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Kadhafi et les rebelles, combien de divisions?
Les forces du colonel Kadhafi affrontent celles de l'insurrection depuis février. Le point sur les armes et effectifs de chaque camp en Libye.
Deux mois et demi se sont écoulés depuis que les premiers coups de feu de ce qui est désormais une véritable guerre civile ont été tirés en Libye. Les combats se poursuivent à Misrata, mais aussi à Gharyan et à Nalout, non loin de la frontière tunisienne, tandis que, sur la route qui longe la côte entre Brega et Ajdabiya, la situation semble s’être cristallisée. Les rebelles n’avancent plus, mais les Khadafistes ne cherchent apparemment pas à lancer de contre-offensive.
Il suffit de s’intéresser d’un peu plus près aux effectifs et aux équipements des deux camps pour comprendre que les belligérants n’ont pas les moyens, à eux seuls, d’emporter la décision, si les opérations de cavalcade motorisée dans le désert se transforment en guerre de position.
Les forces de Kadhafi, à la baisse
A tout seigneur, aussi contesté et douteux soit-il, tout honneur, commençons par nous pencher sur les capacités des forces du colonel Kadhafi. Avant l’implosion de son pays, il disposait, selon les chiffres fournis pour 2009 par l’International Institute for Strategic Studies, l’Institut international des études stratégiques ou IISS, d’environ 50.000 hommes, dont la moitié de conscrits, appuyés par environ 800 chars opérationnels, à peu près 400 canons autotractés et 600 pièces d’artillerie de tous calibres, ainsi que 200 avions de combat. La plupart des experts s’accordaient à reconnaître que l’essentiel de ce matériel était vieillissant.
Depuis que la guerre civile a éclaté, le colonel ne peut même plus compter sur de tels effectifs. Les sources divergent, mais il n’alignerait guère plus de 20.000 hommes aujourd’hui, et il ne peut plus déployer son aviation, ni même ses blindés en gros bataillons, sous peine de les voir rapidement détruits par les frappes aériennes de la coalition occidentale. Dans les jours qui ont suivi le début de l’intervention, on a d’ailleurs pu voir des images de chars libyens calcinés, des T-72 et des T-62 de fabrication soviétique, mais aussi des obusiers autotractés Palmaria de 155 mm de fabrication italienne. Les forces de Kadhafi en sont donc réduites aujourd’hui à utiliser des canons de calibre moins important, plus mobiles, ou encore des lance-roquettes multiples de type BM-21 Grad, là encore soviétiques, héritiers des célèbres Katiouchas, ou «Orgues de Staline».
Une rumeur persistante fait état, depuis le début des affrontements, de la présence de mercenaires, africains d’une part, principalement des combattants venus des pays d’Afrique subsaharienne où Kadhafi a procédé à de considérables investissements financiers dans les années 1990 et 2000. On parle de Tchadiens, de Nigériens et de Maliens, et l’on sait que des Africains noirs ont été victimes de lynchage de la part des rebelles, dans le climat de psychose qui s’est très vite instauré dans les régions insurgées. D’autre part, le colonel pourrait compter sur l’appui de plusieurs centaines de mercenaires qui, selon les sources, seraient serbes, biélorusses ou ukrainiens. Du temps de la guerre froide, l’armée libyenne était encadrée par des «conseillers» yougoslaves, et il est possible que les deux pays aient maintenu des liens dans le domaine de la coopération militaire, d’autant plus que Tripoli a aussi su se montrer généreux en aidant Belgrade à reconstruire après la guerre du Kosovo en 1999.
Les Biélorusses, quant à eux (et les Ukrainiens, faut-il supposer), seraient des vétérans de la guerre soviéto-afghane, et ce seraient eux qui aideraient les unités kadhafistes à échapper aux bombardements des appareils de la coalition. Un de ces hommes se serait confié, au début du mois, au quotidien russe Komsomolskaia Pravda, et son entretien a été repris en partie par le Daily Telegraph britannique. Ce dernier rapporte en outre que des tireuses d’élite colombiennes, membres de la guérilla des Farc, prendraient part aux combats dans Misrata. Fantasme ou réalité, on voit toutefois mal comment quelques centaines de mercenaires, aussi professionnels soient-ils, pourraient modifier le cours d’un conflit.
