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Manifestation en soutien à Meriem, violée par deux policiers, Tunis le 2 octobre 2012. FETHI BELAID / AFP
Manifestation en soutien à Meriem, violée par deux policiers, Tunis le 2 octobre 2012. FETHI BELAID / AFP

Le lourd poids des traditions sur la femme tunisienne

Accusée d’atteinte à la pudeur après avoir été violée, Meriem raconte dans un livre son expérience de jeune Tunisienne confrontée aux traditions.

Ces mots jetés sur une page blanche sont ceux de Meriem, la jeune fille qui a été violée dans la nuit du 3 au 4 septembre 2012 par deux policiers, à Tunis.

Accusée d’atteinte à la pudeur avant que sa cause ne soit défendue, elle raconte dans un livre Coupable d’avoir été violée, son expérience de jeune Tunisienne ordinaire confrontée aux traditions qui se sont retournées contre elle.

«Si seulement j’avais pu naître homme…» Cette phrase, Meriem la lance deux fois. La première lorsqu’elle avoue à son fiancé avoir été violée, une autre fois, vers la fin du livre, lorsque le calvaire juridique touche presqu'à sa fin. Il y a des livres que l’on n’oublie pas. Celui de Meriem, qui utilise un pseudonyme et cache son identité, est à marquer dans l’histoire de la femme tunisienne.

«Ce livre, c’était surtout parce que j’avais besoin de parler. Mais j’aimerais qu’il serve à d’autres filles.» dit-elle.

A Paris, un jour de printemps, Meriem parle doucement, le regard franc mais inquiet. Les cheveux lisses et brillants, la peau très blanche, Meriem est un petit bout de femme qui fait bien moins que son âge, vingt huit ans. Sa voix est faible mais elle s’anime, lorsqu’il s’agit de défendre un combat qu’elle a dû mener seule, avec son fiancé, surnommé Ahmed dans le livre. La journaliste du Parisien, Ava Djamshidi, l’accompagne ce matin-là et a écrit le livre avec Meriem. Pour elle, l’idée était de la faire témoigner mais aussi de montrer que malgré les acquis de la femme tunisienne, certains préjugés perdurent:

«Je pense qu’en tant qu’Occidentaux nous avons une vision un peu idéaliste de la femme tunisienne, que l’on dit libérée, alors que, en fait, il y a encore des tabous et des traditions qui mettent un frein à cette liberté.»

Parler et écrire

Noir sur blanc, la jeune Meriem parle et dénonce: elle dénonce les deux viols dont elle a été victime, mais aussi le système qui peine à changer depuis la révolution et dont les tabous sont plus forts que tout. Ce n’est pas par hasard si la jeune anonyme a pris le nom de Meriem pour se dissimuler aux yeux de tous. Meriem symbolise la virginité dans le Coran et comme elle l’écrit, «Je ne serai plus la fille qui s’est faite violer» mais «Meriem».

Cette image de jeune fille violée, Meriem la porte avec difficulté et ne peut l’assumer. «On sait comment les filles violées sont traitées.» «Menteuse», ou «elle l’a cherché», ces accusations, Meriem les subit de partout, aussi bien lorsqu’elle va déposer sa plainte au commissariat que lorsqu’elle est confrontée à ses agresseurs.

C’est sans doute la raison pour laquelle une procédure judiciaire ne suffit pas. Le livre permet de dénoncer haut et fort des préjugés qui font qu’une femme violée peine à être reconnue comme victime mais surtout qu’elle perde son honneur aux yeux de tous dès lors qu’elle est «souillé» comme le cite Meriem.

Le récit d’une Tunisienne comme les autres

Sans entrer dans les détails du viol, le livre touche par sa pudeur, à l’image de Meriem dont la personnalité apparaît au fil du témoignage.

C’est l’histoire d’une jeune fille ordinaire qui part avec son fiancé un soir à la Marsa pour dîner chez Baguette et Baguette et se retrouve prise au piège sur le chemin du retour. Comme beaucoup de filles de son âge, elle voit son amoureux en cachette et sa voiture qu’elle emprunte à sa sœur, lui permet cette liberté. Chacun a ses problèmes, ses tracas. Lui, un travail prenant auquel il s’accroche pour éviter le chômage, elle, un diplôme en poche, mais des difficultés à trouver un emploi. Ils vivent une relation à distance, car Ahmed est parti travailler à Sfax.

Meriem a tout de la Tunisienne que l’on croise dans les rues de Tunis. Elle doit vivre chez ses parents jusqu’au mariage et doit attendre qu’Ahmed demande à les rencontrer pour officialiser leur relation. Lors des élections, elle suit comme tout le monde les évènements, partage l’exaltation de ses amis et va manifester. Comme beaucoup, elle regarde les changements que vit le pays avec le nouveau parti au pouvoir.

Avec lucidité, elle n’est pas dupe des problèmes qui persistent après la révolution. Elle s’inquiète également de sa sécurité en tant que femme dans un Etat où la «police est gangrénée par la corruption.» D’ailleurs quand elle aperçoit les policiers le soir où tout bascule, elle sait qu’ils réclameront de l’argent d’une façon ou d’une autre. Mais elle ne s’attend pas à ce que deux d’entre eux l’agressent sexuellement pendant que le troisième fait pression sur Ahmed pour retirer de l’argent dans un distributeur.

