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Robert Gates, le secrétaire de la Défense US en visite au ministère de la Défense égyptien, le 5 mai 2009. REUTERS/Jason Reed
Robert Gates, le secrétaire de la Défense US en visite au ministère de la Défense égyptien, le 5 mai 2009. REUTERS/Jason Reed

Egypte, l’ombre de l’armée

Si le président Hosni Moubarak devait être déposé, le nom de son successeur serait choisi par les militaires —et eux seuls. Et ils ne veulent pas de son fils Gamal.

[Mise à jour du samedi 29 janvier: [Guardian] Moubarak a nommé son chef du renseignement Omar Suleiman vice-président, rapporte l'agence de presse officielle égyptienne. L'Egypte n'avait pas eu de vice-président depuis l'arrivée au pouvoir de Moubarak en 1981. C'était lui-même qui occupait ce poste avant d'être président.]

L’Egypte va-t-elle suivre l’exemple tunisien? Quinze jours après la fuite du président Ben Ali, la pression de la rue égyptienne se fait de plus en plus forte à l’encontre d’Hosni Moubarak, 82 ans, au pouvoir depuis 1981.

Les Etats-Unis inquiets

Alors que les violences redoublent au Caire et dans d’autres grandes villes du pays, les observateurs internationaux s’interrogent sur la capacité du raïs à se maintenir au pouvoir, alors que son allié américain —d’aucuns diront son protecteur— commence à montrer des signes d’impatience.

Pour les Etats-Unis, qui allouent près de 2 milliards de dollars d’aide par an à la République arabe d’Egypte, la situation est pourtant bien plus compliquée que dans le cas tunisien.

«En Egypte, les islamistes seront les premiers vainqueurs d’un effondrement du régime. Les mouvements citoyens et démocrates qui appellent actuellement à la désobéissance civile sont encore embryonnaires et ne pèseront guère face à eux», prédit un diplomate américain en poste dans la région.

Et d’ajouter que les Etats-Unis ne peuvent rester indifférents à l’évolution d’un régime essentiel à la sécurité d’Israël.

Le fait que le mouvement des Frères musulmans (officiellement interdit mais plus ou moins toléré dans les faits) a appelé ses militants à rejoindre la rue pour exiger le départ de Moubarak n’est pas sans inquiéter les chancelleries occidentales, qui craignent un scénario à l’iranienne.

Moubarak peut tomber, pas le régime

En effet, c’est la jonction des mouvements religieux et laïcs qui avait contribué à la chute du Shah. «Les gens sont en train d’oublier ce qui les divise. Leur seul but, c’est le départ de Moubarak», relève le politologue cairote Ali Salem.

En somme, cette convergence de revendications ne signifie pas pour autant la disparition des antagonismes entre fondamentalistes et modernistes, ni même entre la société civile et l’opposition légale dont les représentants, à commencer par ceux du parti Wafd, semblent pétrifiés à l’idée de s’engager dans la bataille. En cas de départ de l’actuel raïs, les Egyptiens devront s’entendre sur un compromis national pour éviter une grave crise politique interne.

Mais ces protestations peuvent-elles faire chuter Moubarak? «Assurément! Chaque jour de manifestation fragilise encore plus sa position. Rendez-vous compte, les gens ont déchiré ses portraits!», répond un chercheur du centre d’études d’Al-Ahram sous couvert d’anonymat. Et de préciser que le départ du président ne signifie pas la fin du régime, puisque la vraie clé est entre les mains des militaires. A la différence de la Tunisie, où les généraux n’ont jamais appartenu aux premiers cercles du pouvoir, les officiers supérieurs égyptiens sont en effet les garants d’un système mis en place depuis Nasser.

Les candidats à la succession

Du coup, l’idée d’un remplacement de Moubarak par l’un de ses pairs est de plus en plus évoquée. Déjà, à l’automne dernier, des affiches avaient été collées dans les rues du Caire —elles ont été vite retirées—, pour exiger que le général Omar Suleiman, le puissant chef des services secrets, soit le prochain président égyptien. A l’époque, les Egyptiens ont interprété cet affichage comme une mise en garde adressée par l’armée à Moubarak. «Le signal était clair. Il disait "nous ne voulons pas de ton fils Gamal comme futur président"», décrypte Ali Salem.

Aujourd’hui, la donne a changé. Gamal se serait déjà réfugié à Londres, et il est pratiquement acquis qu’il est la première victime politique de la révolte égyptienne. Dans les mois et les années à venir, on le voit mal se présenter à l’élection présidentielle alors que la population a exprimé un rejet aussi net à l’encontre de son père.

Omar Suleiman peut-il donc succéder à Moubarak? C’est une possibilité à ne pas négliger, même s’il n’est pas sûr que cela calme la rue. Homme d’influence —c’est l’un des acteurs incontournables de la scène agitée du Proche-Orient—, le général devrait alors occuper une place exposée et apparaître au grand jour, ce qu’il rechigne à faire en temps ordinaire. Quoiqu’il en soit, si d’aventure l’actuel raïs devait-être déposé, le nom de son successeur sera choisi par les militaires —et personne d’autre.

Reste enfin l’hypothèse El-Baradei. Jeudi, l’ancien directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique a proposé de mener la transition au régime de Moubarak. Fortement soutenu par une bonne partie de la société civile, l’ancien prix Nobel souffre toutefois d’un manque de visibilité au sein de la population, car la majorité des médias égyptiens l’ignorent ou minimisent ses déclarations. El Baradei, qui avait tenu tête aux Etats-Unis à propos de l’Irak mais aussi de l’Iran, devra convaincre les militaires qu’il peut mener la transition sans mettre leurs intérêts en danger.

La partie est loin d’être gagnée, mais les généraux égyptiens, très inquiets de l’évolution des protestations de la rue et vraisemblablement soumis à de fortes pressions américaines, pourraient voir en lui un excellent moyen de gagner du temps.

Akram Belkaïd

Akram Belkaïd

Akram Belkaïd, journaliste indépendant, travaille avec Le Quotidien d'Oran, Afrique Magazine, Géo et Le Monde Diplomatique. Prépare un ouvrage sur le pétrole de l'Alberta (Carnets Nord). Dernier livre paru, Etre arabe aujourd'hui (Ed Carnets Nord), 2011.

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