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Des partisans de Laurent Gbagbo marchant vers le palais présidentiel à Abidjan, le 4 avril. Reuters/Luc Gnago
Des partisans de Laurent Gbagbo marchant vers le palais présidentiel à Abidjan, le 4 avril. Reuters/Luc Gnago

Gbagbo peut-il tenir?

Assiégé à Abidjan par les forces de son rival Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo contrôle encore quelques sites stratégiques. Il n'a pas l'intention de se rendre et sa stratégie rend les observateurs perplexes.

En Côte d'Ivoire, les forces pro-Ouattara ont mené une offensive éclair qui leur a permis de prendre pied à Abidjan dès jeudi 31 mars. Depuis, le conflit s'enlise. Est-ce la stratégie de Laurent Gbagbo?

Au Tchad, en février 2008, le président Idriss Déby était lui aussi encerclé dans le palais présidentiel. «Mais tant qu'on n'a pas pris la présidence, on n'a pas pris le pouvoir», explique l'un de ceux qui menaient cette attaque, le général Mahamat Nouri. «Il y a deux bâtiments stratégiques dont il faut prendre le contrôle, la présidence et la radio et télévision nationale», poursuit-il. C'est aussi après une offensive éclair que les rebelles du général Nouri avaient fait leur entrée à N'Djamena, la capitale tchadienne. Pendant 48 heures, Idriss Déby ne règnait plus que sur quelques kilomètres carrés, le palais présidentiel et deux ou trois rues environnantes. Mais il a su résister et a même renversé la situation.

Comme Idriss Déby, Laurent Gbagbo ne défend aujourd'hui que quelques endroits stratégiques, la présidence, sa résidence, la radiotélévision ivoirienne (RTI), le camp d'Agban. Est-ce l'état de ses forces qui l'y a contraint? Devant l'avancée très rapide des forces républicaines pro-Ouattara la semaine dernière, ils ont été nombreux les officiers ou simples hommes de rang à changer de camp ou simplement laisser faire. Cela avait d'ailleurs été également le cas en 2008 à N'Djamena. Laurent Gbagbo n'avait-il pas d'autres choix pour rester au pouvoir que de se retrancher avec ses derniers fidèles?

Stratégie de repli?

«Laurent Gbagbo a choisi de se replier sur des positions bien défendues. La preuve, c'est qu'il tient depuis plusieurs jours», estime le journaliste et spécialiste défense Jean Guisnel. «Il n'a ni l'intention de partir, ni celle de mourir. Il espère très certainement rester et même vaincre.» L'offensive des forces républicaines n'a duré que quelques jours. Une à une, les villes sont tombées sans offrir la moindre résistance.  

«C'est difficile de savoir ce qui s'est véritablement passé. Gbagbo avait-il donné des ordres pour que ces villes soient défendues? Il est possible qu'ils n'aient tout simplement pas été suivis, vu l'ampleur des défections. Si c'est une stratégie, c'est une stratégie par défaut», commente un diplomate en poste en Afrique de l'Ouest.

A N'Djamena, le changement de stratégie s'était opéré en quelques heures. «Après la défaite de Massaguet [ville tchadienne située à 80 km au nord de N'Djamena, ndlr], nous n'avions plus vraiment le choix», explique un haut gradé de l'armée tchadienne. «Le président Déby a réparti les chars dans N'Djamena pour que les rebelles ne puissent pas s'approcher du palais présidentiel et de la réserve stratégique d'armes qui se trouve à côté et qu'ils épuisent leurs forces.» L'état de siège n'avait duré que deux jours. Les rebelles tchadiens étaient divisés, avaient des problèmes de ravitaillement et avaient été contraints à se replier. En Côte d'Ivoire, les forces républicaines sont, elles, unies derrière Alassane Ouattara, le président reconnu par la communauté internationale, et leur offensive est préparée de longue date. Contrairement à son homologue tchadien, Laurent Gbagbo ne peut donc pas compter sur la faiblesse de son adversaire.

Plusieurs éléments jouent tout de même en faveur des pro-Gbagbo. Ils connaissent le terrain bien plus que les troupes fidèles à Alassane Ouattara.

«La garde présidentielle est restée en grande partie loyale. Garder la présidence et la résidence fait partie de leur quotidien depuis des années. Ils ont des automatismes», explique un officier français qui a été en poste en Côte d'Ivoire. «Et défendre, c'est plus facile que d'attaquer. Combattre dans une ville peut devenir très anxiogène. On ne sait jamais d'où vient le danger lorsque l'on progresse. Pour les pro-Ouattara, c'est plus difficile à la fois psychologiquement et militairement.»

Tenir un siège

Pour tenir un siège, l'essentiel est d'avoir suffisamment de réserves en nourriture, en eau, mais aussi et surtout en munitions. «Il  faut à Laurent Gbagbo non seulement des stocks, mais aussi un flux abondant d'armes. Car ses hommes utilisent énormément de munitions.  Je ne crois pas qu'il dispose des lignes de ravitaillement nécessaires pour tenir», explique encore Jean Guisnel. Beaucoup d'observateurs s'interrogent donc sur sa stratégie à moyen et long terme.  

«Tenir, mais pourquoi? Il est isolé sur la scène internationale. Il ne contrôle plus la majeure partie du pays et c'est difficile de l'imaginer aujourd'hui lancer une contre-offensive d'ampleur, explique le diplomate en poste en Afrique de l'Ouest. Ce qu'on craint, c'est qu'il cherche à instaurer un véritable chaos en espérant qu'une fois de plus, la communauté internationale tentera de négocier avec lui.»

A Abidjan, les civils sont en première ligne. Les témoins des combats parlent d'un véritable déluge de feu. Et le week-end des 2-3 avril, à la faveur d'une baisse dans l'intensité des combats, les patriotes, les jeunes fidèles au président sortant, ont été appelés à se rassembler autour des cibles visées par les troupes pro-Ouattara.

«Au-delà de la tactique ou du terrain, ce qui compte dans ce type de combats, c'est la détermination, affirme l'officier français. Jusque-là, les forces républicaines ont montré plus de volonté à se battre que leurs adversaires. Idriss Déby y a cru plus longtemps que les autres. Laurent Gbagbo sera-t-il aussi déterminé, c'est finalement toute la question.» Pour Jean Guisnel, c'est avant tout une question de temps:  

«Dans l'histoire, il faut se souvenir que la plupart des sièges se terminent par la prise de la citadelle.»

Sonia Rolley

 

Sonia Rolley

Sonia Rolley est journaliste. Elle a été correspondante au Rwanda et au Tchad, notamment pour RFI et Libération. En janvier 2010, elle a publié Retour du Tchad, carnet d'une correspondante (Actes Sud).

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