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Ben Laden, une icône africaine?
T-shirts, calendriers... L'adhésion molle de certains Africains à l'icône djihadiste ne doit pas faire oublier que le continent noir a souffert et souffre toujours du terrorisme d'al-Qaida.
«Ben Laden, on a besoin de toi!», s’exclame Adama, le jeune héros d’un court-métrage d’Idrissa Ouédraogo. Le film fait partie de 11'09"01 - September 11, la collection de 11 œuvres qui durent chacune 11 minutes, 9 secondes, 1 image et qui fut présentée en septembre 2002 au festival de Venise. Aux côtés de Claude Lelouch, Sean Penn ou Shôhei Imamura, le cinéaste burkinabè dépeint, dans une fiction satirique, le regard de l’Afrique noire sur la tragédie des tours jumelles. Et symptomatiquement son rapport au leader d’al-Qaida.
Entre détachement et fascination
Non, le scénario ne décrit pas une adolescence africaine prête à se jeter dans les bras de la mouvance terroriste. Bien sûr, le ton humoristique du court métrage —avec la mise en scène d’un sosie de Ben Laden— est à ce point alternatif qu’il fut jugé politiquement bien incorrect par des Américains abreuvés, depuis un an, des discours monocordes des grands médias. Mais le message de Ouédraogo est sans ambiguïté: les Africains n’adhèrent pas aux attentats du 11 septembre 2001; ils les considèrent comme une réalité bien lointaine de leurs préoccupations quotidiennes.
Pour le jeune Adama, l’enjeu est de soigner sa mère malade. Lorsqu’il croît reconnaître Oussama Ben Laden dans les rues de Ouagadougou, il se met à rêver de la prime qu’il empocherait s’il arrivait à le capturer. Oui, cet enfant africain a «besoin» de l’ennemi public numéro un. Mais pas comme d’un messie. Comme d’une monnaie d’échange avec un Occident trop avare en aide au développement.
Utiliser le regard d’un enfant permettait de traduire idéalement le mélange de détachement et de fascination naïve qui est né de la médiatisation des attentats du 11 septembre. Sur le continent noir, comme ailleurs, la destruction du World Trade Center a été une onde de choc télévisuelle. Les reportages sur Ben Laden ont été intercalés entre les films de karaté et les fictions de Jean-Claude Van Damme. Pour la frange la moins conscientisée de la population, le visage du leader d’al-Qaida est devenu une icône audiovisuelle, presque un logotype; une mascotte qui faisait vendre.
Accrocher Ben Laden dans son salon
Les imprimeurs nigérians ont l’habitude d’élaborer, chaque année, d’immenses calendriers bariolés où les dates, finalement accessoires, cèdent la majorité de l’espace aux photos des vedettes de Nollywood, l’industrie cinématographique du pays le plus peuplé d’Afrique. Dès 2002, du cadre représentant les jours du mois de janvier surgissait le visage de Ben Laden, quand celui de George Bush débordait du mois de décembre. Symboliquement, l’image des tours jumelles encadrait le mois de septembre. Les calendriers des postes françaises ont leurs petits chats; les Nigérians ont leur croquemitaine saoudien…
Peut-on afficher le leader d’al-Qaida dans son salon sans être traversé par une quelconque tentation militante? Que dire de ces autres Africains de l’Ouest qui arboraient, dans la rue, des t-shirts à l’effigie de Ben Laden? Et de ceux qui —les statistiques l’attestent— baptisèrent, plus qu’avant, leurs enfants Oussama?
Une figure nébuleuse
Bien sûr, le discours simpliste des néoconservateurs américains en a engendré un autre tout aussi simpliste: sans mesurer totalement le caractère hypocrite et diabolique de la quête de Ben Laden, nombre de ressortissants de l’hémisphère Sud ont retenu le vernis «anti-impérialiste» de la démarche. Après tout, qui sait, au Bénin, au Mozambique et même dans certains milieux français, qui fut exactement ce Che Guevara qui décore les poitrines branchées?
La confusion était à son comble quand certains félicitaient Ben Laden d’avoir débarrassé l’Afrique de l’Ouest du rallye Paris-Dakar. Ou quand d’autres s’extasiaient devant le projet de pont Bab-el-Mandeb entre le Yémen et Djibouti; projet présenté, il y a quelques mois, par Tarik Ben Laden, le frère du terroriste…
La «pieuvre» al-Qaida
Merchandising, adhésion romantique molle, fantasme d’investissement saoudien: l’opinion populaire africaine sur feu Ben Laden semble aussi nébuleuse que le mouvement du terroriste saoudien. Elle ne doit pas occulter un réel —même réduit— militantisme islamiste en quête de franchise al-Qaida. Sur la liste des 22 terroristes les plus recherchés dans le monde figuraient, il y a encore quelques mois, douze Africains —Egyptiens, Libyens, Kenyans, Tanzaniens ou Comoriens.
La «pieuvre» al-Qaida aurait des tentacules au Soudan, en Ouganda, en Mauritanie, en Ethiopie ou même à Zanzibar. Tôt, en Somalie, est apparu le groupe Al-Ittihad Al-Islamiya spécialisé dans le financement des opérations terroristes. Tôt, le mouvement de Ben Laden aurait acheté des diamants de sang en Sierra Leone.
L'Afrique en otage
Non, l’Afrique n’est pas à cent mille lieux de la problématique. Mais ni les pittoresques t-shirts à l’effigie de Ben Laden ni les rares allégeances idéologiques ne doivent cacher l’essentiel: le continent a souffert d’al-Qaida plus qu’il ne l’a alimenté. De nombreux Africains figuraient parmi les 227 morts et 5.000 blessés des attentats quasi simultanés, en août 1998, contre les ambassades américaines de Nairobi et de Dar Es Salam.
En évoquant les prises d’otages revendiquées, dans le Sahel, par al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), le président malien, Amadou Toumani Touré tranchait en 2010: dans la lutte entre l’Occident et «l’axe du mal», l’Afrique est prise en otage.
Pour l’heure, les téléspectateurs africains regardent l’image crue du cadavre de Ben Laden comme celui d’Ibrahim Coulibaly il y a quelques jours, ou celui de Jonas Savimbi il y a quelques années. Comme une nouvelle iconographie médiatique qui fera commenter dans les maquis. Pas ceux de la guérilla. Ceux où coule la bière…
Damien Glez
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