Ce livre est avant tout un témoignage qui doit toucher non seulement les Tunisiennes mais aussi toutes les femmes victimes de viol. La journaliste et Meriem ont donc écrit avec l’aide d’une traductrice ce témoignage depuis Tunis.

Seule face à aux tabous

Un simple dîner et un baiser se transforment pour les juges et les policiers en une «atteinte à la pudeur », une rengaine qui revient aussi bien dans les jugements d’amis au café que dans les mots du ministre de la Justice, à l’époque. Pourtant, Meriem respecte les tabous et les traditions quand elle parle de sa relation avec son fiancé, de son souci à préserver sa famille du scandale car comme elle l’écrit :

«J’ai beau me considérer comme une femme libre, pas question de les transgresser.»

Mais elle souligne aussi une «hypocrisie » générale qui rend la jeunesse presque schizophrène dans cette tentative de faire cohabiter sa propre liberté et le poids des traditions.

«Il y a une liste longue comme le bras d’interdits pour les femmes. Rien n’est écrit mais tout le monde les connaît», relate-t-elle. Et, plus loin, «ce n’est écrit dans aucun livre, pire, c’est inscrit en nous.»

Meriem n’émet aucun jugement mais parle de tout. Le tabou de la sexualité, l’honneur, cette notion qui maintes fois, la fait douter lorsqu’elle commence sa procédure judiciaire et surtout la «virginité». De son premier avocat aux pires commérages, chacun n’hésite pas à poser la question fatidique: savoir si Meriem était «vierge» au moment des faits.

Quand elle évoque ses souvenirs d’enfance et sa vie familiale, on se rend compte que ce n’est pas seulement la personne qui a été atteinte, mais un équilibre, des repères. Elle évoque des parents aimants et une grand-mère décédée à qui elle aurait pu tout confier. Ses sœurs, les premières à être mises dans la confidence tentent de l’aider mais celle que Meriem craint le plus, c’est sa mère. Par peur du tabou mais aussi du chagrin que cela peut lui causer, Meriem ne lui avouera jamais ce qu’il s’est passé. C’est une cousine qui lui apprendra la vérité.

En parlant de son expérience, Meriem met aussi à jour le poids des tabous avec lesquels elle tentait de vivre même avant son viol. Encore aujourd’hui, la jeune fille ne veut pas dévoiler son identité par égard pour son père et son frère.  Mais ce sont aussi d’autres petits tracas de la vie quotidienne qui révèlent la pression qui pèse sur ses épaules. Le fait de devoir mentir pour aller voir son fiancé, l’obsession de la virginité, et l’honneur, surtout, patriarcal, à préserver coûte que coûte.

Le combat contre un système

La première peur de Meriem après son viol, est que son fiancé la quitte. Or, il restera avec elle et ce sera lui qui insistera pour qu’elle porte plainte. La deuxième partie du livre relate ainsi les obstacles médicaux, juridiques et culturels auxquels les deux amoureux doivent se confronter. Quand on lit que Meriem doit faire au moins trois hôpitaux avant d’en trouver un qui veuille bien s’occuper d’elle la nuit de son agression, les jours passés entre le commissariat et le tribunal et surtout les mots, jamais rassurants ou réconfortants qui lui sont jetés à la figure dès lors qu’elle décide de porter plainte, on perçoit mieux la décision du juge qui commet l’erreur de la convoquer en tant qu’accusée et non pas victime. Tout le système lui dénie d’une façon ou d’une autre son statut de victime.

Des slogans lors d'une manifestation en soutien à Meriem. Crédits photos: Amine Boufaied

Médiatiser et partir

S’ensuit alors une médiatisation internationale qui fait dire à Meriem

«mon drame n’était plus un simple fait divers, c’était une tragédie nationale.» Malgré la notoriété soudaine du cas de Meriem, qui parvient à garder son anonymat, celle-ci avec le recul, ne regrette pas. «Cela m’a aider d’une certaine façon, la médiatisation, c’était une forme de protection.»

Et pourtant, elle fait tout pour que son père ne fasse pas le lien entre elle et cette fille dont tout le monde parle. «Il ne mérite pas ça et il ne supportera pas le regard des autres», déclare-t-elle, avec tristesse.

A l’approche de la première comparution devant le juge de ses agresseurs (le lundi 29 avril),  Meriem a décidé de partir vivre en France avec son fiancé. Elle craint les représailles de la famille des policiers qu’elle a accusés.

«C’est une douleur pour moi de partir», dit celle qui écrit dans son livre que son premier voyage sera finalement un «exil». Malgré sa taille menue et frêle, Meriem dégage une certaine force, notamment dans son regard. Rien ne semble l’arrêter désormais pour obtenir que la justice fasse son travail.

Soutenue par l’Association des femmes démocrates et défendue par l’avocate Radhia Nasraoui, la jeune femme attend désormais le procès de ses agresseurs de pied ferme. Ce livre que la journaliste a écrit avec elle pour une visée «informative», Meriem le voit aussi comme un aboutissement. Une façon de laisser une trace pour éviter que son histoire soit passée sous silence. Elle espère une traduction en arabe afin de toucher un maximum de jeunes filles.

Lilia Blaise

*Coupable d’avoir été violée, de Meriem Ben Mohamed et Ava Djamshidi, Parution le 25 avril aux éditions Michel Laffont

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Journaliste à SlateAfrique

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