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Les réfugiés tunisiens sous une mauvaise étoile à Paris
Près de 400 Tunisiens sont arrivés à Paris depuis la chute de Ben Ali. Même avec un permis de séjour, ils dorment dehors et survivent grâce aux associations. Ces jours-ci, la police les harcelait.
Tout autour de la porte de la Villette dans le XIXe arrondissement de Paris, où des immigrés tunisiens ont trouvé refuge, des policiers en civil vérifient les identités des passants. Nous sommes Franco-tunisiens, nous avons nos papiers français, nous montrons patte blanche, ils nous laissent passer. L’entrée du parc de la Villette, situé sous le périphérique, réservé à l’origine aux riverains et à leurs enfants, est noire de monde.
Devant la centaine de Tunisiens, plusieurs associations, comme Jeudi noir, les Enfants de Don Quichotte, Une Chorba pour tous, le Secours islamique de France (SIF), sont présentes, mais également des avocats comme Me Samia Maktouf, l’élu de la mairie de Paris Yves Contassot, et quelques journalistes.
En hauteur, sur la bordure du périphérique, des Tunisiens apeurés, qui ont vu 68 d’entre eux embarqués la vieille par les forces de l’ordre, restent en retrait et observent la scène. Ce jeudi 28 avril 2011, le ciel est gris et il fait froid. Les premiers immigrés que l’on rencontre ont l’air épuisé et affamé.
Loin des 400 annoncés, on en compte 200 tout au plus. Selon les rumeurs et l’association du Secours catholique, le reste des immigrés se trouverait à la Porte de Pantin, près du Consulat tunisien.
Les associations se mettent en place, déployent leur matériel et commencent la distribution de nourriture et de produits d'hygiène. Aucun incident ou débordement, les Tunisiens se livrent avec pudeur et répondent à toutes les questions. Notre présence les rassure, leur avocate les conseille, Yves Contassot relaye les consignes de la mairie de Paris, ils se sentent soutenus.
On essaye d'aller vite dans la distribution, la menace des forces de police plane, et les associations savent qu'elles confisqueront immédiatement les colis de nourriture et d'hygiène. Un photographe cherche l'image des Tunisiens faisant la queue devant la distribution du SIF, mais les immigrés souhaitent garder leur dignité et le prient de baisser son objectif.
La police interpelle à couvert
Soudain, des cris, plusieurs Tunisiens demandent aux journalistes présents de les suivre. De l’autre côté du parc, à revers, loin des associations, dans un tunnel sous le périphérique où certains avaient l’habitude de dormir, des cars de policiers casqués commencent les interpellations. Très vite l’ensemble des immigrés, journalistes et membres d’associations, viennent en renfort et un face à face avec les forces de l’ordre s’établit. Les Tunisiens, qui retrouvent une énergie qui les galvanise, entonnent l’hymne national, le chant de la révolte sur l’avenue Bourguiba à Tunis. Un Tunisien de la diaspora s’amuse de voir la Révolution du jasmin s’exporter à Paris.
Devant la masse d’immigrés tunisiens, et voyant plusieurs journalistes et membres d’associations, les CRS reculent et forment plus loin un barrage. Devant eux, Augustin Legrand des enfants de Don Quichotte est pris à partie par quelques riverains qui dénoncent l’instrumentalisation de l’affaire pour des objectifs personnels. Le ton monte. Finalement, la foule se dissipe, les forces de l'ordre ont raté leur manœuvre, mais les Tunisiens nous implorent de rester, convaincus que les policiers attendent la nuit pour les interpeller.
La peur de l'uniforme
Nous restons auprès d’eux. La nuit s’annonce finalement calme mais fraîche. Tous ont entendu la migration de plusieurs d’entre eux vers la Porte de Pantin. On se dit que les forces de l’ordre cherchent surtout à les disperser, ce qui rendra les interpellations moins visibles et le travail des associations plus difficile.