Les forces des rebelles, à la peine
Du côté rebelle, le Conseil national de transition (CNT) et la Conférence nationale pour l’opposition libyenne, les deux «autorités» de l’insurrection, auraient déployé quelque 17.000 hommes, d’après la BBC, dont on ne sait évidemment d’où elle tient ses chiffres. Pour ce que l’on en a vu sur nos multiples chaînes d’information en continu, les rebelles (ce sont surtout eux qui occupent nos écrans, d’ailleurs, bien plus que les combattants pro-Kadhafi) peinent apparemment à s’organiser.
Depuis le début du conflit, on les a surtout vus gaspiller un grand nombre de munitions, et la quantité de canons antiaériens dont ils disposent est proprement hallucinante. Il s’agit pour la plupart de jumelés et de quadruplés de 23 mm, toujours de fabrication soviétique. Quand l’insurrection avait le vent en poupe, et qu’il importait, pour les rebelles, de convaincre l’Occident qu’il fallait intervenir pour empêcher l’aviation de Kadhafi de «bombarder les populations civiles», ces canons ont joué un rôle médiatique évident. Les rebelles, avec leurs affûts antiaériens montés à la hâte sur des pick-up et des 4x4, fonçaient sur les routes rectilignes du pays en ouvrant le feu à tort et à travers, tandis que des correspondants qui n’en pouvaient mais cherchaient vainement des yeux les avions ennemis.
Il convient toutefois de rappeler que les 23 mm fixés sur des véhicules légers peuvent s’avérer très efficaces dans les combats d’infanterie. Ils fournissent alors un appui d’artillerie légère et mobile, redoutable contre les tireurs embusqués. Les Soviétiques s’en étaient aperçus en Afghanistan, et s’étaient mis à préférer ce genre d’équipements pour lutter contre les moudjahidine, plutôt que les canons de gros calibre des chars. Les Russes ont peaufiné cette tactique au cours des deux guerres de Tchétchénie. En effet, ces armes, qui ont une cadence de tir élevée pour pouvoir créer un «rideau de ferraille» contre les missiles ennemis, font pleuvoir une pluie d’obus sur les fantassins adverses, dont ils saturent alors les positions, leur interdisant tout mouvement.
S’ils sont de plus en plus soutenus par les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France et l’Italie entre autres, les rebelles sont obligés d’avoir le plus souvent recours à des armes improvisées. Nous avons ainsi vu un de leurs véhicules sur lequel avait été soudé un panier de roquettes que l’on trouve théoriquement fixé sous les ailerons d’hélicoptères d’attaque comme les Mi-24. Nous ne savons pas si ces combattants se sont jamais servis de cette chose, mais nous ne pouvons nous empêcher de craindre pour la santé de leur entourage.
Les alliés occidentaux, dans l’espoir de hâter le dénouement sans pour autant aller jusqu’à une intervention directe au sol, dépêchent depuis peu des équipes de conseillers, et commencent à fournir des armes et des équipements aux hommes du CNT. Enfin, les Américains ont entrepris de déployer leurs drones armés, qui se sont taillés une triste réputation en Afghanistan. Ce serait leur arrivée qui aurait fait pencher la balance en faveur des rebelles dans la «bataille de Misrata», que nous évoquions récemment. Celle-ci ne s’en poursuit pas moins, avec ou sans drone, et compte tenu des effectifs et des matériels engagés un peu partout, la décision, à Misrata comme ailleurs, semble loin d’être acquise.
Avec ses mercenaires et ses conseillers, ses armements improvisés et ses haines tenaces, la guerre de Libye tient chaque jour un peu moins de l’opération humanitaire, et ressemble au contraire de plus en plus à un sinistre bourbier.
Roman Rijka
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