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Sport et identité sexuelle: l'affaire Caster Semenya
La championne du monde 2009 sur 800 mètres est au centre d'interrogations sur son identité sexuelle qui vont bien au-delà du sport.
Le sport moderne ne vit pas qu'au rythme des images, des records et des affaires de dopage. La sexualité peut aussi, parfois, être à l'ordre du jour; ou plus précisément l'identité sexuelle. C'est le cas aujourd'hui à Berlin après la formidable victoire de Caster Semenya, 18 ans, dans le finale du 800 mètres des championnats du monde d'athlétisme.
Une course réalisée en 1'55"45 soit nettement plus d'une seconde de mieux que son record personnel établi le 31 juillet. Sur cette distance Caster Semenya aura progressé de huit secondes en un an. Huit secondes en un an! Tous ceux qui ont un jour tâté du 800 mètres apprécieront comme il convient cet exploit.
Pour l'heure on en viendrait presque à se demander si, mercredi 19 août, l'athlète Sud-Africaine n'était pas dopée par l'annonce faite quelques heures avant la course: la Fédération internationale d'athlétisme (IAAF) avait fait savoir que Caster Semenya devrait subir des tests visant à déterminer son identité sexuelle.
Ou, en d'autres termes s'il était justifié de la laisser courir avec des femmes. Curieusement cette interrogation sur sa féminité ne l'a pas privée de finale. On ne sait pas ce que pense de la question la Kenyane Janeth Jepkosgei, tenante du titre, et la Britannique Jenny Meadows, toutes deux laissée à plus de deux secondes par la Sud-Africaine.
On sait aujourd'hui que l'IAAF avait demandé à Fédération sud-africaine de lui fournir des informations permettant d'établir avec précision l'identité de l'athlète dont la morphologie aurait, selon certains, des caractéristiques très masculines. En pratique, il s'agit ici de constituer un dossier comportant les conclusions d'experts de différentes disciplines, généticiens, gynécologues, urologues, internistes et psychologues. Les conclusions ne devraient pas être connues avant plusieurs semaines.
Michael Seme, l'entraîneur de l'athlète, n'a aucun doute sur son identité sexuelle tout en expliquant que Caster devait souvent répondre aux questions qui lui sont souvent posées quant au fait de savoir si cette jeune fille n'est pas en réalité un garçon.
Il rapporte aussi cette anecdote selon laquelle elle s'est sentie profondément «humiliée» il y a peu lorsque certaines personnes, des femmes selon toute vraisemblance, ont voulu lui interdire l'accès aux toilettes pour dames. Caster, en proie à une vive colère leur aurait alors déclaré: «Vous voulez que je baisse mon pantalon pour que vous puissiez voir.» La suite n'est pas connue. Le père de Caster: «C'est ma petite fille. Je l'ai élevée et je n'ai jamais douté de sa féminité. C'est une femme et je peux le répéter un million de fois.»
La politique n'est pas absente de la polémique: Caster est soutenue par les responsables du Congrès national africain (ANC), parti actuellement au pouvoir en Afrique du Sud. Pour l'ANC «Caster n'est pas la seule athlète féminine avec une morphologie masculine et la Fédération internationale devrait le savoir». Ce qui n'est pas faux. Certains athlètes laissent entendre que la morphologie de Caster pourrait pour partie résulter d'un entraînement intensif.
L'Italien Alex Schwazer, champion olympique du 50 km résume assez bien l'affaire:
«Ce sont des spéculations. Elle s'est beaucoup entraînée, a fait une grosse course et maintenant tout le monde lui dit que c'est un homme. Il faut plus de respect.»
On ajoutera que pour l'heure Caster est muette: après son titre, l'IAAF, en accord avec la Fédération sud-africaine, a décidé que Semenya ne pourrait participer à la conférence de presse «post-finale» traditionnelle. Il s'agissait, bien sûr de la protéger des insidieuses questions des journalistes.
Tout indique aujourd'hui que le cas Semenya, devenu(e) une star nationale en Afrique du Sud, embarrasse au plus haut point les responsables internationaux de l'athlétisme. Selon certains s'il s'avérait que cette femme est un homme elle/il ne serait pas automatiquement déchu(e). Pour le porte-parole de l'IAAF ce n'est pas «tricher» que de dire que l'on est d'un sexe différent de ce que peuvent établir la génétique et l'anatomie des organes génitaux.
Ce n'est pas précisément le point de vue de Pierre Weiss, secrétaire général de l'IAAF Pierre Weiss qui envisage déjà de déchoir Semenya de son titre. «C'est clair, a t-il déclaré à Berlin. Si à la fin de ces enquêtes, il apparaît que ce n'est pas une femme, nous la retirons de la liste des vainqueurs.»
Comment comprendre qu'une question apparemment aussi simple («Etes-vous un homme ou une femme?») puisse ne pas trouver une réponse rapide? Tout simplement parce que cette question peut ne pas avoir de réponse simple. Dans l'attente de connaître les conclusions auxquelles aboutiront les experts qui se pencheront sur Caster Semenya on peut rappeler qu'il existe toute une catégorie d'états aujourd'hui qualifiés d'«intersexuels» et qui furent longtemps réunis sous la dénomination d'«hermaphrodisme»
Pour le dire simplement, contrairement à une idée très en vogue depuis que la génétique a pris le pouvoir dans le champ de la biologie la masculinité ne se réduit pas à la présence d'un chromosome Y dans chaque cellule somatique pas plus que la féminité pourrait être réduite à deux chromosomes X.
«Hermaphrodite est emprunté au mythe d'Hermaphroditos, fils d'Hermès et d'Aphrodite, nous rappelle Jean-François Bert, sociologue, dans «Le Dictionnaire du corps» (CNRS Editions). La nymphe Samalcis tombant sous son charme (...) implora les dieux de faire en sorte que jamais elle n'en soit séparée, et que son corps ne forme plus qu'un avec lui. La réunion réellement physique de ces deux êtres souligne à la fois le bisexualisme de tout hermaphrodite, mais aussi son impossibilité naturelle puisqu'un seul être ne peut tenir à la fois les fonctions reproductives de l'homme et de la femme.»
Depuis plus d'un siècle l'intérêt des médecins et des biologistes pour cet état sexuellement hors normes n'a cessé de croître. On a ainsi démembré une entité jusqu'alors unique et de multiples cas de figure ont été décrits. Et il faut aussi dans ce domaine compter avec les revendications croissantes des personnes qui réclament de pouvoir bénéficier d'interventions chirurgicales leur permettant de changer de genre mais aussi d'état civil.
Dans un tel contexte l'affaire Caster Semenya, parce qu'elle émerge dans la sphère sportive, soulève de nouvelles et dérangeantes questions. Pourquoi sépare-t-on, dans les stades, les hommes des femmes? Est-ce tricher que de dire que l'on est une femme alors que l'on sait que l'on est un homme? Mais est-ce tricher que de dire que l'on est une femme dès lors que l'on est persuadé de l'être même si la génétique et l'anatomie affirment le contraire? Faudra-t-il, demain, que l'IAAF organise des compétitions réservées aux hermaphrodites, aux transgenres? Jusqu'où une fédération sportive peut-elle enquêter dans l'intimité organique et psychologique des athlètes?
Dans ce domaine passionnant, aux confins de l'éthique et du sport, une affaire (exemplaire et généralement oubliée) avait précédé les Jeux Olympiques d'hiver organisés, en 1992, à Albertville. Nous y reviendrons bientôt.
Jean-Yves Nau