D’après nos informations, plusieurs sont mineurs. Certains souhaitent rentrer en Tunisie, environ 20% des 400 arrivés à Paris. La plupart ne veulent pas donner leur nom. Conséquences des précédents médiatiques qui leur ont valu d’être traqués plus individuellement. Le premier Tunisien rencontré reste prudent mais finit par se confier:
«Il y en a, ça fait trois semaines qu’ils sont là, d’autres trois mois, deux mois… pour chacun de nous le parcours est différent finalement. Moi ça fait deux jours que je suis à Paris. On est sorti de la Tunisie par bateau, et on est arrivé à Lampedusa. Après on est monté dans un petit bateau où il y avait plein de monde. On était entassés les uns sur les autres. Après, ils nous ont amenés en Sardaigne et après encore à Rome et ainsi de suite, d’un point à l’autre. Ce sont les Italiens qui nous emmenaient.»
«Moi j’ai un titre de séjour de six mois, que je dois renouveler. Nous on ne veut que travailler, on est venu juste pour ça. Les papiers c’est uniquement pour travailler et circuler librement sur le territoire français. Là-bas [en Tunisie, ndlr] le salaire ne permet que de payer des habits et de la nourriture, c’est tout. Moi je suis jeune [il dit avoir 21 ans, ndlr], je veux plus. Je veux la même chose que les Tunisiens qui vivent ici et qui rentrent dépenser leur argent au pays.»
Un autre réfugié qui donne son prénom, Walid, insiste pour rectifier les propos de son voisin:
«Non, on veut juste gagner notre vie honnêtement, on n’est pas des dépensiers. Moi je veux épargner, pour d’abord rembourser mes dettes, ces dettes faites à la famille restée là-bas, les mettre [les membres de sa famille, ndlr] tous hors du besoin et à terme, pourquoi pas rentrer en Tunisie.»
Le premier reprend la parole:
«Oui, c’est juste une histoire de trois à cinq ans tu sais, le temps qu’en Tunisie les choses aillent mieux. On règle nos histoires d’argent, on se prépare à rentrer et c’est bon.»
«Pourquoi nous empêcher de travailler?»
La plupart ne parlent pas français, ce qui laisse penser qu’il ne s’agit pas de surdiplômés. En Tunisie, dès le secondaire, le français est appris à l’école. Seuls quelques-uns connaissent quelques mots de français. Ils reconnaissent que les intellectuels, les cadres, les classes moyennes sont restés là-bas, parce qu’ils ont la possibilité de patienter.
Quel type de travail souhaitez-vous trouver ici, en sachant que la situation est déjà difficile pour les résidents français?
«Oui, il y a beaucoup de restaurants arabes qui cherchent de l’aide, de la main-d’œuvre, nous le savons bien, certains sont déjà venus nous voir le soir. Alors pourquoi nous empêcher de travailler? Non seulement on est de bonne volonté mais on veut travailler légalement avec des papiers en règle.»
La plupart viennent du Sud, certains de Sfax, mais la majorité vivent entre Sousse et Tataouine. Ils viennent des petites communes où le chômage fait des ravages. Certains sont restés en Italie. On a donné des titres de séjour aux derniers arrivés à Lampedusa.
Que répondez-vous à ceux qui disent que vous avez gagné votre liberté et qu’il faut rester en Tunisie pour reconstruire le pays? Walid:
«L’Europe est un territoire libre non? Eh bien moi désormais je suis libre aussi. Ça ne se résume pas à une liberté d’expression. Je suis libre de circuler comme bon me semble, de voyager, comme n’importe quel occidental et Européen. Aujourd’hui je suis libre, que ça plaise ou pas aux autorités françaises.»
