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Un couple à Bab El Oued, le 23 mai 2007. REUTERS/Zohra Bensemra
Un couple à Bab El Oued, le 23 mai 2007. REUTERS/Zohra Bensemra

Le guide de l'amour risqué à Alger

Parcs, jardins, forêts, hôtels ou même bandes d'arrêt d'urgence; les jeunes Algérois désargentés qui veulent fricoter n'ont pas d'autre choix que le système D.

Au cœur d'Alger, il y a le Jardin du Hamma, plus connu sous le nom de Jardin d'Essai, grand parc qui date du temps de la France et où des centaines d'espèces végétales du monde entier trônent, attirant des botanistes des quatre coins de la planète. Rouvert en 2010 après de longues années de travaux et réfections, il a immédiatement été envahi par de jeunes couples en quête d'endroits sombres et à l’abri des regards. C'est le lieu idéal, dans cette luxuriante forêt d'arbres et arbustes tropicaux serrés sur 80 hectares, où 10.000 visiteurs viennent s'y perdre chaque jour, dont une partie pour s'enlacer. Le directeur du Jardin d'Essai est désolé:

«Je ne suis pas un conservateur et suis plutôt tolérant, mais là, c'est trop.»

Ils sont partout, à tous les coins de bois, ce qui a obligé les responsables du Jardin à recruter de nouveaux agents de sécurité, uniquement pour surveiller les copulateurs en puissance. L'un d'eux, agent, avoue presque en riant:

«On a trouvé un couple accroché aux lianes d'un arbre de plusieurs siècles, ils jouaient à Tarzan et Jane version X.»

La suite est plus dramatique. Police, comparution immédiate devant un juge et une amende —voire une peine avec sursis pour atteinte à la pudeur. A Alger, le sexe est un sport de masse mais un sport extrême et à risque. Avec ses trois millions de moins de 30 ans —célibataires pour la plupart— la capitale déborde d'hormones et autres phéromones. Il y a bien sûr les appartements, pour ceux qui en ont, ou les hôtels, pour ceux qui peuvent se le payer.

Mais pour tous les autres, cette immense majorité de jeunes couples désargentés, il faut se débrouiller et faire avec des espaces qui n’ont pas été mis à disposition pour cela. Les parcs publics, bien sûr, mais ceux-ci sont infestés de malfrats qui détroussent les couples qui s'y hasardent, ce qui justifie l'attrait pour le Jardin d'Essai, sécurisé. Il y avait aussi les cinémas, spécialisés dans ce genre de sport, mais ils ont pratiquement tous disparus. (Pas les couples, les salles.)

Le guide de l'amour à Alger

Il n'existe pas vraiment de guide pratique pour ça, mais par expérience, les jeunes couples connaissent les zones grises où tout peut se faire et se défaire. A l'intérieur d'une voiture dans une forêt, comme celle de Bouchaoui à la sortie d'Alger, ou sur l'autoroute, bande d'arrêt d'urgence, mais en dehors des heures de pointe.

Les plus prudents paient des jeunes pour faire le guet et les plus aventureux se retrouvent en bord de mer dans des huttes louées à l'heure, sans la garantie qu'une descente de gendarmes ne vienne tout gâcher. Les plus malins ont trouvé mieux: les hammams, bain-maures où filles et garçons entrent vêtus d'un voile intégral pour se retrouver chez les femmes et copuler joyeusement dans des cabines aménagées pour les clientes.

Il y a aussi les grands classiques comme les terrasses d'immeubles, plus près du ciel, ou les arrière-salles de magasins, pour peu que l’on connaisse le vendeur. Ou encore le célèbre coup de la poubelle quand, le soir venu, la jeune femme descend les ordures au bas de l'immeuble en robe d'intérieur (plus pratique), et rencontre son amant dans les escaliers, pour une étreinte furtive et intense.

Reste qu'en dehors du côté festif et déluré de ces comportements, le sexe est dangereux en-dehors du mariage. Il a deux grands ennemis —qui n'ont rien à voir avec les MST. D’abord la morale publique, celle des braves gens prêts à dénoncer tout rapport illégal et même à s'en prendre physiquement à ces jeunes couples sans pudeur; et la morale de l'Etat, dont les bras armés, la police et la gendarmerie, traquent régulièrement les couples pour les traîner en justice.

Et pour ceux qui n'ont pas d'amantes? Il faut payer les nombreuses prostituées semi-professionnelles (sans proxénète, à l'africaine) qui ont élu domicile dans la capitale. Combien coûte une passe à Alger? Très cher par rapport au niveau de vie. Entre 3.000 et 6.000 dinars (30 à 60 euros) dans les bons bars à filles, 10.000 dinars (100 euros) pour les jeunes stars de la profession (de vrais top models), et dans tous les cas sans l'hôtel, qu'il faut payer en sus si on n'a nulle part où emmener la fille.

Pour les plus pauvres pourtant, dans la forêt de Sidi Fredj, équivalent non-tropical du Jardin d'Essai d'Alger-Centre, les prix sont fracassés, cause prostitution sauvage et sans garantie. 200 la pipe, 400 la passe, 600 par derrière. Comme l'a souligné un jeune habitué des lieux:

«Avec 1.200 dinars tu fais le tour de la question.»

Et pour ceux qui n'ont pas d'amants? Rien n'est prévu pour ce cas de figure. Et l'amour dans tout ça? Il est partout et nulle part.

Chawki Amari

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Cet article a été publié le 18 avril 2011 et mis à jour le 3 dévrier 2017. 

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Chawki Amari

Journaliste et écrivain algérien, chroniqueur du quotidien El Watan. Il a publié de nombreux ouvrages, notamment Nationale 1.

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