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Juba danse sur un air d’indépendance
Le Sud-Soudan vient de voter son indépendance à 99%. Un climat de fête règne à Juba, la capitale. Même si une âpre négociation va commencer avec le régime de Khartoum. Reportage.
Qu’est-ce qui peut pousser des milliers de Sud-Soudanais à danser à Juba, la capitale de la région, sous le soleil de midi et alors que le mercure frôle les 40 degrés? L’annonce de l’indépendance de leur pays.
Une indépendance gagnée sans coup férir dans les urnes. Les Sud-Soudanais ont décidé de se séparer du Nord à 99,57% lors du référendum d’indépendance qui s’est tenu du 9 au 15 janvier 2011. Ces résultats préliminaires ont été annoncés dimanche dernier, le 30 janvier.
«Ceux qui ont voté pour la séparation du Sud-Soudan étaient 3.697.467. Et le pourcentage est… Le pourcentage est… 99,57%!»
99,57%. Un score digne d’un plébiscite du Second Empire. Dans le nord du Soudan, les sudistes installés là-bas ont voté pour l’indépendance à 58%. La diaspora, qui pouvait voter dans huit pays (Etats-Unis, Australie, Canada, Grande-Bretagne, Egypte, Ethiopie, Ouganda et Kenya), a choisi la séparation à 99%. Pour en finir avec les chiffres, les électeurs devaient être plus de 60% à voter pour valider le scrutin. Ils ont été plus de 99% à accomplir leur devoir citoyen.
«L’un des jours les plus importants de ma vie»
Pour prévenir toute suspicion, Chan Reek Madut, le responsable de la commission en charge du référendum du Sud-Soudan, assure que le déroulement du scrutin a été validé par les différents observateurs internationaux présents (UE, Américains, Japonais, etc.). Précaution inutile. Son discours est couvert par les clameurs et les chants de joie des Sud-Soudanais présents.
«C’est l’un des jours les plus importants de ma vie», affirme Malis Mani Roman. Malgré son costume élimé et sa casquette poussiéreuse, Gordon Mabior Lual en impose du haut de ses deux mètres et ses 73 ans. Que lui inspire cette journée historique pour le Sud-Soudan? Pour toute réponse, il soulève sa canne et la tient comme un fusil:
«Je me suis battu pour le sud dès 1955 [début de la première guerre civile entre le Nord et le Sud du Soudan, alors encore sous domination égyptienne]. Maintenant, je suis très heureux, surtout pour mes enfants et mes petits-enfants.»
«Heureux». Les milliers de Sud-Soudanais présents au mémorial John Garang —du nom du leader historique des indépendantistes sudistes— ont tous ce mot à la bouche. Avec des variations toutefois.
«Sortir de la charia»
Casquette à l’envers, vêtements amples, Manuel Simon est «heureux» car le Sud-Soudan va enfin «connaître la paix». Le jeune homme de 18 ans espère que son premier passage dans l’isoloir sera signe d’une longue période de calme et de prospérité pour «son pays». Kol Atem est «heureux» également. Mais sa joie est teintée d’un sentiment de revanche anti-musulman: «Maintenant, ce qu’on veut, c’est sortir de la charia [qui n’a en fait jamais été vraiment appliquée au Sud].» Depuis la création du Soudan en 1956, les centaines de tribus africaines du sud (Dinka, Nuer, Shilluk…) se sont toujours senties comme des citoyens de seconde zone comparés aux arabes musulmans du nord.
Peu après l’annonce de la victoire écrasante du «oui» à l’indépendance, le président de ce qui est encore la région semi-autonome du Sud-Soudan, Salva Kiir Mayardit, prend la parole —alternant anglais et arabe— pour lancer un appel au calme.
«Le peuple doit rester patient jusqu’à l’indépendance totale soit déclarée (…) Que pensez-vous que je vais faire ici? Que je vais déclarer ici l’indépendance du Sud-Soudan? Mais nous ne pouvons pas faire ça. Nous devons respecter les accords. Nous allons doucement pour rejoindre notre destination.» explique-t-il.
Certes, les urnes ont parlé mais ce n’est officiellement que le 9 juillet que le Sud-Soudan deviendra officiellement le 54e Etat africain, le 193e pays du monde. D’ici là, nombre de points de friction doivent être réglés entre le Nord et le Sud. Les quelques 2000km de frontière n’ont, par exemple, toujours pas été clairement définis, notamment dans les régions sensibles d’Abyei, riche en pétrole, du Nil bleu et du Kordofan du Sud. Le sort futur des nordistes du Sud-Soudan et des sudistes encore installés au nord inquiètent aussi la population.
Après son discours d’une vingtaine de minutes, le dirigeant sud-soudanais s’est envolé directement pour Addis Abeba, la capitale éthiopienne, pour assister au 16e Sommet de l’Union africaine. Omar el-Béchir, le président soudanais, y sera présent.
Manifestation à Khartoum
Le Nord et son président Omar el-Béchir… les habitants de Juba ne veulent pas en parler directement. Ce dimanche est leur jour. Et pourtant...
Au moment où Salva Kiir (le dirigeant du Sud-Soudan) monte à la tribune, les policiers de Khartoum répriment une manifestation, principalement composée d’étudiants qui appellent à la démission du gouvernement. Une action davantage en lien avec les mouvements qui se tiennent actuellement dans les autres pays arabes (Tunisie, Egypte, Yémen…) qu’avec la «perte» du sud.
Mais si Omar el-Béchir, qui a promis lors de sa venue à Juba au début du mois d’être le premier à reconnaître le Sud-Soudan, venait à quitter le pouvoir, les dirigeants sudistes devraient composer avec de nouveaux interlocuteurs. Sans connaître les intentions de ces derniers…
Le ministre du Développement international norvégien, Erik Solheim, le comprend bien. Seul représentant étranger invité à prendre la parole, il insiste sur le rôle positif joué par Omar el-Béchir —sous le coup d’un mandat d’arrêt international— dans le bon déroulement de ce référendum.
«Pour danser, il faut être deux», souligne le ministre norvégien. Et d’ajouter: «Le Nord et le Sud devraient cultiver un lien d’amitié très fort dans le futur, comme celui qui existe entre la Suède et la Norvège.» Le 13 août 1905, les Norvégiens ont voté leur indépendance vis-à-vis de la Suède à… 99,95 % des voix. Le(s) Soudan(s), future Scandinavie africaine?
Mathieu Galtier