D’après Bilel, un autre immigré tunisien, arrivé début avril à Paris et qui dort dehors, la France a déçu bon nombre d’entre eux:
«Les Français nous ont mal accueillis. La France nous a fait un mauvais accueil, alors que les Tunisiens d’ici nous ont soutenus. Ils nous apportent à manger. Nous les Arabes on a toujours bien accueilli les Français en Tunisie. Là en ce moment, les Tunisiens reçoivent les réfugiés libyens. Quand ils viennent chez nous les Français, c’est le soleil, la mer, le thé, le tourisme, le sourire. Tout ça c’est fini! J’ai travaillé dans un club de vacances, je ne les ai jamais traités comme ça moi les Français!»
Walid rajoute:
«On n’a pas de papiers pour aller dans d’autres pays en Europe. Nous on ne connaît que la France. Nous les Tunisiens on s’est habitué à la langue française, on accueille beaucoup de Français. On connaît la mentalité française, la langue française.»
Le premier Tunisien intervient à nouveau:
«Notre argent on ne nous l’a pas rendu, tu comprends mon frère? L’argent de Ben Ali est ici. Les châteaux de Ben Ali ne nous ont même pas ouvert leur porte ici.» Tous acquiescent de la tête. Il poursuit: «On est fier de la Tunisie et de ce qu’elle a fait. C’est notre pays. On n’aime pas la mendicité. Et la brutalité. On n’aime pas les rapports de force.»
Des associations viennent en aide
Plusieurs associations se sont mobilisées comme Médecins du monde, Une Chorba pour tous qui a profité d’une aide la mairie de Paris à hauteur de 45.000 euros et France terre d’asile. Le Secours islamique de France, quant à lui, est venu en renfort sur ses fonds propres, et sur la décision de son responsable des missions sociales, Djilali Benaboura, qui depuis le début de la semaine analyse la situation.
Avant les affrontements, une dizaine d’employés du SIF s’activaient pour mettre en place un stand de distribution des 250 sacs de couchage, 250 colis de nourriture et 250 kits d’hygiène à disposition des réfugiés. Ils ont pu procéder à une demi-heure de distribution, avant de remballer à l’annonce de la venue des forces de police.
Olivia Chouquet, responsable de la distribution et chargée des relations presse du SIF:
«Nous on est déjà mobilisés côté Tunisie et à l’international. En France, on a décidé de mettre en place une aide alimentaire via des colis de nourriture et d’hygiène distribués sous une tente montée dans le parc de la Villette, là où les immigrés tunisiens sont installés depuis près de quinze jours. On est aussi à disposition pour le soutien psychologique des Tunisiens, et on essaye de trouver des solutions pour le rapatriement de ceux qui souhaitent retourner en Tunisie. On a décidé d’agir ponctuellement sur cette situation d’urgence, car apparemment le temps est compté puisque les autorités et les forces de police cherchent à disperser les immigrés tunisiens, ce qui rendra la tâche des associations beaucoup plus difficile, avec un suivi inexistant. On ne s’occupe pas de la question de logement qui, selon nous, appartient à la mairie de Paris et donc de Delanoë ou de France terre d’asile.»
L’association Jeudi noir s’est chargée de la question du logement, et s’active à ouvrir un gymnase en Seine-Saint-Denis, selon les propos de Julien Bayou, membre de l’association. Pour sa part, l’avocate Samia Maktouf défend les réfugiés tunisiens:
«Je suis mobilisée depuis la venue des réfugiés, c'est-à-dire depuis le 14 janvier 2011. Sur l’accueil français, je ne sais pas s’il y a un mot à dire. Déjà depuis 24 heures on est en train d’assister à une course pour traquer ces jeunes, ils sont traqués dans leur recherche d’un endroit pour dormir. Il y a eu des interpellations massives voire musclées hier [nuit du 27 au 28 avril, ndlr], dans la nuit aux abords du parc, et ce matin à leur réveil. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de rester mobilisés, de les accompagner afin qu’ils ne soient pas seuls face aux forces de l’ordre. Nous avons souhaité former un bouclier avec des jeunes Tunisiens issus de la diaspora, des riverains et toutes les associations mobilisées physiquement sur le sujet. 68 personnes ont déjà été interpellées, puis placées en garde à vue, et on leur a attribué un APRF [un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, ndlr] qui leur donne 7 jours pour quitter le territoire français.»
