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Le centre d'Abidjan sous les tirs croisés, le 1er avril. Reuters/Luc Gnago
Le centre d'Abidjan sous les tirs croisés, le 1er avril. Reuters/Luc Gnago

«Cette nuit, le parti de Gbagbo est mort»

L'écrivain ivoirien Mongoh Wa a vécu «l’enfer» au cours des derniers jours à Abidjan. Il témoigne sur le quotidien dans la métropole ivoirienne en guerre et sur l’agonie du régime.

SlateAfrique - Abidjan est en guerre depuis plusieurs jours. Comment vivez-vous les affrontements?

Mongoh Wa - Cette nuit, j’ai cru revivre le film Apocalypse Now: des tirs de partout, des avions de la Licorne et des forces de l’Onuci bombardant les sites militaires. Une nuit particulière qui fût pour l’immense majorité de la population à la fois chargée d’espoirs, mais aussi pleine de peur. A 18h24, le porte-parole de la FRCI, la nouvelle armée de la Côte d’Ivoire créée récemment par le président de la République Alassane Ouattara (ADO), s’exprime, nous assurant que «les FRCI sont au travail pour» nous libérer et que «l’heure du départ de Gbagbo a sonné». Et quand ont commencé les bombardements des sites militaires, la joie l’a emporté même si la peur aussi habitait les esprits.

SlateAfrique - La nuit dernière les forces françaises de la Licorne et celles de l’ONU ont combattu les troupes de Gbagbo. Les combats ont-ils augmenté en intensité?

M.W. - La nuit a été terrible, sans électricité, sans eau, le tout accompagné d’un concert de tirs, d’explosions. Et puis des bruits sourds dans l’air, des avions de l’Onuci, ou de la Force Licorne, guettant les chars meurtriers de Laurent Gbagbo. Ce fût une nuit terrible. Moi même qui vous parle, et comme beaucoup d’entre vous, je n’ai pas dormi de toute la nuit. Et depuis ce matin les combats ont repris. On entend ici et là quelques tirs sporadiques. Le quartier de Cocody est calme, sans âme, donnant l’image d’une ville fantôme. Quelquefois on entend des tirs lointains. Et puis folâtrent dans l’air d’épaisses fumées noires venant de la présidence, ou de cet endroit chaud appelé Adjamé. A la radio on nous dit que les deux ponts reliant les deux Abidjan, le nord et le sud, sont aux mains des forces loyales au président Gbagbo.

Dans l’appartement, tout le monde se relève difficilement. Personne n’a dormi. On profite de cette petite accalmie pour se dire que tout ira bien. Parmi nous, un couple et son enfant d’à peine 4 ans sont venus se réfugier. A plusieurs, on supporte mieux la peur. Tout bruit effraye, l’accalmie n’y fait rien. Le tiroir qu’on ouvre, le frigo qu’on ferme. La peur pour un rien. Car on sait que le pire peut venir de partout. Et puis d’un coup, des tirs de canon.

L’Onuci patrouille et la population l’applaudit. L’armée de Gbagbo fait peur aux gens. Cette nuit, on a tous prié pour que le jour arrive enfin. Dans le couloir, tout le monde s’est réfugié pour se protéger contre d’éventuels éclats d’obus. D’autant plus que de nombreuses personnes ont eu à subir ce genre de choses.

SlateAfrique - Comment interprétez-vous les récents événements? La chute du régime est-elle proche?

M.W. - Toute la nuit, le sommeil perturbé par les tirs et éclats d’obus, je n’ai pu m’empêcher de penser à la situation à laquelle notre pays est confronté. Une situation qui ressemble à une lente agonie, celle du Front populaire ivoirien (FPI). La fin certaine du pouvoir du président sortant Laurent Gbagbo correspond indéniablement à la mort, au propre comme au figuré, de ce parti créé officiellement le 1er mai 1990. Fer de lance de l’opposition, le FPI était une constellation de militants, agrégat d’individus disparates, de confessions politiques différentes, qui avaient en commun de se dire de gauche. Le FPI s’est surtout construit comme une force d’opposition au PDCI-RDA [Parti démocratique de Côte d’Ivoire et Rassemblement démocratique ivoirien, ndlr], parti politique ayant dirigé la Côte d’Ivoire pendant plus de trente ans. C’était le temps de Félix Houphouët-Boigny et du parti unique. Le long règne de ce parti, où la forte personnalité d’Houphouët était critiquée en son sein ainsi que par la population, fût malmené par une crise vieille de 17 ans. Une crise qui servit à cimenter l’union sacrée autour du FPI.

