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Des travailleurs du Cosatu en grève à Durban, Afrique du Sud, le 12 juillet 2011. REUTERS/Rogan Ward
Des travailleurs du Cosatu en grève à Durban, Afrique du Sud, le 12 juillet 2011. REUTERS/Rogan Ward

En Afrique du Sud, la saison des grèves a commencé

Chaque année, en juin et juillet, les travailleurs sud-africains descendent dans les rues pour faire entendre leurs revendications. Cette année, la plupart des syndicats ont réussi leurs négociations.

Lundi 18 juillet, alors que la majorité des Sud-Africains célébraient les 93 ans de leur héros national Nelson Mandela, des milliers d’ouvriers battaient toujours le pavé, après deux semaines de grèves. Eux aussi avaient une pensée pour «Madiba». Sur leur pancarte, ils l’appellent au secours: «Nelson, mon ami, on est encore en train de souffrir ici». Un vieux mineur soulève un lourd bâton dans les airs:

«On a appris Le Toyi-Toyi [danse de protestation née pendant l’apartheid, nldr] pour réclamer nos droits politiques. Aujourd’hui, on l’utilise pour défendre nos droits économiques. On a porté ce gouvernement au pouvoir en manifestant dans la violence. Maintenant qu’ils sont là-haut, ils doivent nous écouter.»

La saison des renégociations salariales et les grèves importantes qui s’en suivent sont devenues un marronnier en Afrique du Sud. Un peu comme le chassé-croisé des vacanciers le premier week-end d’août, la neige en hiver ou la rentrée des classes. Chaque année, elles reviennent à la même époque, en juin et juillet, lorsque l’activité économique est ralentie par les longs mois de l’hiver austral.

Cette année, 170.000 travailleurs sont descendus dans les rues, munis de banderoles, de bâtons traditionnels zoulous ou de cravaches en cuir. Les ouvriers de la métallurgie (250.000 personnes), de l’industrie chimique, pétrolière ou du bois (alignés sous le syndicat Ceppwawu), et désormais le syndicat Solidarité (tendance Afrikaner) se sont unis pour faire entendre leurs revendications: hausse des salaires de 10 à 15%, salaire minimum de 6.000 rands (environ 600 euros), semaine de travail à 40 heures, et congé maternité prolongé. Quitte à menacer physiquement les ouvriers qui continuent à travailler ou à fermer les vannes d’essence. La plupart des secteurs ont réussi à négocier 10% d’augmentation de salaire et retournent peu à peu au travail depuis mardi 19 juillet. Une grande victoire pour les syndicats.

Les Sud-Africains, jusqu’à présent plutôt «agnostiques» et indifférents quand vient le temps des grèves, sont cette fois directement pris à partie: il n’y avait plus d’essence dans les stations-services de la capitale économique de Johannesburg et de Durban. Le week-end du 17 juillet, le gouvernement a réussi à éviter la pénurie totale en acheminant quelques citernes sous protection de l’armée, en pleine nuit. La tension est palpable et le pays plus divisé que jamais.

Chômage inquiétant et inflation galopante

Dans les journaux, intellectuels et chefs d’entreprises se relaient pour mettre en garde les syndicats des répercussions économiques de telles négociations. Abdul Davids, directeur de Kagiso Asset Management, un cabinet de conseil basé au Cap rappelle que «quand les salaires augmentent, il y a moins d’embauches. C’est une des premières logiques économiques».

L’Afrique du Sud a perdu un million d’emplois pendant la crise mondiale de 2009, pour la grande majorité des emplois peu qualifiés. Avec un taux de chômage frôlant les 26% selon les chiffres officiels (plus de 50% dans la population noire, selon l’Institut pour la relation entre les races [PDF]), la création d’emploi est devenue une priorité pour le gouvernement de Jacob Zuma.

Gerhard Papenfus, président de l’Association nationale des employeurs (NEA), a écrit une lettre ouverte à tous les chefs d’entreprise du pays les dissuadant de céder aux revendications des grévistes:

«L’Afrique du Sud ne peut pas se permettre de payer de tels salaires!, s’insurge-t-il. Ce sont nos concurrents, l’Inde, la Chine, et les pays voisins qui vont profiter de vos négociations. A l’avenir, c’est là-bas qu’on investira et construira des usines, plus chez nous.»

L’Afrique du Sud, qui enregistre les plus grandes inégalités au monde, est prise au piège. Les investisseurs viennent dans un pays en développement pour payer de faibles salaires, mais à cause des inégalités, le coût de la vie est beaucoup plus important que dans la majorité des pays de sa catégorie.

L’inflation est galopante: environ 4,6% en mai dernier. Et ces chiffres ne prennent pas en compte la terrible hausse de l’électricité: plus 26% depuis le 1er juillet. Les classes moyennes ou pauvres doivent payer en moyenne 800 rands (80 euros) pendant les mois d’hiver. Un coût insurmontable pour la plupart des foyers sud-africains.

Les syndicats pour l’augmentation des salaires

La Cosatu, principale organisation syndicale du pays, estime qu’il faut environ 4.000 rands de revenus par mois pour avoir une vie «décente» en Afrique du Sud, même sans voiture et en envoyant ses enfants dans les écoles publiques.

Son secrétaire général, Zwelinzima Vavi, s’est insurgé des inégalités tenaces dans le pays, et de cet «esclavage moderne» dont profitent les grandes entreprises:

«C’est une honte que 57% des Sud-Africains vivent avec moins de 500 rands par mois, alors que les chefs d’entreprise gagnent en moyennent 59 millions de rands par an». 

La Cosatu est un membre influent du gouvernement de l’ANC (African National Congress, au pouvoir), et en organisant ces grèves, le comrade Vavi veut montrer sa puissance politique. Après les provocations répétées du leader de la jeunesse Julius Malema, qui s’était proposé il y a un mois de représenter les travailleurs «car ils n’avaient plus de leader», Vavi veut lui aussi son heure de gloire.

A la différence de Malema, ce n’est pas l’opposition noirs contre blancs qu’il veut défendre, mais la lutte des classes. Les pauvres contre les riches. Selon lui, la seule manière de combler le fossé des inégalités est d’augmenter les salaires des ouvriers. En avril dernier, c’était les employés municipaux. L’année dernière, les fonctionnaires. Le gouvernement ne sait plus comment attirer des investisseurs et tenir ses promesses faites en 1994 (date de l’accession au pouvoir de Mandela).

A l’Institut pour la recherche sur le travail (Labour Research Service, un institut sponsorisé par les syndicats), on n’est guère optimiste sur l’avenir de la classe ouvrière. Son directeur, Trenton Esley prédit des grèves de plus en plus importantes dans les prochaines années:

«La croissance économique depuis la fin de l’apartheid est construite sur l’hyperconsommation. Pour encourager les Sud-Africains à acheter toujours plus, le gouvernement a ouvert les vannes du système à crédit. Maintenant, les travailleurs sont surendettés, ils n’ont pas économisé et peinent à maintenir le niveau de vie qu’ils ont eu jusqu’à présent.» 

Selon Esley, tirer sans cesse les salaires vers le bas n’est pas la solution pour l’Afrique du Sud:

«C’est peut-être la discipline imposée par l’économie mondiale, mais ses limites ne sont jamais remises en question. Un mauvais système de santé, une mauvaise éducation est une plus grande menace pour les investisseurs qu’une augmentation des salaires.»

Sophie Bouillon

 

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Sophie Bouillon. Journaliste française installée à Johannesburg. Prix Albert Londres 2009, pour son reportage "Bienvenue chez Mugabe".

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