«Cette procédure est tout simplement ridicule, car pour ceux qu’on attrape et qu’on reconduit vers l’Italie, on mobilise des voitures d’escorte à Nice, sept policiers pour un seul homme, alors que le lendemain certains ont eu une carte de séjour et un laisser passer et se retrouvaient à Paris, à mon cabinet. Si on a fait le calcul, avec l’argent déployé on pouvait les faire vivre pendant deux mois dans un hôtel trois étoiles. C’est un pays qui a vécu une révolution, un pays qui est en pleine transition démocratique, il faut laisser le temps aux Tunisiens…»
Un riverain tunisien nous interpelle et coupe la conversation:
«Nous ne voulons pas de désordre, nous ne voulons pas de cette immigration-là. Quelle image ces Tunisiens donnent de leur pays? Que cherchent-ils exactement? Pourquoi n’aidez-vous pas les Tunisiens sur place là-bas plutôt que de vous préoccuper de ces jeunes-là qui ont endetté leur famille et qui nous font honte à nous les Tunisiens de la diaspora?»
«C'est le chaos le plus total»
Yves Contassot, élu des Verts et conseiller à la mairie de Paris, nous rejoint pour informer l’avocate qu’il n’a pas de réponse des avocats de la mairie de Paris. Il intervient dans la discussion:
«C’est le chaos le plus total, personne ne nous dit rien. On n'a aucune instruction de la part de la mairie qui pourtant a débloqué une enveloppe de 100.000 euros. On n’a toujours pas de retour du cabinet de Bertrand Delanoë, ils ne rappelleront pas. C’est classique. Ça dépasse les compétences de beaucoup d’élus et particulièrement les miennes.»
Le riverain tunisien:
«Pourquoi tout ça pour quelques jeunes perdus qui veulent juste dormir, et consommer et qui vont s’apercevoir très vite qu’il n’y a rien ici pour eux. Ils doivent repartir. On dirait qu’il y a une guerre. J’ai honte pour mon pays. Les Tunisiens sont civilisés et intelligents. Eux, ils n’ont rien compris, ils sont bêtes, ils donnent une mauvaise image de la Tunisie.»
L’avocate:
«20% souhaitent rentrer en Tunisie. La désillusion est totale pour nombre d’entre eux. Ils sont candidats au retour en Tunisie mais personne ne leur tend les mains. Ces retours volontaires doivent être organisés légalement et ostensiblement pour que d’autres suivent l’exemple. La situation à Paris est dramatique et humainement inacceptable. Moi, en ma qualité d’avocate et aussi de citoyenne tunisienne, j’aimerais que les autorités tunisiennes se réveillent, elles sont totalement absentes de l’enjeu, et c’est regrettable. Il est vrai que la Tunisie est en train de changer, il y a une transition démocratique à réussir. La Tunisie est un grand pays, un grand peuple, et les enfants de la Tunisie méritent qu’on les respecte. Ici on a 400 personnes recensées et pas une de plus, donc le déferlement du flux migratoire qu’on souhaite nous faire croire n’a rien à voir avec la réalité parisienne et française. Ce déferlement est à la frontière tuniso-libyenne: 250.000 réfugiés libyens sont accueillis en Tunisie et il n'y a pas une seule famille tunisienne qui ne reçoive chez elle des Libyens.»
L’élu Yves Contassot apporte une information:
«Il y a des policiers dans le métro qui procèdent à des contrôles, sont armés de Taser et commencent à se diriger vers le parc. Il faut en priorité rassembler les mineurs et les mettre à l’abri.»
Mehdi Farhat
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