SlateAfrique - Pourquoi le Front populaire ivoirien était-il aussi populaire?

M.W. - C’est cette union qui exprimait, en la personne de Laurent Gbagbo, le mieux l’aspiration populaire au changement, mieux que les autres partis de l’opposition. Fort de l’adhésion massive des populations aux discours de ses meetings enflammés contre le PDCI, Laurent Gbagbo s’est présenté à l’élection présidentielle contre Houphouët-Boigny en 1990, contre l’avis de tous les partis de l’opposition de cette époque. Laurent Gbagbo et le FPI se présentaient alors comme le «seul parti» pouvant assurer l’alternance si Félix Houphouët-Boigny venait à mourir. Chasser le PDCI du pouvoir par tous les moyens, voici ce qui unissait donc ce groupe. Fier de cette légitimité et de l’adhésion de tous à cet objectif, le FPI se lançait alors dans une opération de «fusion des partis»; un plan visant à phagocyter d'autres partis de l’opposition comme une petite «rivière» se jetant dans le grand fleuve FPI. Mais cette politique de fusion-absorption se heurta au refus des leaders des autres partis de gauche et provoqua un schisme au sein de la gauche ivoirienne.

A la mort de Félix Houphouët-Boigny en 1995, le FPI, parti dit de gauche, s’allia alors à Alassane Ouattara, ex-ministre de ce dernier. ADO, tout juste dissident du PDCI, et Henri Konan Bédié venaient de créer le Rassemblement des républicains de Côte d’Ivoire (RDR). Un parti composé de militants sortis de l’écurie du PDCI. Un parti qui s’assumait comme de droite. Pour faire respecter les objectifs de ce front «tout sauf le PDCI de Bédié», le FPI de gauche créa donc un front républicain avec le RDR de droite dirigé par Alassane Ouattara.

SlateAfrique - En quoi cette alliance a-t-elle posé problème?

M.W. - Cet attelage impensable annonçait la mort du «FPI originel». A l’intérieur même du Front, les fondamentalistes ne se gênaient guère pour dénoncer cette dérive droitière d’un parti s’acoquinant avec le tenant d’un parti à la base de la privatisation de certains secteurs régaliens, comme l’eau et l’électricité cédés à Bouygues, du temps où Alassane Ouattara (le dirigeant du RDR) était Premier ministre d’Houphouët. On sait comment de nombreux caciques du parti en sont alors partis pour créer d’autres mouvements comme celui de la Renaissance, un parti créé sur la base idéologique fondamentaliste du FPI et totalement opposé à toute privatisation, surtout des secteurs stratégiques régaliens. Ce fût notamment le cas de Ahoua Don Mello, aujourd’hui porte-parole de Laurent Gbagbo. En entraînant ses amis dans l’aventure de la Renaissance, il a mis au vestiaire ses fondamentaux pour se jeter pied et poings liés dans les bras de Gbagbo et du FPI. L’arrivée au pouvoir du FPI dans des conditions calamiteuses lui avait redonné vie. Il y avait alors à boire et à manger. Ceux qui étaient partis revinrent à la maison commune, pour partager les privilèges que donne le pouvoir après vingt ans de lutte.

SlateAfrique - Comment expliquer la déliquescence du FPI?

M.W. - Pendant ces dix ans au pouvoir, malmené par une rébellion, le FPI a construit sa propre mort avec de nombreux scandales: déchets toxiques, détournements de fonds dans la filière café cacao, extorsions de fonds, etc. Celui qui se présentait comme une poche de moralité venait de décevoir le peuple qu’il prétendait défendre. En 2010, avant l’élection présidentielle, en nommant Malick Coullibaly, un fils du PDCI, comme directeur de sa campagne, Laurent Gbagbo signait, au grand désarroi de ses caciques, la mort du FPI; mieux, il créa La Majorité présidentielle (LMP): le début de la fin du FPI, la fin d’une grande illusion.

Propos recueillis par Pierre Cherruau et Vincent Duhem

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