika pour dénoncer notre isolement dans l’histoire du pays.»
Si la plupart des titres de la presse algérienne n’ont pas rapporté ces incidents, le quotidien arabophone Ennahar, proche des militaires, en fait un événement qui arrange sa guerre contre le Premier ministre et titre: «Les supporters ont salué avec force Bouteflika et demandé la départ d’Ouyahia». Quant à la réaction kabyle durant l’hymne national, le même quotidien attribue, sans aucune preuve, son initiative à Saïd Sadi, le leader du parti de l’opposition le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD).
Culte de la personnalité
Mais la journée n’aura pas été complètement noire pour Abdelaziz Bouteflika. Il aura sans doute apprécié de découvrir l’ensemble de l’équipe d’El Harrach porter, avant et après le match, un maillot noir arborant son portrait. Le staff technique de l’équipe algéroise a agi de manière à caresser dans le sens du poil le narcissisme d’un président hyper-nationaliste. Du côté des gradins, «les éléments de la protection civile», d’après le présentateur du match sur Canal Algérie, ont brandi un portrait géant du président et levé des dizaines de drapeaux algériens.
Pendant ce temps, les supporters de l’USMH, menée au score, ont changé de discours et opté pour des slogans pro-Bouteflika —non par sympathie pour le dirigeant qu’ils avaient conspué quelques minutes auparavant, mais pour narguer l’équipe adverse. Lors de la remise du trophée, la voix de Freddie Mercury et son We Are The Champions alternait avec celle de Cheb Mami, grand ami et défenseur de Bouteflika, qui interprétait un chant à la gloire de l’Algérie.
La Coupe d’Algérie 2011 a ainsi vu sur le terrain deux matchs simultanés. Le premier a opposé deux clubs de football. Le deuxième a mis face-à-face les supporters et un chef de l’Etat soutenu par les organisateurs de la rencontre et par le staff technique de l’USMH. Abdelaziz Bouteflika a compris l’enjeu politique de la rencontre au point de s’attarder plus que de rigueur —et devant les caméras— avec les joueurs kabyles en fin de match, les embrassant et riant avec eux, ainsi qu’avec le président du club qui lui a offert un maillot signé par tous ses joueurs.
Pour les téléspectateurs, l’unité nationale est sauve. Et quand les Canaris sont redescendus dans le stade pour un tour d’honneur avec la Coupe, du haut des gradins officiels Bouteflika a posé sur eux un regard gracieux accompagné d’un sourire paternaliste. Encore une fois, le public ne sait toujours pas comment interpréter une telle condescendance.
Ali Chibani
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